POLITIQUE

Le gouvernement de Guy Verhofstadt ne compte plus les sources de tension. Mais, à défaut de retrouver le feu sacré, il faudra bien qu’il se calme

Serait-ce l’un des effets inattendus de ce printemps particulièrement pluvieux? Les couleurs de l’arc-en-ciel ont, en tout cas, singulièrement perdu de leur éclat. Seuls les adeptes de la méthode Coué discernent encore autre chose, dans le gouvernement de Guy Verhofstadt, qu’une « vulgaire » tripartite – ou, plutôt, une hexapartite – tiraillée entre ses multiples composantes.

Au niveau fédéral, les uns et les autres s’exercent à la musculation. C’est que la date symbolique du 1er Mai approche à grands pas, fleurant bon les brins de muguet et annonçant, comme à l’accoutumée, une certaine agitation dans les rangs socialistes. C’est pourtant Louis Michel, le vice-Premier ministre PRL, qui a ouvert le feu avec de virils propos sur la réforme fiscale (en résumé: « Il me faut la réforme fiscale et toute la réforme fiscale, sinon le PRL passera le gant »). C’est encore le PRL qui, à la Chambre des représentants, a invité la majorité à supprimer la cotisation de solidarité à charge des « grosses » pensions (à partir de 44 164 francs par mois). Le PS n’attendait que cela pour en découdre et se refaire une touche de rouge en réclamant l’augmentation de toutes les pensions et – pour compenser le manque à gagner budgétaire que générerait l’abolition de la cotisation de solidarité – la suppression des cadeaux fiscaux destinés aux contribuables les plus aisés. Ce faisant, Elio Di Rupo, le président du PS, et Laurette Onkelinx, « sa » vice-Première ministre, ont fait d’une pierre deux coups: ils se sont démarqués des libéraux (histoire de rappeler aux militants que « la droite » et « la gauche » ne sont pas solubles dans l’arc-en-ciel) et ont flatté les syndicats. Ces derniers, en effet, monteront sans nul doute au front le 1er Mai pour exhorter le PS à davantage de fermeté sur le plan social. Ils ont, en outre, d’ores et déjà annoncé qu’ils manifesteraient, le 20 mai prochain, pour défendre leur exigence d’une revalorisation de toutes les allocations sociales.

Les Verts pouvaient difficilement rester au balcon: ils sont donc, à leur tour, sortis de leurs gonds. Philippe Defeyt, l’un des secrétaires fédéraux d’Ecolo, a rappelé son attachement au principe du crédit d’impôt qui, d’après lui, devrait s’appliquer à tous les bas revenus. Sans doute n’est-il pas inutile, dans pareil contexte, de rappeler que, au début du mois de mars dernier, le gouvernement a approuvé tous les points relatifs à la réforme fiscale. Pas question, donc, de faire marche arrière et – quoi qu’en disent les socialistes – de revenir sur la promesse de supprimer les taux d’imposition les plus élevés. Ni – tant pis pour les rêves des libéraux et des écologistes – d’alourdir la barque en y ajoutant des points supplémentaires, tels le crédit d’impôt généralisé à tous les bas revenus ou l’élimination de la cotisation de solidarité.

Reste-t-il, dès lors, une marge de manoeuvre à l’intérieur de laquelle les « partenaires » de la majorité pourront continuer de se livrer à de petites surenchères? Oui: l’étalement des mesures de la réforme fiscale (par lesquelles va-t-on commencer et, par conséquent, quels contribuables va-t-on flatter en premier lieu?) est, lui, encore à l’étude dans les cabinets. Si, d’aventure, il venait encore aux représentants des différents partis une envie de se chamailler, ils pourront le faire sans trop de mal au sujet du choix de ces leviers.

