Portraits de familles

SNOY ET D’OPPUERS :  » Notre vie de château en décevrait certains  »

 » Beaucoup de gens se font des illusions sur la vie de château. Nous sommes loin de vivre dans le luxe et de multiplier les grands banquets.  » Emmitouflé dans son écharpe et son gros pull, le baron Bernard Snoy et d’Oppuers (68 ans) lève les yeux quand il évoque son quotidien. Le soleil brille dehors, le printemps est arrivé avec deux semaines d’avance, mais au rez-de-chaussée du magnifique château classé de Bois-Seigneur-Isaac (Braine-l’Alleud), le thermomètre a perdu quelques degrés en entrant dans le grand salon.  » Durant l’hiver, nous vivons dans deux pièces au premier étage, poursuit le propriétaire du château, qui y habite depuis vingt-deux ans avec son épouse, Christine de Weck. Chauffer le rez-de-chaussée serait impossible. La vie de château coûte cher, très cher. Tout notre argent y passe.  »

Cinq générations y ont habité depuis 1810, date du mariage entre Joséphine Cornet de Grez, héritière du château et du domaine, et du baron Idesbalde-François Snoy et d’Oppuers. Une époque où, selon Bernard Snoy, la famille possède alors entre 2 000 et 3 000 hectares de terres. Des chiffres que certains historiens trouvent toutefois bien trop élevés, estimant le patrimoine foncier familial de l’époque à un demi-millier d’hectares. Il n’en reste aujourd’hui qu’une trentaine. Un morcellement du patrimoine familial qui s’est accentué au fil des générations.  » Mon grand-père vivait encore de ses rentes, fait remarquer ce père de trois enfants et grand-père à neuf reprises. Mon père, lui, a dû travailler, comme moi et mes enfants aujourd’hui. Il a notamment exercé des fonctions à la Banque Lambert et a été secrétaire général du ministère des Affaires économiques puis ministre des Finances.  »

Le baron Snoy a également mené une belle carrière professionnelle qui l’a emmené à la Banque mondiale, à la Berd (Banque européenne pour la reconstruction et le développement) et à l’UCL, où il donne encore deux cours à l’Institut des études européennes.  » Nous sommes obligés de travailler pour subvenir à nos besoins. Pour ce qui est du château et du domaine, nous avons décidé d’ouvrir ses portes il y a quelques années de manière à ce qu’il génère des revenus. On y organise concerts, opéras, salons et mariages.  »

Ouvert, disponible et cultivé, le baron Snoy est loin de vivre en marge des réalités. La famille s’est adaptée aux enjeux contemporains, ne s’attardant guère au passé. Les châtelains sont viscéralement attachés à leur propriété, dont le couple ouvre régulièrement les portes pour les grandes réunions familiales.  » Nous n’avons jamais songé à céder le château, mais cela demande bien évidemment certains sacrifices. Nous n’allons jamais à la mer. Nous ne faisons pas de grands voyages. Nous allons rarement au restaurant. Nous n’avons pas de grosses voitures.  »

Quand on se balade dans le château, on comprend rapidement qu’on est loin des contes de fées. La décoration est à l’avenant, sans extravagance : une moquette sans prétention, une peinture défraîchie, un petit salon, des armoires en bois et des livres qui ne trouvent pas tous place dans la bibliothèque. Les portraits de famille accompagnent le visiteur à l’étage.  » Nous avons une chance extraordinaire de vivre au milieu de l’histoire. On se sent comme un maillon dans une chaîne. Un château, c’est une vocation, une partie de notre identité.  »

Lequel des trois enfants s’y installera d’ici quelques années ? Rien n’est encore décidé.  » C’est une question que nous trancherons en famille, à l’abri des regards. Les transmissions et successions doivent toujours faire l’objet d’un savant équilibrage. Jusqu’à présent, elles ont toujours été une réussite, ce qui est plutôt rare. Cela vient de la grande solidarité familiale qui règne entre nous.  »

Les JANSSEN au service de La Hulpe et du Brabant wallon

 » Leur capacité à renouveler leur influence au fil des générations par le biais de liens matrimoniaux est remarquable. C’est un exemple en la matière « , lance l’historien Eric Meuwissen. Si bien que la génération actuelle des Janssen descend à la fois des banquiers Janssen, des chimistes Solvay et des sidérurgistes Boël. Cette famille bruxelloise se lie avec la famille Solvay par le mariage du baron Emmanuel Janssen (1879-1955), fondateur de l’Union chimique belge (UCB), et de Paule van Parys, petite-fille d’Ernest Solvay et fille de Jeanne Solvay, qui a hérité du magnifique domaine situé en face du château de La Hulpe.

Leur fils aîné, Charles-Emmanuel Janssen (1907-1985), ancien président du CA de la Générale de Banque, a de son côté épousé Marie-Anne Boël. Leur trois fils – Paul-Emmanuel (décédé en 2012), Eric et Daniel – sont donc des descendants des trois branches. Enfin, ajoutons qu’ils se sont ensuite alliés, de même que leurs enfants, à de riches familles de nobles tels que les Bracht, de Spoelberch, Goblet d’Alviella ou encore d’Udekem d’Acoz (Hélène, l’épouse de Nicolas, fils de Daniel, est l’une des soeurs de la reine Mathilde). De quoi encore étendre leur sphère d’influence.

