Portraits de familles

DU BOIS : Spa vs Spadel, une relation d’amour-haine

Si vous demandez à un Spadois le nom d’une famille d’influence dans sa ville, après un temps d’hésitation, il finira immanquablement par mentionner les du Bois. Cette lignée entrepreneuriale bruxelloise n’est pourtant pas originaire de la ville d’eaux et a entretenu avec elle des relations tumultueuses.

Même si le succès du groupe international actuel tire ses origines des sous-sols de la ville thermale, ce ne sont pas les du Bois qui jetèrent les fondements de la société Spa Monopole en 1921 (bien que la fameuse eau était déjà embouteillée depuis le XVIe siècle), mais bien le chevalier verviétois Charles de Thier, aidé de quelques financiers.

C’est lui qui construisit la première usine moderne, qui commença à exploiter la source de la Reine et qui lança une exploitation industrielle, avec 15 millions de bouteilles produites en 1922 contre 2,9 millions deux ans plus tôt. Ernest du Bois, principal producteur de CO2 de l’époque à la tête de la société Acide carbonique pur, entra en 1923 dans le capital de la société qui connaissait des difficultés de paiement.

Il devint au fil du temps actionnaire majoritaire. Son fils, Guy Jacques, lui succéda et pilota le rapprochement avec Spontin et Bru pour créer Spadel en 1980. Dix ans plus tard, ce fut au tour de son fils aîné, Guy Bernard, de reprendre le flambeau, jusqu’à son décès des suites d’un accident de la route en 2000. Son frère, Marc du Bois, fut alors propulsé à la tête du groupe familial qu’il dirige toujours aujourd’hui et dont il détient 90,84 % des parts via sa société Finances & Industries SA. Il a été sacré Manager de l’année 2013 par Trends-Tendances.

Bien que l’usine Spa-Monopole emploie plus de 400 personnes, la famille du Bois n’a pas toujours bonne presse parmi les Spadois, qui la décrivent généralement comme peu impliquée dans la vie locale et qui lui reprochent certains choix. Comme celui d’avoir supprimé, l’année dernière, le sponsoring historique des Francofolies, ou celui d’avoir tenté de faire fermer l’aérodrome de Spa Malchamps, pour éviter les risques d’accidents et de pollution au-dessus de  » ses ressources hydriques « .

Des ressources hydriques qui ne lui appartiennent pas en propre, mais que Spadel exploite grâce à un contrat de concession qui la lie à la Ville. Et qui l’oblige à verser chaque année une redevance annuelle au litre embouteillé dont le total oscille entre 5 et 6 millions d’euros. Soit un quart des recettes communales. Personne, à Spa, ne peut donc réellement se permettre de ne pas apprécier les du Bois…

DUGARDIN : la fibre touristique en héritage

A l’origine, Gaston Dugardin avait jeté son dévolu sur la colline de Spaloumont pour y construire un centre de loisirs. N’ayant jamais réussi à obtenir les autorisations nécessaires, ce professeur d’histoire et de géographie à l’athénée de Spa avait fini par opter pour la cascade de Coo. Au bout de huit procès successifs intentés par un agriculteur local, il avait réussi à y implanter, en 1955, son téléphérique, première attraction d’un parc qui finira par occuper 120 hectares à Stavelot.

 » C’est à une quinzaine de kilomètres de Spa, mais cela contribuait au tourisme de la région. Des visiteurs venaient en autocar et faisaient un périple à différents endroits « , raconte Didier Dugardin, qui reprit Télécoo des mains de son père en 1976 et qui l’a dirigé jusqu’en 2005, pour ensuite le revendre à Studio 100, une entreprise flamande déjà propriétaire des parcs Plopsa à Hasselt et La Panne, faute d’intérêt de la part de ses enfants pour assurer la relève. Même si l’un d’entre eux, Arnaud Dugardin, n’est pas complètement éloigné du monde des affaires, puisqu’il est l’unique employé du Spa Waux-Hall Club en tant que chargé de relations (lire aussi en page 87).

Didier Dugardin n’a pas seulement revendu son parc, mais aussi le château de Targon à Stoumont, où il avait lancé un parc d’aventures et un parcours de kayak. Mais le pensionné n’est pas inactif pour autant : il gère désormais des gîtes de vacances de luxe.  » Ce n’est pas une retraite complète, mais c’est beaucoup plus relax ! Je n’ai plus des dizaines de personnes à gérer. Nous sommes juste deux : mon épouse et moi.  »

La fibre commerciale et touristique de ce Spadois remonte même au-delà de son père Gaston. Son grand-père maternel, Maurice Muller, fut l’exploitant du casino de la ville d’eaux avant la Seconde Guerre mondiale.

LEJEUNE : les discrets entrepreneurs

L’entreprise est plutôt du genre discret. Une journée portes ouvertes de temps en temps, quelques articles dans la presse locale à l’occasion d’un anniversaire, rarement de publicité. Elle en a d’ailleurs peu besoin : ses clients sont surtout issus du secteur public et font appel à elle pour des travaux de voirie (égouttage, asphalte, bordures…), des poses de conduites pour les impétrants ou de câbles divers. Et, de temps en temps, des travaux privés.  » Chaque jour, nous avons quarante à cinquante chantiers ouverts, qui durent d’une journée à un an « , détaille Yves Lejeune, son patron.

Si la société R. Lejeune & Fils est pudique, elle n’en reste pas moins le deuxième employeur de la région spadoise, après Spa Monopole. Son histoire s’écrit de père en fils. Avant 1960, la famille Lejeune était active dans la construction de bâtiments depuis trois générations à Winamplanche, petit village rattaché à la commune de Theux mais situé à quelques kilomètres à peine de Spa.

En 1960, René Lejeune s’éloigne du secteur de prédilection de son ascendance pour fonder sa société spécialisée dans le coulage de joints de dilatation sur les champs d’aviation belges. Dix ans plus tard, il crée une nouvelle division consacrée à la pose de câbles et de canalisations.

En 1983, René Lejeune décède inopinément. Son fils, Yves, qui travaillait avec lui depuis un an seulement, reprend les rênes.  » Contraint et forcé.  » Non qu’il se destinait à une autre carrière. Mais il n’avait alors que 20 ans.  » J’ai été beaucoup aidé par ma maman. Puis mon frère, Bernard, nous a rejoints en 1990 après des études d’architecture.  »

De cinq travailleurs à ses débuts, R. Lejeune & Fils ne cessera depuis de gonfler ses effectifs pour atteindre 130 personnes aujourd’hui. Elle déménagera en 1999 à Spa, sur un site autrefois occupé par l’école d’hôtellerie de la province. Ce changement de localisation donnera un coup de fouet aux activités.  » Aujourd’hui, la croissance continue même si elle n’est plus aussi exponentielle qu’avant. Notre chiffre d’affaires est d’environ 15 millions d’euros et notre objectif est de stabiliser l’entreprise.  »

La relève est-elle déjà assurée ?  » Mon frère a deux filles et moi trois fils, mais ils sont encore jeunes. On verra. Je n’ai que 51 ans, et Bernard 46. On n’en est pas encore là. Mais il est vrai que nous, nous baignions dans les activités de notre père, le bureau était dans la maison et la firme était notre cour de jeux. Pour nos enfants, c’est différent. Même si notre maison n’est qu’à 400 mètres.  »

Mélanie Geelkens

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire