Populismo, no !

Fin de l’ère Kirchner et élection de Mauricio Macri en Argentine, déroute électorale des  » chavistes  » au Venezuela, scandales sur fond de crise au Brésil… Un an après le dégel Cuba-Washington, tout un populisme de gauche sud-américain commence à subir des revers. Où s’arrêtera l' » effet domino  » ?

Pour la première fois depuis le tournant du siècle, l’Amérique latine semble faire sien le slogan  » Le changement, c’est maintenant !  » L’histoire du continent s’est accélérée à la fin de 2015, un an après la poignée de main entre Raul Castro et Barack Obama. Et un cycle politique – celui du populisme de gauche personnifié jusqu’à la caricature par la figure charismatique de feu Hugo Chavez – semble toucher à sa fin. Ainsi, le 6 décembre, le président vénézuélien procastriste, Nicolas Maduro, successeur de Chavez, essuie une déroute électorale inattendue aux législatives. Après dix-sept ans de règne, le pouvoir chaviste perd le contrôle de l’Assemblée nationale : l’opposition remporte 112 sièges sur 167.

La fin de l’antiaméricanisme ?

Un peu plus au sud et quelques jours plus tôt, à Brasilia, la très impopulaire présidente Dilma Rousseff, qui, dans sa jeunesse, milita à l’extrême gauche contre la dictature (1964-1985), échappe de peu à une procédure d’impeachment fomentée par ses adversaires au Congrès. La procédure a fait long feu, mais l' » héritière  » de Lula demeure affaiblie par la crise et les scandales de corruption qui éclaboussent sa formation, le Parti des travailleurs (PT). Et la question de sa destitution pourrait revenir après les grandes vacances de l’été austral et le carnaval. Encore quelques jours plus tôt et toujours plus au sud, en Argentine, l’entrepreneur Mauricio Macri crée la surprise en gagnant la présidentielle. La courte victoire de l’ancien maire de Buenos Aires et ex-dirigeant du club de football Boca Juniors met fin à douze ans de règne kirchnériste incarné par Nestor (2003-2007) puis Cristina Kirchner (2007-2015), tous deux admirateurs de Cuba et alliés du Venezuela. En quelques jours, l’axe La Havane-Caracas-Brasilia-Buenos Aires est rompu.

De la mer des Caraïbes à la Terre de Feu, en passant par les Andes, un  » effet domino  » balaie la région. Tout d’abord, le dégel entre La Havane et Washington a privé le pouvoir vénézuélien de ses automatismes rhétoriques, à commencer par l’argument selon lequel la prétendue menace impérialiste américaine l’obligeait à gouverner sur la défensive – une commode excuse pour toutes ses erreurs, outrances et dérives.  » Au-delà du cas vénézuélien, le rapprochement américano-cubain a enlevé une contrainte idéologique et psychologique à la vie politique latino-américaine qui obligeait tous les dirigeants, même modérés, à ne pas négliger cette donnée antiaméricaine – véritable fonds de commerce pour certains – entretenu par le castrisme « , estime l’historienne vénézuélienne Elisabeth Burgos. De son côté le Vénézuélien Pedro José Garcia Sanchez, spécialiste de l’Amérique latine et maître de conférences en sociologie à l’université Paris-Ouest Nanterre, ajoute :  » Les Cubains ont, une fois de plus, été très habiles. Grâce à leurs services de renseignement, ils ont vu venir de loin le déclin du Venezuela et ont choisi le meilleur moment pour prendre leurs distances avec Caracas et se rapprocher de Washington.  »

Dans le même temps, le Venezuela de Nicolas Maduro perd un autre allié majeur : le Brésil. Empêtré dans sa propre crise économique, politique et morale, liée à la récession et au mégascandale Petrobras, le géant sud-américain (200 millions d’habitants, 7e PIB mondial) n’est plus audible hors de ses frontières. Pour la première fois depuis longtemps, l’ex-président Lula s’est ainsi abstenu d’apporter sa caution morale à la  » révolution bolivarienne  » comme il le faisait systématiquement, lors de chaque campagne électorale vénézuélienne, du vivant de Hugo Chavez.

A contrario, l’Argentin Mauricio Macri ne s’est pas privé de dénoncer le recul démocratique et les violations des droits de l’homme au Venezuela durant sa campagne présidentielle, qui, hasard du calendrier, était concomitante avec les législatives vénézuéliennes. Au soir de sa victoire, le 22 novembre, le gagnant s’est même affiché au côté de Lilian Tintori, épouse de Leopoldo Lopez, leader de l’opposition vénézuélienne et principal prisonnier politique du pays (selon l’opposition, le Venezuela en compte 75). Enfin, dès sa prise de fonctions, Macri a augmenté la pression sur Caracas en réclamant l’exclusion du Venezuela du Mercosur (marché commun sud-américain) au nom de la  » clause démocratique « . Celle-ci prévoit de suspendre un de ses membres s’il enfreint les principes démocratiques.

