Pistes utopistes

Le Prix Rossel Jean-Luc Outers poursuit son envie de créer des univers bien à lui. Il est à l’image de ce trio d’amis, qui tentent de donner corps à leurs idéologies.

De jour comme de nuit, par Jean-Luc Outers, éd. Actes Sud, 345 p.

Le Vif/L’Express : Vous estimez que  » la littérature aide à vivre « . Peut-elle aussi révolutionner le monde ?

Jean-Luc Outers : Plus que la presse, les livres nous disent quelque chose du monde, du totalitarisme ou de la bureaucratie. Alors qu’on vit dans l’accélération et l’immédiateté, le livre respecte le rythme biologique du corps. On atteint désormais Paris en une heure, mais il faut encore le même temps pour lire Proust. La littérature nous aide à comprendre et à appréhender le monde. Elle ne peut pas le modifier, mais l’émotion suscitée apporte une lueur d’espoir, voire une éclaircie chez les gens.

Ancré en Belgique, ce roman désire-t-il secouer  » ce royaume de pacotille, où la paix semble si naturelle, alors que la guerre sévit ou couve partout  » ?

Les livres que j’aime sont enracinés quelque part, or je déteste la littérature de terroir. Comment dépasser un lieu pour en faire quelque chose d’universel, telle est la question de l’art. C’est par la langue que l’écrivain transforme le réel en fiction. J’ai beaucoup écrit sur la Belgique et sur notre politique, prônant un sens ultime du compromis. Or à force de raboter les angles, on efface les différences. Lors de mes reportages, dans des contextes de guerre, j’ai compris que cette coexistence pacifique et cette entente cordiale ne sont pas si mauvaises que ça. Si je bénis notre société pour sa liberté d’expression, je dénonce le revers de la médaille, l’indifférence et le manque de débat de fond.

Vos héros rêvent de révolution et de liberté, pourquoi se heurtent-elles aux limites de la réalité ?

Mes personnages s’inscrivent dans ma génération, celle des années 1970, qui correspond aux grandes mutations sociales. Le rapport à la famille, à l’amour et à la sexualité y est remis en cause. En cette ère de plein emploi, ils ne se posent pas de question quant à l’avenir. Cette époque  » alternative  » propose plein de projets collectifs dans la culture ou la santé mentale. Bien qu’il soit impossible de changer le monde, on peut agir à sa modeste échelle. Désireux de modifier la société, mes héros imaginent une école pour les enfants inadaptés ou en rupture avec le monde éducatif. L’idée étant de leur redonner confiance en eux, afin qu’ils puissent réellement exister. Ils ont lu Marx ou Freud, mais n’ont jamais été confrontés à des gamins ! Ça ne les empêche pas de prendre d’énormes risques pour concrétiser leur projet. Or la liberté cesse là où commence celle de l’autre. Pour l’encadrer, on doit l’inscrire dans un contexte social. Le roman s’articule autour de deux thèmes : l’utopie, même si elle se fracasse sur le réel, et l’amitié que je place au-dessus de tout, tant c’est ce qui reste de ma vie.

Est-ce l’amour qui permet à vos héros de trouver  » l’énergie pour renverser des montagnes  » ?

Je saisis mes personnages à un âge entre deux eaux. Cette période courte, aussi rare qu’angoissante, au cours de laquelle tout est possible. Il s’agit d’un moment de flottement, où l’on est complètement ouvert à la vie. Après, les vannes se referment… La fin de l’adolescence est très riche car elle se prête aux basculements et aux hasards déterminants. Investis d’une incroyable énergie, mes héros veulent refaire le monde. Amour et révolution vont de pair. Lorsqu’on perçoit le monde à travers les yeux de l’amour, on assiste à une révolution intérieure. L’amour est toujours lié à une souffrance, mais mes héros  » à la Tatie  » parviennent à trouver une certaine forme de bonheur. Tout comme eux, je tiens à résister à l’injustice et à respecter le sens de la dignité.

Kerenn Elkaïm

 » Lorsqu’on perçoit le monde à travers les yeux de l’amour, on assiste à une révolution intérieure  »

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