Point et virgule, couple fusionnel

Le Vif/L’Express raconte l’histoire de ces signes qui ont changé la face de l’écriture.

Lorsque, en 1540, Etienne Dolet, dans son traité de ponctuation, précise que le point se met toujours en fin de phrase  » et iamais n’est en aultre lieu « , son insistance n’est pas de trop. Car le point (origine du mot ponctuation) s’est promené partout dans la phrase. L’Antiquité invente un premier système de ponctuation, repris plus tard sous Charlemagne : selon sa hauteur sur la ligne, le point change de valeur. En bas (ponctuation faible), à mi-hauteur (moyenne), en haut (forte). Les hauteurs n’étaient pas toujours évidentes à distinguer, surtout avec les écritures minuscules. Le Moyen Age mit en place des dispositifs complémentaires. C’est ainsi que le punctus versus (sosie de notre point-virgule) se substitua souvent au point haut (fort) pour clore la phrase. A partir du xiie siècle, la nature du point dépend moins de sa hauteur que de la lettre qui le suit : une minuscule rend le point faible, une majuscule le rend fort. Les noces définitives de ce couple occasionnel point-majuscule donneront, dès la Renaissance, notre point.

La virgule est née elle aussi d’un besoin d’éviter l’ambiguïté. Quand les écritures cursives du xiiie siècle se servent comme ponctuation faible d’une barre oblique appelée virgula suspensiva, elles évitent la confusion avec tout autre signe. La diastole, barre séparant les lettres soudées par erreur, l’a peut-être inspirée. Le succès de cette virgula rigide (qui survécut jusqu’au xviie siècle) est dû à sa différence et à sa complémentarité évidentes avec le point. Elle descendit et s’arrondit, au xve siècle, en Italie. Notre virgule était née.

 » Just a comma  » – c’est ce que l’Histoire retiendrait de la guerre en Irak. Ce  » rien qu’une virgule  » de George W. Bush fit scandale en septembre 2006.  » Never put a period where God has put a comma « , répliquèrent les partisans du président. Le point (period), signe roi de droit divin ; la virgule, son humble servante… Qu’on a tort de dédaigner, comme le montre Christopher Marlowe dans sa pièce Edouard II :  » Edwardum occidere nolite timere bonum est.  » Non-ponctuation scélérate :  » Ne craignez pas de tuer Edouard, cela est bien  » ou  » Ne tuez pas Edouard, il est bon de craindre  » ? Quand Jésus promit au bon larron :  » En vérité, je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis  » (Luc, 23.43), certains, d’après le théologien Hésychius de Jérusalem, préféraient ponctuer :  » Je te le dis aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis  » (lui claquant la porte au nez). N’oublions pas, enfin, la virgule qui distingue propositions explicatives et déterminatives :  » Les critiques, que j’admets, sont féroces  » (déplora-t-il) ;  » Les critiques que j’admets sont féroces  » (se vantait-il).

Pedro Uribe Echeverria

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