Autre nouveauté du paysage politique régional : la mobilisation d’anciens chefs d’Etats latinos pour stopper la dérive autoritaire d’un pays voisin. Ainsi, un groupe d’ex-présidents s’est autosaisi du  » problème vénézuélien  » en s’invitant à Caracas le 6 décembre, afin d’observer le bon déroulement des élections. Parmi eux, le Colombien Andres Pastrana, le Bolivien Jorge Quiroga, l’Uruguayen Luis Alberto Lacalle, la Panaméenne Mireya Moscoso et les Costariciens Miguel Angel Rodriguez et Laura Chinchilla. De son côté, le nouveau secrétaire général de l’Organisation des Etats américains (OEA, plus ancienne institution régionale du monde, fondée en 1948), l’Uruguayen Luis Almagro Lemes, avait préalablement pris sa plume pour écrire une lettre de 18 pages adressée au Conseil national électoral du Venezuela. Il exigeait le respect de la Constitution, des droits de l’homme et du processus électoral. Pour toute réponse, le diplomate uruguayen, qui fut ministre des Affaires étrangères dans son pays de 2010 à 2015, s’est fait traiter d' » ordure  » par Nicolas Maduro…

Finalement, c’est le ministre de la Défense lui-même, le général Vladimir Padrino Lopez, qui, sous la pression de sa base, a sauvé ce qu’il reste de démocratie. Il a prévenu le président de la République qu’il ne se prêterait à aucune manoeuvre destinée à modifier le résultat du scrutin. Lors d’une réunion très tendue, qui aurait dû rester secrète, il a retiré le soutien inconditionnel de l’armée au chef de l’Etat et au président de l’Assemblée nationale, Diosdado Cabello, l’autre homme fort du pays, soupçonné d’être à la tête d’un cartel de drogue et de blanchiment.

Après un supercycle économique, l’heure de vérité

En définitive, les électeurs ont en grande majorité sanctionné le gouvernement en votant contre les pénuries, contre l’hyperinflation (près de 200 %), contre la récession (la pire depuis soixante-dix ans, avec une chute du PIB de 10 %), contre la pauvreté et contre la criminalité (le Venezuela est, après le Salvador, le pays dont le taux d’homicides est le plus élevé du monde) : autant de maux à mettre au bilan des dix-sept années de  » révolution bolivarienne « .  » N’oublions pas, note toutefois Luis de Leon, un observateur avisé de la politique locale, que Nicolas Maduro contrôle encore les pouvoirs exécutifs et judiciaires et qu’il a la ferme intention de bloquer les initiatives du Parlement entré en fonction le 5 janvier 2016.  » Au reste, le successeur de Hugo Chavez a déjà prévenu que l’élection n’était qu’un  » processus contre-révolutionnaire appuyé par les Etats-Unis  » et destiné à imposer un programme  » néolibéral « .

En Amérique latine, c’est l’heure de vérité. Durant la décennie 2000, la demande chinoise et les cours élevés des matières premières (soja) et du pétrole ont artificiellement permis le  » miracle Lula « , la  » révolution bolivarienne  » de Hugo Chavez ou le redressement argentin (5,5 % de croissance en moyenne sous le règne des Kirchner) en masquant les faiblesses respectives de ces pays. Mais ce supercycle est terminé. Avec le ralentissement de la Chine et l’effondrement des cours du brut, on découvre aujourd’hui, tardivement, que rien n’est réglé. Au Brésil, la fracture sociale a été réduite, mais ni l’indispensable modernisation des infrastructures ni la lutte contre la corruption n’ont été menées en profondeur. Au contraire, la  » fête brésilienne  » (une décennie de croissance, avec un pic à 7,5 % en 2010) s’est soldée par des dépenses disproportionnées pour l’organisation de la Coupe du monde de football de 2014 et des Jeux olympiques de 2016, des scandales financiers à répétition et, pour finir, des manifestations, une récession (- 2,4 % en 2015) et un effondrement de la popularité de la présidente, Dilma Rousseff, tombée à 10 %. En Argentine, qui évite la récession de justesse en 2015, c’est un peu mieux.  » N’oublions pas que Nestor Kirchner a trouvé le pays dans une situation catastrophique en arrivant au pouvoir, en 2003 « , plaide un diplomate du Rio de la Plata.

L’échec du chavisme et, plus généralement, les revers de la gauche gouvernementale ne signifient pas pour autant la victoire de la droite.  » En Amérique latine, le débat se définit non pas selon un clivage droite-gauche, mais bien davantage par une opposition entre militaires et civils, entre la tradition du caudillisme du XIXe siècle et les tenants d’une modernité à l’européenne, entre idéologues et partisans d’une certaine rationalité économique, s’agace le Vénézuélien Pedro José Garcia Sanchez, en rappelant que l’opposition vénézuélienne est issue d’une tradition sociale-démocrate et que celle du Brésil se situe quelque part entre le centre gauche et le centre droit.  »

Dans l’ouest du continent, justement, le long de la côte du Pacifique, un groupe de pays s’organise autour de cette dernière idée. En 2012, le Mexique, la Colombie, le Pérou et le Chili ont créé l’Alianza del Pacifico. Le Panama et le Costa Rica sont également candidats à cette alliance qui représente 40 % du PIB régional et 228 millions d’habitants. Par comparaison avec l’axe La Havane-Caracas-Brasilia-Buenos Aires, la verticale Mexico-Bogota-Lima-Santiago affiche un dynamisme insolent. L’objectif ? Réduire les droits de douane, supprimer les visas, multiplier les bourses pour étudiants sur le modèle du système Erasmus européen ; bref, stimuler la croissance.  » Et surtout, insiste un diplomate colombien, ne pas gâcher ce beau projet en y mêlant un contenu politique et idéologique.  »

Par Axel Gyldén

Avec le rapprochement américano-cubain, l’influence de l’idéologie castriste sur la vie politique latino-américaine est moins prégnante

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