POLITIQUE

Les malheurs de la Volksunie ne font pas les affaires du gouvernement Verhofstadt. Le danger se précise. L' »arc-en-ciel » pourra-t-il éviter une crise retentissante, à cinquante jours de la présidence belge de l’Europe?

Une hirondelle ne fait pas le printemps, selon le dicton. Même la naissance prochaine d’un enfant princier n’a pu détourner longtemps l’attention: dans de sales draps, Guy Verhofstadt et ses ministres frisent aujourd’hui la crise de nerfs. En cause? Les accords institutionnels du Lambermont et du Lombard sont actuellement dans l’impasse. Libéraux, socialistes et écologistes ont parié un coup de poker sur l’adhésion des nationalistes flamands de la Volksunie, invités à ratifier les textes controversés au Parlement fédéral. Mais le petit parti flamand a complètement perdu la tête. Ses divisions internes éclatent au grand jour. Quatre députés rebelles (sur les huit que compte la VU) sont entrés en croisade contre les projets de la coalition arc-en-ciel. Et, pour couronner le tout, un ministre « volksunien » du gouvernement régional flamand – l’expérimenté Johan Sauwens – vient de se compromettre lors d’une réunion de nostalgiques du nazisme (lire en p. 7), créant une polémique sans précédent au sein de l’exécutif. Bref, le parfum de crise devient étouffant. Or la Belgique sera prochainement sous les projecteurs de l’actualité: dès le 1er juillet, notre pays assumera, durant six mois, la présidence tournante de l’Union européenne. Gros stress en perspective…

1 Comment en est-on arrivé là?

Après les élections de 1999, des négociations relatives à l’avenir des institutions belges ont d’abord associé les partis d’opposition, comme le PSC et le CVP. Puis, face à un constat d’échec, le Premier ministre Verhofstadt a changé de stratégie et appuyé sur le champignon, misant sur l’apport de la seule Volksunie (associée au pouvoir en Flandre). En octobre dernier, le principe d’un « troc » était déjà acquis: un refinancement des Communautés pour satisfaire principalement les francophones, une autonomie fiscale accrue ainsi que plusieurs projets de régionalisation (agriculture, commerce extérieur, coopération, tutelle sur les communes…) pour répondre aux souhaits des Flamands. Signés le 23 janvier 2001, jour de la Saint-Polycarpe, les accords du Lambermont ont été peaufinés en janvier de cette année. Depuis lors, les ennuis n’ont cessé de s’accumuler. La Volksunie a désavoué ses propres négociateurs. Pour tenter d’amadouer l’encombrant partenaire nationaliste flamand, des discussions ont alors repris à Bruxelles, où les partis flamands ont obtenu une représentation politique garantie (au Parlement régional et dans les collèges échevinaux des 19 communes bruxelloises où le bourgmestre a été présenté avec l’appui d’un conseiller flamand), suite aux accords du Lombard. Cette fois, la VU a fini par se ranger du côté des partis de la majorité arc-en-ciel. Toute la VU? Non. Quatre députés fédéraux font de la résistance. Or leur soutien est nécessaire pour le vote des textes au Parlement.

2 Qui est responsable des difficultés actuelles?

La Volksunie, au bord de l’éclatement, échappe à tout contrôle. Elle est dirigée par un président intérimaire – Fons Borginon – bien embarrassé par l’affaire Sauwens. Par qui remplacer ce ministre influent du gouvernement flamand… favorable aux accords institutionnels? Fallait-il claquer la porte de l’exécutif? Au sein même du parti, coupé en deux, d’aucuns préparent leur départ vers d’autres cieux (SP, Agalev, CVP, VLD, Vlaams Blok). D’autres sont suspectés d’organiser la relance d’une autre formation, plus petite et… radicale. Serait-ce le cas des quatre frondeurs, parmi lesquels figure l’ancien président Geert Bourgeois? A Gand, celui-ci s’est offert un succès de foule, le dimanche 6 mai, au cours d’une manifestation rassemblant quelques milliers d’opposants aux accords. Surfant sur la vague d’un romantisme autonomiste, Bourgeois et les siens avancent des revendications imprécises. Ils pourraient être les ultimes fossoyeurs de la Volksunie, mais aussi des accords du Lambermont-Lombard, voire même du gouvernement Verhofstadt.

Mais la responsabilité de Guy Verhofstadt et de son parti, le VLD, est également engagée. Les libéraux flamands ont commis une erreur d’appréciation en n’anticipant pas la crise de la Volksunie. Pourtant, celle-ci se profilait depuis belle lurette. Verhofstadt a accordé une confiance exagérée au duo de négociateurs composé du ministre Bert Anciaux et d’un autre ancien président, Patrik Vankrunkelsven. Au sein de la VU, tous deux font partie de la même mouvance, pragmatique, sociale-démocrate et modérée.

