Federica Infantino, chargée de recherche FNRS à l'ULB. © dr

« Pour les Etats, les frontières sont un emblème de souveraineté »

Les recherches de Federica Infantino (ULB) portent sur la mise en oeuvre du contrôle des frontières et des migrations au sein de l’Union européenne. « Les déclarations du président Macron ne tiennent pas la route », estime-t-elle.

Pourquoi Emmanuel Macron a-t-il annoncé le doublement des forces chargées de contrôler les frontières françaises?

C’est un geste symbolique destiné à rassurer la population, à lui montrer que le gouvernement prend des mesures concrètes immédiates pour répondre à la menace terroriste après les attaques perpétrées ces dernières semaines en France. Je vois aussi dans ce discours une mise en scène politique destinée à réaffirmer la souveraineté de l’Etat. Sur le fond, un renforcement des effectifs aux frontières a peu de chances d’atteindre l’objectif principal de la mesure, qui est d’empêcher l’immigration irrégulière. La plupart des personnes en séjour illégal en Europe y sont arrivées de façon régulière. Les contrôles renforcés déplacent les flux migratoires, accroissent les dangers pour les migrants et favorisent le business des passeurs.

« Nous devons réformer l’espace Schengen pour qu’il soit aussi un espace de sécurité », a déclaré le président français à l’issue du minisommet de l’Elysée du 10 novembre. Vous comprenez sa volonté de « refonder » les règles qui régissent la libre circulation en Europe?

Ces déclarations ne tiennent pas la route. L’essence de Schengen, c’est déjà la coopération entre ministres de l’Intérieur sur des mesures sécuritaires. Depuis plusieurs années, la pression migratoire et les attentats ont conduit à renforcer les moyens juridiques, techniques et opérationnels, grâce aux fichiers d’information et bases de données.

Les effectifs de Frontex doivent passer de 2 000 à 10 000 agents d’ici à 2027. Pourquoi les Etats membres de l’espace Schengen tardent-ils à mettre en oeuvre les engagements acceptés en 2019 sur le corps européen de garde-frontières?

Les frontières sont, pour les Etats, un emblème de souveraineté. C’est ainsi qu’il est difficile pour l’Italie de permettre la présence de gardes frontières étrangers à Lampedusa, l’île où arrivent beaucoup de migrants. Ce serait reconnaître que le pays n’a plus le contrôle de ses propres frontières. La présence de Frontex serait acceptable si elle permet de réduire le nombre des demandeurs d’asile. Le gouvernement italien pourrait alors faire comprendre à la population qu’il y a des avantages au partage du fardeau.

Schengen malmené

Créé en 1985, l’espace Schengen compte actuellement 26 membres: 22 des 27 pays de l’Union européenne et 4 Etats associés: la Norvège, l’Islande, la Suisse et le Liechtenstein. La Roumanie, la Bulgarie, Chypre et la Croatie n’y participent pas encore et l’Irlande n’adhère qu’à certaines dispositions. La mise en oeuvre de l’accord implique la suppression des contrôles aux frontières intérieures, tout en garantissant une protection renforcée des frontières extérieures de l’Union. En cas de menaces contre l’ordre public ou la sécurité, les pays membres de Schengen ont la possibilité de rétablir temporairement des contrôles à leurs frontières nationales, pour des périodes renouvelables de trente jours. La France utilise cette faculté au nom de la lutte antiterroriste. D’autres pays, dont l’Autriche, l’Allemagne et le Danemark, réintroduisent, pour cause de pression migratoire, des contrôles permanents, dont la conformité avec le droit européen pose question. Au printemps dernier, les frontières intérieures ont fait leur grand retour en Europe en raison de la pandémie de Covid-19.

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