Sur le terrain bruxellois, le climat n’est guère meilleur. C’est d’ailleurs là que réside la principale menace pour le gouvernement fédéral: le sort des accords de la Saint-Polycarpe et, dès lors, le refinancement des Communautés (lire en p. 14) ne dépendent-ils pas de l’issue des négociations institutionnelles qui se déroulent actuellement à Bruxelles? Ou, plus exactement, de la position qu’adoptera finalement la Volksunie dans le débat? Le problème est arithmétique: pour passer la rampe du Parlement, les accords de la Saint-Polycarpe doivent recueillir une majorité des deux tiers, que n’atteignent pas les seuls libéraux, socialistes et écologistes. Voilà pourquoi il s’agit de convaincre la VU. Laquelle, dans l’opposition au niveau fédéral mais associée à la majorité à Bruxelles et en Flandre, fait monter la pression sur le terrain régional. Officiellement, les négociations bruxelloises ne portent « que » sur trois points: le refinancement (récurrent ou non?) des commissions communautaires chargées des matières sociales et de l’enseignement, une meilleure représentation des Flamands au Parlement régional et le moyen d’opposer une parade à l’éventuel blocage des institutions régionales par le Vlaams Blok. Las! Ce menu est jugé trop frugal par les Flamands. Après avoir remis à plus tard son « évaluation », initialement prévue pour le week-end dernier, la VU revendique tranquillement, en choeur avec le VLD et le CVP, non seulement une augmentation de la représentation flamande au Parlement bruxellois, mais également l’assurance de compter au moins un échevin flamand dans chaque commune bruxelloise.

Et les francophones, dans tout cela? Après avoir cédé à la tentation de l’empoignade (le penchant naturel de Philippe Moureaux qui, décidément, supporte mal la cohabitation avec les libéraux), ils se disent aujourd’hui résolus à faire « front commun ». Mais ce « front » résistera-t-il longtemps aux impératifs du compromis annoncé? Certains semblent déjà se résigner à lâcher du lest. Les francophones, entend-on, bénéficient d’une surreprésentation au Parlement européen. Et, puisqu’on va réduire le nombre de mandats, « on » en profiterait pour rééquilibrer la donne au profit du nord du pays. Tétanisés par pareille perspective, les francophones accepteraient plutôt d’interpréter de manière « large » (pour paraphraser Jacques Simonet, le président du PRL bruxellois) la disposition légale qui permet de s’adjoindre un échevin surnuméraire dans les communes où les partis flamands font partie de la majorité. Las! Les Flamands ont déjà fait savoir tout le mal qu’ils pensaient de cette « largesse »: ils réclament un mandat échevinal garanti dans toutes les communes bruxelloises, même là où ils n’ont pas d’élus! Sur un autre terrain, en revanche, les négociateurs flamands ont fait preuve d’une certaine ouverture: ils ont en effet accepté d’ouvrir la discussion sur la suppression éventuelle de la double majorité (dans le groupe francophone et dans le groupe néerlandophone) qui, au parlement bruxellois, conditionne toute prise de décision politique. C’est l’une des pistes envisagées (mais pour combien de temps?) pour limiter la capacité de blocage du conseil régional par le Vlaams Blok.

De leur côté, sur un autre plan, les bourgmestres de la périphérie bruxelloise se disent sur pied de guerre. Ils viennent encore de confirmer leur volonté de poursuivre la « consultation populaire » sur la régionalisation de la loi communale et provinciale (dont l’issue ne fait guère de doute) et fourbissent leurs armes: le cas échéant, ils n’hésiteront pas à solliciter l’annulation, par la Cour d’arbitrage, du projet controversé de régionalisation de la loi communale.

Daniel Ducarme, le chef d’orchestre des négociations bruxelloises, se tient, lui, parfaitement – et habilement – coi. S’il devait échouer, cela retarderait sans doute (une fois de plus) son intronisation en tant que président de la fédération PRL-FDF-MCC. Mais un blocage à Bruxelles ne signerait pas nécessairement la fin du gouvernement arc-en-ciel: des « démineurs » fédéraux, Louis Michel et Guy Verhofstadt en tête, monteraient sans nul doute, au préalable, au créneau avec, dans leur besace, l’une ou l’autre petite idée susceptible d’éteindre la mèche. Quand décidera-t-on que la récré est bel et bien terminée?

Isabelle Philippon

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