Le plus connu dans le monde des affaires, Daniel Janssen (78 ans), patriarche des familles Solvay, s’est retiré d’une série de mandats en 2006, dont notamment la présidence du conseil d’administration de Solvay, la vice-présidence du CA d’UCB et de son poste d’administrateur délégué de Solvac, le holding regroupant les intérêts des familles dans Solvay. Il a récemment renoncé à la présidence de la Financière de Tubize, le holding regroupant les intérêts familiaux dans UCB, ainsi qu’à son poste d’administrateur chez Sofina, le holding familial des Boël.

Quant à la descendance, elle est principalement impliquée sur le plan sociétal même si on retrouve Charles-Antoine Janssen (fils de Daniel) au sein du conseil d’administration d’UCB et Nicolas Janssen (second fils de Daniel, lire son interview en page 77) à la Financière de Tubize. Edouard Janssen (troisième fils) est dirigeant chez Solvay et a créé une start-up (Trustedfamily) dans le domaine du Web.

Si la famille reste un poids lourd sur l’échiquier belge (économique et académique), il est aussi étonnant de voir l’influence qu’elle a consentie à exercer sur le développement de la commune de La Hulpe, lieu de résidence de nombreux descendants.  » La famille employait, jusque dans les années 1960, de nombreuses personnes de l’entité, soit directement, soit indirectement en les recasant dans une de leurs sociétés bruxelloises, relate Eric Meuwissen. De nombreux commerçants locaux leur doivent encore aujourd’hui leur fortune. Cette famille est exemplaire sur ce point. Enfin, leur domaine est très bien entretenu, ce qui n’est pas une mince affaire quand on connaît son étendue. Pour La Hulpe et ses voisines du Brabant wallon, c’est un réel avantage de posséder une telle famille sur ses terres.  »

Enfin, les Janssen, c’est aussi une puissance foncière toujours impressionnante : outre le domaine situé en face du Château de La Hulpe, la famille possède également le golf de Waterloo à Ohain, le Sport-Village à Lasne ou encore, le bois d’Ohain. Des actifs regroupés autour d’Imbra, la société immobilière familiale.

Le manoir waterlootois des WASHER

Les Washer sont un bel exemple de ces familles qui ont vendu une partie de leur patrimoine foncier pour alimenter leur compte en banque. Au milieu des années 1990, Paul Washer a loti une dizaine des 45 hectares de sa propriété de Waterloo, située le long du Ring 0 en face d’Argenteuil. Le manoir est une des dernières grandes propriétés privées du coin. Elle appartient toujours à l’arrière-petit-fils d’Ernest Solvay. Aujourd’hui retraité, Paul Washer, 91 ans, a personnifié pendant de nombreuses années le groupe Solvay en tant que chief financial officer et a terminé sa carrière comme président de la Fédération des industries chimiques de Belgique. Il est aujourd’hui président honoraire de Solvac. Cette famille discrète qui préfère rester au coeur du domaine d’Argenteuil est encore influente à Waterloo de par son important mécénat.

Les Washer appartenaient à une dynastie d’industriels du textile de la région bruxelloise. Jean Washer eut quatre enfants : Philippe, célèbre joueur de tennis, Jacques (décédé en 1979), Edouard (d’Ophain-Bois-Seigneur-Isaac) et Paul. Ce dernier s’est bien marié puisqu’il a épousé Colette Zurstrassen, une parente directe des industriels et banquiers liégeois Nagelmackers.

JEAN-MARIE DELWART, l’homme de la Floridienne

Fortune faite et en fin de carrière, l’ancien patron du groupe chimique Floridienne a racheté en septembre 2004 les 136 hectares de l’ex-domaine royal d’Argenteuil, à Waterloo, pour la somme de 7,8 millions d’euros. Un domaine dans lequel ont habité Léopold III et la princesse Lilian. Il y a aménagé sa Fondation pour l’éthologie et la communication chimique, qui étudie notamment le comportement des animaux, une de ses grandes passions.

Le domaine est fermé au public et cet arrière-petit-neveu d’Ernest Solvay n’influence pas la vie waterlootoise. Depuis qu’il a pris sa retraite, son implication sur la vie économique – il a racheté une centaine de sociétés durant sa carrière – s’est également fortement réduite. La famille Delwart s’est retirée de la Floridienne en 2007, après une période tumultueuse au sein de l’entreprise marquée par une incompréhension sur la stratégie de développement du groupe industriel wallon.

Enfin, son cousin, Jean-Pierre Delwart, figure emblématique de la descendance Solvay,poursuit également une belle carrière. Ce Liégeois a notamment été nommé président de l’Union wallonne des entreprises (2009-2012). Mais il préside aussi, et surtout, Solvac (le holding de la famille Solvay) et est administrateur délégué d’Eurogentec, société active dans les biotechnologies. Notons que tous les deux sont d’actifs mécènes de la Chapelle musicale Reine Elisabeth.