Enfin, les partis francophones de la majorité doivent, eux aussi, se mordre les doigts. Ils auraient pu se prémunir contre la volte-face de la Volksunie et apparaissent aujourd’hui comme les grandes victimes des blocages actuels: alors qu’ils n’étaient en rien demandeurs il y a deux ans à peine, les francophones seraient particulièrement affaiblis en cas d’échec des accords ou dans l’éventualité d’une renégociation. Ces derniers jours, le PS n’a cessé de clamer que la Communauté française serait en état de faillite. Pas de quoi émouvoir le « partenaire » flamand, toujours à l’affût de la moindre faiblesse du côté francophone…

3 Entre Flamands et francophones, le fossé s’est-il irrémédiablement creusé?

Dans certains milieux francophones, la manifestation de Gand a rappelé l’incroyable intransigeance du Mouvement flamand: celui-ci se nourrit de ses propres revendications et… ne s’asséchera jamais. Même au lendemain d’un accord qui réalise une partie significative de ses aspirations autonomistes! Plus de vingt ans après l’échec des accords d’Egmont – pourtant équilibrés, ils avaient été descendus en flèche par la presse du nord du pays, bientôt suivie par le CVP- , la faillite du Lambermont compliquerait-elle, un peu plus encore, les relations entre les deux Communautés? C’est probable. « La clé du problème se trouve en Flandre, estime l’ancien ministre François Perin. Il faut se méfier des arrière-pensées qui peuvent fort bien animer les partis flamands, et, en particulier, le VLD. Ceux-ci ne seront-ils pas tentés de faire capoter les accords existants, en espérant obtenir davantage dans un an? » Plus que jamais, en tout cas, la Flandre profonde souffre de l’emprise du Vlaams Blok. A Gand, les dirigeants du CVP n’ont pas hésité à manifester aux côtés des « blokkers ». Et, chaque jour qui passe, la formation d’extrême droite doit se réjouir de l’émiettement du paysage politique, provoqué par sa montée en force. C’est une autre explication de l’impasse actuelle: vu le poids du Blok, on voit à quel point il est difficile de réunir de larges majorités démocratiques sur les bancs flamands du Parlement.

4 Le PSC peut-il sauver les accords? Vont-ils être votés?

L’arithmétique est simple. A la Chambre des représentants, il faut 100 voix sur 150 – soit la majorité des deux tiers – pour donner corps aux accords institutionnels. Or, pour l’heure, les compteurs restent bloqués à 96, en raison du refus des deux députés FDF et des quatre récalcitrants de la Volksunie. Ni les uns, ni les autres ne devraient changer d’avis. Reste à espérer l’appoint de quelques voix sociales-chrétiennes. Comme l’intransigeance du CVP ne fait pas de doute – le parti de l’ancien Premier ministre Dehaene rêve de renverser la coalition -, tous les regards se tournent vers le PSC. La présidente Joëlle Milquet et les siens sont aujourd’hui courtisés de manière singulièrement pressante: on les prie de prendre leurs responsabilités, sous peine de se rendre coupables de la liquidation de la Communauté française et de l’enseignement francophone!

Si 4 de ses 10 députés appuient sur le bouton vert, la réforme de l’Etat passera. Mais c’est improbable, dans l’état actuel des choses. Ces huit derniers mois, l’attitude du PSC n’a pas varié d’un iota: le parti « orange » a dénoncé la « démission en rase campagne » des francophones (surtout à Bruxelles et dans sa périphérie) et longtemps regretté de ne pas avoir été associé aux négociations décisives. D’ultimes concessions aux francophones – pour faire plier le PSC – sont impensables aux yeux des partis flamands. Dans les rangs gouvernementaux, on songe dès lors à une ultime astuce: l’abstention des sociaux-chrétiens francophones pourrait suffire pour permettre à la majorité de recueillir le quota des deux tiers des voix. Paradoxe de la situation: cette ficelle donne de l’urticaire aux partis flamands, qui redoutent une réforme institutionnelle « sauvée » surtout par les francophones.

5 Retournera-t-on bientôt aux urnes?

Même s’il échappe aux retombées nauséabondes de l’affaire « Sauwens », le gouvernement bleu-rouge-vert ne sera pas tiré d’embarras. A l’heure actuelle, pourtant, ministres et présidents de partis préfèrent affecter la sérénité. La thèse officielle est la suivante: si chacun assume ses responsabilités, au Parlement, la réforme de l’Etat passera les feux de la rampe. D’où la volonté de soumettre les textes au vote, malgré tout, à la fin mai ou au mois de juin. Secrètement, bien sûr, l’équipe Verhofstadt s’est réservé une porte de sortie: si les efforts diplomatiques, en coulisses, n’étaient pas couronnés de succès, le vote serait reporté au début de l’année 2002, après la présidence belge de l’Union européenne. Histoire d’éviter une déconvenue spectaculaire. « Mais les forces centrifuges seraient alors redoutables, avertit Pascal Delwit, politologue à l’ULB. Dans un tel climat d’incertitude, la légitimité du Premier ministre en prendrait un coup. Toutes les surenchères communautaires seraient possibles. Et les autres gros dossiers du gouvernement seraient gelés: à titre d’exemple, comment imaginer que les socialistes et les écologistes fassent le « cadeau » de la réforme fiscale aux libéraux, avant d’être assurés de la survie de la coalition actuelle? »

Une certitude, en tout cas: quoi qu’en disent les gouvernants, le rejet des accords institutionnels au Parlement signifierait la fin de l’expérience arc-en-ciel. Des élections seraient alors inévitables. Le CVP et… le Vlaams Blok pourraient s’en frotter les mains: tous deux ne cessent de se profiler sur le terrain communautaire.

Philippe Engels

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