Ce Triple portrait (1646-1648) serait en réalité un autoportrait des trois frères Le Nain. Le tableau est attribué à Louis et Mathieu. © National Gallery Photographic Department

Portrait de famille

Le Louvre-Lens rouvre le  » dossier  » des énigmatiques frères Le Nain, quasi sous la forme d’une investigation artistique. Explications.

On sait peu de choses des trois frères Antoine, Louis et Mathieu Le Nain, si ce n’est qu’ils sont originaires de Laon, aux confins de la Picardie, et nés entre 1603 et 1610. Ils s’établissent à Paris dès 1629, année où Antoine est reçu maître-peintre avant de devenir le peintre officiel de la ville de Paris, tandis que ses frères exécutent de grands tableaux destinés à décorer des églises parisiennes. En 1648, les frères, qui bénéficient d’un large succès et d’une vaste audience, seront tous trois reçus membres de l’Académie royale de peinture et de sculpture. Mathieu continue à peindre après la mort de ses frères avant de s’éteindre en 1677, laissant derrière lui plus de 200 tableaux. Que sont devenues toutes ces peintures, sans compter celles d’Antoine et de Louis ? Premier de plusieurs mystères enveloppant leur parcours : on n’en répertorie actuellement plus que 75, en Europe et aux Etats-Unis. Connaissant la rareté et la fragilité de ces oeuvres et sachant que 55 d’entre elles sont réunies à Lens, on mesure l’importance de l’événement, cette rétrospective étant la première qui leur soit consacrée depuis près de quarante ans.

Du pluriel au singulier

Antoine est le portraitiste de la fratrie. De lui, on n’a conservé que d’étonnants petits formats, peints sur bois et plus rarement sur cuivre. Corporations, religieux, musiciens, joueurs de cartes, familles : aussi bon éclairagiste que coloriste, il possède une parfaite dextérité qui fait merveille dans ses tableaux miniatures. On parle de Mathieu comme d’un ambitieux : il est celui qui a le mieux compris ce que le public attendait d’un peintre. Peinture religieuse ou d’inspiration mythologique sous influence caravagesque : nous sommes ici face à la grande peinture qui a fait la gloire du xviie siècle français, suscitant plus d’admiration que de réelle émotion. Louis est le  » génie méconnu  » du trio. On lui doit surtout les fameuses scènes paysannes qui ont fait toute la réputation des frères et bousculé les hiérarchies : les Le Nain sont les premiers à avoir traité les paysans avec une grande puissance d’émotion qui leur rend toute leur dignité.

Si elles existent, leurs spécialités ne suffisent pourtant pas à les départager. C’est là l’une des principales complications les concernant : les frères travaillent à deux et parfois à trois sur un même tableau, mais signent simplement  » Le Nain « . Les organisateurs de l’exposition ont choisi un double parti : différencier autant que faire se peut les tableaux peints par chacun d’eux d’une part, et ne rien cacher des difficultés d’attribution de l’autre (nombre d’entre elles ont été modifiées au cours de ces quarante dernières années, non seulement entre les trois frères mais aussi avec leurs confrères ou disciples contemporains). Explicitement intitulée  » questions disputées « , la dernière partie de l’exposition fait d’ailleurs la part belle à ces récents et passionnants désaccords : l’histoire de l’art est donc en train de s’écrire ou de se défaire sous nos yeux, ce qui n’est pas le moindre sujet d’intérêt de la manifestation. Rarement exposition aura d’ailleurs aussi bien porté son titre – Le Mystère Le Nain – car c’est avec plusieurs énigmes ouvertes, savamment entretenues tout au long du parcours, que ressortira le visiteur.

Le Mystère Le Nain, au Louvre-Lens, jusqu’au 26 juin prochain. www.louvrelens.fr

Par Bernard Marcelis

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