Les derniers hectares des SOLVAY

Que pèsent encore les Solvay en Brabant wallon ? Sur le plan foncier, ils ne possèdent plus grand-chose à La Hulpe, seulement entre trente et quarante hectares autour du château du Long-Fonds (Ferme Rouge). Ils sont occupés par Jean-Marie Solvay, arrière-arrière-petit-fils d’Ernest, et sont situés juste à côté de l’hôtel Dolce (à qui ils ont aussi vendu le terrain). Patrick Solvay, arrière-petit-fils d’Alfred, possède toujours de son côté le golf de Hulencourt, à Genappe.

En fait, le patrimoine foncier des Solvay s’est effrité au fil des années. Ils ont notamment cédé à l’Etat les 227 ha du domaine éponyme, avant que la Région wallonne ne rachète le site. Un domaine équivalent en superficie (mais bien plus beau selon certains observateurs) est tombé dans l’escarcelle des descendants Janssen.

Rappelons que l’aventure des Solvay démarre avec Ernest quand, au milieu du XIXe siècle, celui-ci découvre la manière de produire industriellement le carbonate de soude. Au fil des années, Solvay va devenir l’une des plus importantes sociétés actives dans les domaines chimique, plastique et pharmaceutique. La famille est aujourd’hui très importante mais éclatée. Au fil des liens matrimoniaux, le nom Solvay va former une constellation qui recense aujourd’hui au moins 2 400 descendants dont les noms les plus connus sont Boël, Janssen, de Selliers de Moranville, Hankar, Delwart…

Les LIMAUGE ouvrent leur abbaye au public

On les connaît par la grande manifestation horticole qu’ils organisent deux fois par an depuis vingt-deux ans : les Limauge se partagent 52 ha autour du château d’Aywiers à Couture (Bois Grand Cortil). Ils possèdent le château d’Aywiers et ses dépendances. Alain Limauge et son épouse, Patricia, y habitent, de même qu’Yves Limauge et son épouse, Laurence de Meeûs d’Argenteuil.La famille détient également le Bois Eloi, d’une superficie de 20 ha en face de l’abbaye. Les Limauge gèrent ce parc de façon singulière : c’est une gestion  » ancien-régime  » faite de coupes et de replantations. Ils ont ouvert le domaine aux visiteurs de manière à pérenniser les lieux et financer son entretien.

La famille a bâti sa fortune au départ de l’usine de colorants Bleu Outremer construite en 1904 à Mont-Saint-Amand près de Gand. Elle est fermée depuis 1985.

Le généreux mécénat des DE LAUNOIT

Les de Launoit sont une famille d’industriels qui ont démarré au XIXe siècle comme petit fabricant d’allumettes et de cigares à Grammont avant que Paul de Launoit, fils du fondateur, ne rassemble toute la production belge et diversifie le groupe vers la sidérurgie. Paul possédait également la fibre artistique et musicale. Ce mécène rêvait de transformer le château d’Argenteuil, situé à Waterloo, en village d’artistes. Il financera en partie la construction de la Chapelle Reine Elisabeth en mettant notamment le terrain à disposition. Ses deux fils poursuivront, avec succès, dans la même veine entrepreneuriale et artistique. Jean-Pierre connaîtra une belle carrière dans le monde des affaires et, avec son frère, sera très impliqué dans le développement de la Chapelle Reine Elisabeth et dans le concours musical du même nom. Ils assureront l’un et l’autre la présidence de l’institution pendant de nombreuses années, Jean-Pierre étant même toujours aux commandes à 79 ans. Notons que le fils de ce dernier, Bernard, est également impliqué dans le fonctionnement de la Chapelle, dont il est actuellement le président du comité exécutif.

ROTTHIER et la brasserie Wielemans-Ceuppens

Thierry Rotthier, bourgmestre de Lasne pendant trente-cinq ans, est l’arrière-arrière-petit fils de Constance-Ida Ceuppens, fondatrice de la brasserie Wielemans-Ceuppens. Il a été le dernier directeur de la brasserie, en 1988. La famille Rotthier possède encore quelques dizaines d’hectares dans le centre de Lasne. Sa fille, Laurence, est bourgmestre de la commune depuis 2012.

Le domaine GANSHOF de Maransart

Marie-Thérèse Solvay possédait 600 hectares en Brabant wallon, dont 300 ha à Maransart. Son fils, André Ganshof van der Meersch, en a légué 150 ha à la Fondation Roi Baudouin en 2004. Les héritiers de l’autre fils, Yvan, ont par contre davantage la fibre des bâtisseurs. Encore aujourd’hui.

Les DE MEEÛS toujours à Argenteuil

La famille de Meeûs est à l’origine une famille bourgeoise de Bruxelles active dans le négoce et le monde bancaire. Elle a mis la main à la fin du XIXe siècle sur un domaine de 265 ha en bordure de la forêt de Soignes. Depuis 1920, elle en a vendu la plus grande partie. Il ne lui reste qu’une poignée de terres à Argenteuil.

Par Xavier Attout

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