Pour les Gitans

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

La culture manouche s’éteint, rendant d’autant plus précieux le cinéma de Tony Gatlif. Swing s’y inscrit entre musique, enfance et transmission

« Les jeunes, quand ils assistent à un mariage, et qu’on y joue notre musique, ils partent après un ou deux morceaux en disant que c’est de la musique de vieux! Ils préfèrent le rap et le hip-hop, la mode américaine, tout comme les autres gamins, qu’ils soient beurs ou blacks, et qui ont eux aussi renoncé à une culture qu’ils assimilent au malheur…  » Tony Gatlif n’est pas optimiste quant à l’avenir de la culture gitane, basée sur la musique et la transmission orale.  » Le génocide des nazis, durant la Seconde Guerre mondiale, avait déjà tragiquement amputé cet avenir, chaque Tsigane assassiné laissant un vide dans la transmission aux générations futures, commente le cinéaste. Aujourd’hui, c’est la globalisation culturelle anglo-saxonne qui vient éloigner les jeunes de ce qui reste à transmettre. Dans quelque temps, il n’y aura plus rien… « 

Pour Tchavolo Schmitt

Pour fixer la mémoire d’un univers en voie de disparition, Gatlif travaille dans l’urgence. Né en Algérie voici cinquante-trois ans, ce Gitan français s’est fait le témoin enthousiaste, le défenseur ardent de la culture rom, des Princes à Gadjo Dilo, en passant par Latcho Drom. Son nouveau film s’intitule Swing. Comme souvent chez le réalisateur, il met en scène un personnage extérieur à la culture gitane et qui s’en approche, entraînant avec lui le regard du spectateur.

Max est un gamin d’une dizaine d’années, qui s’est pris de passion pour le swing manouche, cette forme particulière de jazz que popularisa Django Reinhardt. A la recherche d’une guitare et d’un professeur, Max découvrira les deux dans un quartier « difficile » de Strasbourg où vivent des Tsiganes sédentarisés. Il fera aussi la connaissance de Swing, qu’il prendra d’abord pour un garçon de son âge, mais qui se révélera être une fille, pour laquelle il éprouvera ses premiers émois amoureux…

Pour Tchavolo Schmitt

« Je ne crois pas qu’un cinéaste trouve le sujet d’un film, déclare Tony Gatlif: c’est plutôt le sujet qui trouve son cinéaste. Dans mon cas, il vient toujours d’un voyage, d’une rencontre. » Dans le cas de Swing, c’est l’art et la personnalité du guitariste Tchavolo Schmitt qui a tout déclenché. « Pour moi, cet homme incarne l’artiste indépendant, totalement désintéressé. Héritier de Django Reinhardt, il pourrait être célèbre dans le monde entier, au lieu de quoi il préfère rester tranquille dans sa petite maison en préfabriqué de la banlieue de Strasbourg, gagnant sa vie en jouant dans les bars des alentours… »

En écrivant le scénario de son film, Gatlif y a rapidement introduit le thème de l’enfance, et par là même celui, crucial, de la transmission. Il a demandé à Tchavolo Schmitt d’incarner Miraldo, le musicien bougon qui va devenir le professeur de Max, l’enfant blond passionné de swing manouche. « Je lui racontais le film au fur et à mesure du tournage, explique Tony Gatlif. J’insistais sur les aspects importants que je voulais y voir. Sur cette base, je le laissais faire ses propres gammes, parler à sa manière. Les scènes en contrepoint comique où il s’accroche avec sa femme qui fait trop de bruit à son goût et perturbe ses leçons de guitare viennent directement de la réalité. »

Film léger et solaire, refusant le pessimisme ressenti par son metteur en scène, Swing brille surtout par la place qu’il réserve à cette musique extraordinaire qu’est le jazz manouche. S’y marient gros plans sur les doigts parcourant librement le manche d’une guitare et images prises d’avion. « Cette musique est pour moi tellement aérienne que j’ai voulu faire le film sur une dominante d’envol », précise Gatlif, comme toujours totalement « en phase » avec son sujet. « La musique est une source constante d’inspiration pour moi, commente-t-il. C’est elle qui me donne le souffle de faire mes films, le souffle d’aller à la rencontre des autres. »

Utopie musicale

L’idée d’une musique capable de transcender les différences, véritable langage universel, est chère au réalisateur de Latcho Drom, formidable voyage filmé sur les traces de la culture rom. Pour Swing, Gatlif a imaginé de réunir des musiciens gitans, mais aussi arabe (Abdellatif Chaarani) et juif (Ben Zimet), pour une version mémorable du classique Les Yeux noirs. « La chanson s’y prêtait, tant sa naissance, sa renommée, sa popularité se sont nourries d’influences diverses », explique le cinéaste, qui a filmé dans un premier temps les répétitions du morceau, puis son exécution dans une caravane bondée, séquence extraordinaire tournée à deux caméras et découpée au millimètre près pour saisir l’essence du geste musical et de son émotion.

Ces images de trois cultures unies par la musique touchent d’autant plus fort aujourd’hui que nous assaille une actualité de haine et de confrontation. « J’ai tourné mon film bien avant le 11 septembre, dit Tony Gatlif, mais je sentais bien que les choses allaient très mal se passer. Entre autres, parce que l’Occident s’avère incapable de comprendre l’Orient, à cause, surtout, des ravages que fait la religion. Celle-ci devrait relier les gens entre eux, mais elle préfère les diviser, les opposer; elle génère le rejet de l’autre, la violence et l’horreur…  » Le cinéaste ne mâche pas ses mots devant les crimes abjects commis au nom de Dieu, et appelle de tous ses voeux – mais sans trop y croire – « un nouvel Omar Khayyam (1), seul à même, sans doute, d’appeler à une compréhension réciproque et au rejet des ténèbres obscurantistes. Ah! Si seulement l’esprit de Khayyam pouvait faire taire les harangues des imams! Qu’on puisse chanter comme lui l’amour, le vrai, pas celui de Dieu! ».

Utopie musicale

On a prêté à Tony Gatlif l’intention de réaliser un film sur Django Reinhardt, dont il connaissait très bien le fils Babik, aujourd’hui décédé. Le cinéaste dément toute implication dans pareille entreprise. « J’ai toujours fui le cinéma qui fabrique, qui reconstitue, pour me consacrer à la recherche de l’authenticité. Je filme des choses que je connais, par souci de mémoire, pour les conserver et, ensuite, les transmettre. Sans didactisme, avec simplicité. Sans, non plus, aucun recul intellectuel. Je ne suis pas comme ces ethnologues qui ne parlent jamais de cul mais de « sexualité », parce qu’ils ne comprennent rien à la chair des gens, parce qu’ils ne boivent jamais avec eux… Quand les Manouches voient Swing, ils me disent: « C’est ça! » Cette appréciation, à elle seule, justifie mon travail et m’encourage à poursuivre. Si je faisais un film sur Django, ce serait comme jouer au train électrique. Je préfère capter la vie. »

Louis Danvers

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