Petits meurtres entre amis

Michel Delwiche
Michel Delwiche Journaliste

Dans moins de six mois, élections communales. C’est le premier test électoral belge depuis l’interminable crise institutionnelle.

Quels en sont les enjeux ? Quelles surprises espérer ou redouter ? Quels changements déjà actés ? Avec quelles conséquences ? Pour qui ? Que se trame-t-il dans les coulisses ?

Sous forme d’enquêtes, de reportages, d’interviews et d’expertises, les réponses, chaque semaine, jusqu’au scrutin du 14 octobre, dans Le Vif/L’Express.

Premier volet de la série : les losers et leurs tueurs.

Avant de livrer bataille, le 14 octobre, les partis affûtent leurs armes, en confectionnant les listes. Processus fort peu démocratique, qui échappe à l’électeur moyen et qui est contrôlé par un petit cercle, qui peut parfois s’apparenter à un peloton d’exécution. Trois exemples.

Saint-Nicolas : trois bourgmestres

P atrick Avril, condamné, a été forcé de démissionner. Son remplaçant, Birol Cokgezen, d’origine turque (comme saint Nicolas), a été destitué. Jacques Heleven achève le mandat. Michel Daerden conduira la liste.

A Saint-Nicolas (23 000 habitants), dans l’agglomération liégeoise, la bagarre au sein du PS (majorité absolue) est sanglante et l’éphémère bourgmestre Birol Cokgezen ne figurera même pas sur la liste emmenée par Michel Daerden, éjecté du maïorat d’Ans et qui compte bien se tricoter une nouvelle écharpe. Et pourtant,  » Michel Daerden est mon ami « , explique Birol Cokgezen, qui a été le chauffeur de l’ancien ministre et qui travaille encore pour lui  » en tant qu’expert « .  » C’est une drôle de situation, poursuit-il. Michel Daerden arrive à peine à Saint-Nicolas, et il se demande où il est tombé. Tous les élus sortants figurent sur la liste socialiste, tous sauf moi… « 

Pour comprendre, il faut remonter à 2006, année des élections précédentes. En avril, la liste PS est constituée. En tête, le député wallon et bourgmestre Patrick Avril ne doute pas de sa réélection. Mais l’échevin Abdelkarim Benmouna, 3e sur la liste, fait savoir qu’il brigue, lui aussi, le maïorat. Les règles ont en effet changé, et le bourgmestre sera désormais, en Wallonie, celui qui fait le plus de voix sur la liste la plus importante de la majorité, et non plus forcément le n° 1. Cela risque d’être serré, et le PS décide que seul Patrick Avril peut afficher sa bobine en grand. Benmouna, qui est le médecin de Michel Daerden, refuse de s’y plier, et Cokgezen, 26e et avant-dernier de la liste, également. A partir de là, ces deux hommes seront les cibles à abattre. En octobre, Patrick Avril obtient le meilleur score. Il est suivi par les deux allochtones qui, lors de la composition du collège, sont toutefois écartés.

En novembre 2009, Patrick Avril est condamné (faux, abus de biens sociaux…). Il refuse de s’effacer, et se fait couvrir par un certificat médical. Sa peine (un an avec sursis et inéligibilité de cinq ans) sera confirmée en appel, et son pourvoi en cassation, rejeté. Il jette enfin l’éponge. Entretemps, Benmouna, qui a fait une croix sur le maïorat (stupidement ?), a lui aussi démissionné, et Birol Cokgezen, désormais l’élu avec le meilleur score, prête serment de bourgmestre. Deux semaines plus tard, ses anciens camarades du PS votent une motion de méfiance et le destituent.

Jacques Heleven, 4e score en 2006, devient ainsi le premier magistrat, mais devra s’effacer à son tour : c’est en effet… Michel Daerden, imposé par une Fédération liégeoise du PS bien contente de lui trouver une porte de sortie et de régler du coup les malaises de Saint-Nicolas, qui emmènera la liste socialiste. A condition que ses amis en soient absents. Compensations : Cokgezen sera candidat à la province, où il n’a pas grand-chose à gagner, et Benmouna  » directeur de campagne  » de Michel Daerden. Le pied, pour tous les deux !

Charleroi : tué par ses  » camarades « 

Tué par les anciens caciques du PS carolo au pouvoir sous  » l’ancien régime « , Paul Ficheroulle va, après dix-sept ans de politique, chercher du boulot.

A Charleroi également, la donne a changé avec la démission du bourgmestre CDH Jean-Jacques Viseur, en février. Il avait déjà dû abandonner ses activités en septembre, pour cause de maladie, et c’est le premier échevin socialiste Paul Ficheroulle qui depuis exerçait les fonctions et qui s’attendait à le remplacer.

En octobre, c’est le ministre fédéral Paul Magnette qui conduira la liste PS. Il a déjà déclaré que, s’il restait au gouvernement, il se déclarerait bourgmestre empêché, et que son remplaçant serait le meilleur en voix.  » Moi, je me suis dit que ma meilleure préparation était de travailler comme bourgmestre, explique Paul Ficheroulle, et je n’imaginais pas ne pas aller jusqu’au bout de la législature.  » Mais les trois partis de la coalition (PS, MR, CDH) ont décidé de faire démissionner tout le Collège dans la foulée de Viseur, ce qui ouvrait la porte du maïorat à n’importe quel candidat présenté par le PS, et permettait d’écarter les inculpés.  » Paul Magnette m’a appris cette démission le vendredi soir, m’a averti qu’Eric Massin serait candidat, et que le comité directeur de l’USC (Union socialiste communale) voterait le lendemain, le samedi 4 février. J’ai compris que cela allait être difficile. Les amis d’Eric Massin lui avaient fait valoir que si je terminais la législature comme bourgmestre, j’avais de fortes chances de l’emporter. « 

