POLITIQUE

Pour ou contre l’élection directe des bourgmestres? Des projets de réforme sont sur la table. Mais les modalités posent problème

Depuis… 1836, les bourgmestres sont nommés par le roi. Même s’ils détiennent le premier pouvoir de proximité, les 589 maïeurs du pays n’ont pas le privilège d’être élus au suffrage direct. Tous les six ans, la population s’exprime en faveur d’une liste ou d’un ou plusieurs candidats. Dès le devoir électoral accompli, pourtant, des négociations souvent secrètes s’engagent dans les coulisses. Des accords préélectoraux sont confirmés, d’autres reniés. Dans 80 % des cas, dit le ministre wallon des Affaires intérieures, Charles Michel (PRL), le bourgmestre désigné est aussi le champion des voix de préférence. Un choix logique, donc. Mais chaque élection charrie son lot de contestations et de frustrations. « C’est précisément cette poignée de cas à problème qui crée une image détestable de la politique », commente le ministre libéral. Car le citoyen a parfois l’impression d’être dépossédé de son choix.

Parmi les pays de l’Union européenne, seuls les Pays-Bas et le Luxembourg s’accrochent à un mode de nomination des bourgmestres, jugé suranné par la plupart des spécialistes belges, des deux côtés de la frontière linguistique. Dès les prochaines élections communales, en 2006, cet héritage du passé devrait passer à la trappe. La Flandre, la Wallonie et Bruxelles actionneront le couperet: en vertu de la régionalisation de la loi communale et provinciale, effective depuis le 1er janvier dernier, elles ont désormais le champ libre pour déterminer le mode de fonctionnement des communes.

Au nord du pays, l’élection directe du bourgmestre a le vent en poupe. Le gouvernement flamand en a déjà adopté le principe. Reste à préciser les modalités. Qui sera l’heureux élu? Le vainqueur du suffrage, toutes catégories confondues? Le champion des voix sur une liste de majorité? Procédera-t-on à une élection spécifique, après celle du conseil communal? En Flandre, le soufflé est quelque peu retombé face à la crainte de déplier le tapis rouge à des maïeurs d’extrême droite et suite aux avertissements de deux universitaires gantois, Carl Devos et Herwig Reynaert, auteurs d’une étude fouillée sur le sujet: « Il ne serait pas opportun de passer à l’élection directe des bourgmestres, dont l’impact serait d’ailleurs très limité. »

En Wallonie, la réflexion progresse. Tous les partis n’ont pas encore dévoilé leurs batteries. Les débats internes ne manquent pas de piment, semble-t-il. « Notamment parce qu’en matière de droit électoral chaque ténor est implicitement influencé par sa situation personnelle », commente le politologue Pascal Delwit (ULB). Le PSC est le premier à sortir officiellement du bois. Exit la nomination en vogue depuis plus de cent soixante ans! Les sociaux-chrétiens proposent que les bourgmestres soient élus par les conseils communaux, en leur sein. Selon la présidente Joëlle Milquet, ce serait une manière d’augmenter leur légitimité politique, tout en évitant « les dérives du star-system ». Dans les rangs de la majorité, Ecolo défend une position relativement analogue. « Après le scrutin, l’élu qui compte le plus de voix sur une des listes qui forment la majorité devient candidat bourgmestre. Dans ce qui s’apparente à un second tour, il doit ensuite être soutenu par la majorité des conseillers communaux, appelés à s’exprimer sur cette candidature », explique le député Marcel Cheron. Les suggestions des Verts et du PSC ne s’écartent guère de celles formulées par Francis Delpérée (UCL). Dans un ouvrage publié le mois passé (1), le professeur de droit constitutionnel vante les vertus de l’élection dite « médiate »: « Le bourgmestre deviendrait l’élu des élus ».

Perçues comme de simples amendements à la situation actuelle, ces propositions sont jugées trop timides dans le camp socialiste et libéral. Elles ne peuvent être assimilées à une élection directe du bourgmestre et priveraient ainsi le corps électoral d’une intervention réelle dans le choix du premier magistrat communal. Ces derniers mois, le PS suit le PRL à la trace: les deux premiers partis wallons sont donc favorables au scrutin direct. Une formule envisagée: une élection à deux tours, à la française, dégageant une majorité claire et mettant en piste un bourgmestre qui était explicitement candidat à la fonction. Chez les deux partenaires les plus influents de la coalition arc-en-ciel, tout le monde n’est pas pour autant d’accord. A l’image de Jean-Claude Van Cauwenberghe, le ministre-président wallon, les socialistes comptent plusieurs réfractaires dans leurs rangs. Et des libéraux du sud craignent trop l’emprise du PS sur Liège ou le Hainaut pour s’engager, la fleur au fusil, dans cette voie réformiste.

« Un tel choix serait loin d’être anecdotique, estime Pascal Delwit. Car, politiquement, l’élection directe des bourgmestres ouvrirait la voie à un mode de scrutin majoritaire. » Contrairement au système proportionnel en vigueur actuellement – les partis politiques décrochent des sièges au prorata de leurs scores électoraux -, le système majoritaire favorise la « polarisation » de la vie politique: deux camps s’affrontent directement, ce qui facilite les choix de l’électeur. Inutile de dire qu’un tel système est honni par Ecolo et le PSC: il fragilise les partis de taille moyenne et réduite.

Pour autant, les socialistes et, surtout, les libéraux semblent soucieux d’éviter l’affrontement avec leur partenaire écologiste. Des formules de compromis sont techniquement imaginables. Même si l’enjeu est complexe: pour des raisons stratégiques, la fédération PRL-FDF-MCC (bientôt rebaptisée) souhaite des solutions transposables à Bruxelles… où les partis flamands ont leur mot à dire. « Si la Flandre et la Wallonie permettent à la population d’intervenir directement dans l’élection des bourgmestres, Bruxelles ne peut pas rester à quai », prévient le président Daniel Ducarme. Bref, il reste du pain sur la planche. Les partis francophones sont au moins unanimes sur un point: d’autres réformes doivent être menées en parallèle. Entre autres sujets « brûlants », il s’agit notamment de doter le conseil communal d’un vrai pouvoir de contrôle ou encore d’augmenter la participation des citoyens à la vie politique. Mieux qu’un argument publicitaire?

Avec 57 voix

(1) Dossier sur l’élection du bourgmestre, Francis Delpérée et Marc Joassart, éditions Bruylant, 2002.

Philippe Engels

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