PLANIFICATION

Maastricht-l’industrielle a sauté à pieds joints dans la modernité, appliquant mot à mot la consigne européenne de « bâtir dans le bâti ».

Pour un Maastrichtois, les autres citoyens des Pays-Bas sont des boeren (ne dites surtout pas à un habitant de Maastricht qu’il est néerlandais, de peur de le vexer). Même Liège, sa grande soeur qui lui a ravi le siège épiscopal, en 714, lui inspire une tendresse toute protectrice depuis que le « vieil argent » l’a quittée. Fondée par les Romains, Maastricht a connu une histoire urbaine riche et variée, à l’abri de ses fortifications. Elle vibre aujourd’hui à la modernité postindustrielle, irriguée par l’argent du gaz et des fonds de pension, tirant profit d’un partenariat étroit entre les secteurs public et privé.

Pourtant, au début des années 70, la fermeture des charbonnages du Limbourg et le déclin des industries traditionnelles (céramique, verre, papier) auraient pu lui être fatals. Il n’en a rien été. Assurée de la solidarité nationale et douée d’un sens très batave de la planification, la coalition démocrate-chrétienne/socialiste, qui gouverne la cité mosane sans interruption depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, a décidé de la reconvertir en ville de services. En trente ans, la population universitaire est passée de 2 000 à près de 12 000 étudiants; un gigantesque centre de conférences a été édifié, le MECC, où vient de se tenir la plus grande foire d’art et d’antiquités du monde, le Tefaf. Avec un secteur hôtelier en plein boom (1 860 lits), des restaurants « étoilés », des boutiques qui figurent parmi les plus chères des Pays-Bas et une vie culturelle intense, la ville est devenue très attrayante, tant pour les touristes que pour le personnel international des entreprises qui s’y sont installées. Une réussite exemplaire, donc: Maastricht a gagné 10 500 habitants, en vingt-cinq ans, pour atteindre le chiffre de 122 000 âmes en 2000.

La municipalité applique à la lettre la consigne européenne de « bâtir dans le bâti ». Elle le fait méthodiquement, profitant de l’identité forte de ses quartiers. Le Vrijthof, le plus joli coin de la ville, à l’ombre de la collégiale Saint-Servais (Xe-XIè siècle), fait toujours l’objet de rénovations fines. L’architecte liégeois Charles Vandenhove y a réalisé un îlot, tout en limpidité et hardiesse, traversé par une ruelle dessinée par le plasticien français Jean-Pierre Pincemin. Pour donner une idée des prix affolants du centre historique, les deux derniers étages de la « tour » Vandenhove ont coûté à leur propriétaire l’équivalent de 50 millions de francs belges !

La « gentryfication » (c’est-à-dire le phénomène par lequel un quartier découvert par les intellectuels ou les artistes est ensuite recherché par les classes aisées et chasse la population d’origine plus pauvre) bat son plein à Maastricht. La municipalité tente, pourtant, de retenir ses habitants, par une politique de logements sociaux intra-muros. Ainsi, Frans Steffens, ancien directeur financier de la ville, et Hans Meertens ont-ils créé un bureau de consultance en développement urbain, très sollicité des deux côtés de la frontière. Ce duo de choc est le maître d’oeuvre du projet Wonen boven de winkels (« habiter au-dessus des magasins »), fondé sur un partenariat entre la ville, l’université et une société de logement. Il s’agit, en installant des appartements au-dessus des rez-de-chausée commerciaux des rues piétonnes, de revitaliser celles-ci et de permettre aux nouveaux venus de profiter des avantages urbains. Cent trente-neuf logements ont déjà été aménagés en hauteur, 65 sont en construction et une étude de faisabilité est en cours pour 120 autres. Même si l’accès de ces logements est parfois biscornu (par la sortie de secours du magasin, dans une autre rue) et impraticable pour une personne handicapée ou une mère de famille chargée d’enfants et de courses, cette ville aérienne, entre cheminées et (futurs) jardins suspendus, n’en est pas moins habitée.

Mais le projet le plus pharaonique de Maastricht est certainement le Centre Céramique. Il occupe une friche industrielle de 27 hectares, sur la rive droite de la Meuse, comprenant logements, bureaux, musée, bibliothèque, centre de recherche, grand café, etc., sous la signature des plus grands architectes contemporains. Le projet, dont l’achèvement est prévu dans trois ans, est financé par la municipalité, la province et l’Etat, à raison d’un budget total de 12 milliards de francs. D’autres friches attendent de subir de semblables « liftings ». Un détail, tout de même, qui permet de comprendre le caractère planifié et ambitieux de cette gestion du territoire: aux Pays-Bas, le titre de propriété privée ne pèse pas lourd lorsque la puissance publique a décidé d’une affectation du sol. L’évaluation d’un bien convoité par une municipalité est confiée à un juge, et les propriétaires, une fois le prix fixé, n’ont plus qu’à s’incliner devant ce « droit de préférence ».

M.-C.R.

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