Le résultat du vote est une gifle pour Ficheroulle : 26 votes sur 74. Eric Massin devient le nouveau bourgmestre de Charleroi. Le battu,  » flingué par son propre parti  » comme il le dit ce soir-là, annonce qu’il ne se présentera pas aux communales.  » Je ne pouvais plus continuer dans cette mascarade, se confie-t-il. Pendant cinq ans et demi, c’est moi, premier échevin, qui ai pris toutes les critiques, qui ai dû justifier toutes les décisions, souvent difficiles. J’ai été loyal. Je suis au PS depuis 1977, et je n’ai jamais vu ça. La règle, même si elle n’est pas écrite, veut que celui qui n’a pas démérité puisse aller jusqu’au bout de son mandat. J’ai interprété ce vote comme un signe de méfiance politique. « 

Cette défaite cinglante, Paul Ficheroulle l’attribue à sa rigueur par rapport aux affaires qui ont secoué Charleroi. Les anciens du PS, inculpés ou mis en cause, ne lui ont jamais pardonné d’avoir voulu jouer au chevalier blanc, et encore moins d’avoir  » pactisé  » avec l’ennemi, incarné par Jean-Jacques Viseur. Tandis qu’Eric Massin, lui, allait rendre visite en prison à l’ancien bourgmestre Jacques Van Gompel.  » Paul Magnette a joué les Ponce Pilate, analyse Ficheroulle. J’ai pourtant fait une partie du sale travail qui lui avait été confié par le parti en 2007. Ce n’est pas le ministre du Climat qui est venu mettre de l’ordre dans les marchés publics à Charleroi. Je n’ai jamais travaillé contre lui, j’ai voté plus d’une fois avec ses amis, et déjà nous avons été minorisés, lors des polls début 2011 sur la constitution des listes. Il s’est rendu compte que sa majorité était fragile. Si lui propose blanc, et que Van Cau et Van Gompel proposent noir, et si on doit voter, danger…  » Dans les bagarres internes, Ficheroulle a servi de fusible.

Paul Ficheroulle exercera son mandat d’échevin jusqu’à la fin de l’année.  » J’ai toujours des dossiers sur le feu, et par ailleurs je ne suis pas rentier, ni fonctionnaire, ni cabinettard. Après 14 ans au parlement wallon, et six à l’hôtel de ville, je dois retrouver du boulot. D’autant que je ne suis pas sûr qu’on viendrait me chercher pour les élections régionales de 2014. Je suis politiquement mort ! « 

Mons : gagnant par procurations au MR

S eul échevin MR (Finances) au milieu de la majorité PS montoise, Bernard Beugnies (64 ans) est taclé, à la surprise générale, par un jeunot à qui il doit céder la tête de liste.

Chez nous, explique Bernard Beugnies, c’est le bureau de la section locale qui établit la liste. Le bureau, ce sont des gens qui n’ont jamais réussi à se faire élire, et qui expliquent aux candidats comment ils doivent faire pour l’être.  » L’homme a connu quelques frictions avec ses instances locales. Lui qui, en juillet 2010, a repris au pied levé l’échevinat des Finances pour remplacer Richard Miller, devenu sénateur de Communauté, ne doute même pas qu’il va également lui succéder à la tête de la liste. Elu depuis 1976 et doyen du conseil communal, il est persuadé que l’expérience doit primer. Mais c’est sans compter avec l’arrivée d’un jeune loup de 25 ans, Georges-Louis Bouchez, qui n’est même pas conseiller communal, et qui revendique la place.

 » Richard voulait que ce soit moi qui emmène la liste, explique l’échevin. Nous avons expliqué à Georges-Louis que, s’il se cassait la gueule maintenant, il était politiquement mort, qu’il valait mieux qu’il attende, qu’il avait encore des choses à apprendre, et nous lui avons proposé la 3e place. Il n’a rien voulu entendre, et le bureau de la section a imposé des primaires, ce qui n’est pas la règle au MR. Mais c’est que, en 26 ans de carrière politique, j’ai eu le temps de me faire des ennemis…  » Voyant cela, une 3e candidature s’est déclarée, celle de la conseillère Catherine Hocquet.  » Je pensais qu’il n’y aurait aucun problème pour moi, poursuit Beugnies, mais je me suis rendu compte, trop tard, que le bureau avait soutenu Bouchez et l’avait aidé à rassembler un maximum de procurations. « 

Le 12 octobre 2011, à la surprise générale, Bernard Beugnies, grand favori, ne fait que le 3e résultat, derrière Georges-Louis Bouchez (38,25 %) et Catherine Hocquet (31,8 %), qui devront être départagés par un second tour.  » C’est pourtant moi qui ai fait se déplacer le plus de gens, explique l’échevin, mais lui a remis les procurations à l’entrée. Entre autres à des gens qui ont voté pour moi, qui avaient fait l’effort de venir. Je ne me suis pas méfié. Ce n’est pas de la tricherie, d’accord, mais cela ne correspond pas à l’esprit. Une procuration doit être justifiée par l’impossibilité de se déplacer. Ici, rien ! Au PS, il n’y a pas de procurations…  » Au second tour, le jeune loup l’emporte avec 51 %… toujours grâce aux procurations, affirme Catherine Hocquet qui, éc£urée, annonce qu’elle ne se présentera pas aux élections, et qu’elle quitte la politique. Ou plutôt, après un temps de réflexion, qu’elle quittera la politique à la fin de la législature : sa démission du conseil aurait en effet ouvert la porte au premier conseiller suppléant, à savoir… Georges-Louis Bouchez.

Depuis, Bernard Beugnies a soigné sa blessure, a fait une croix sur ses frustrations, sur ses regrets de ne pas avoir été plus soutenu par Richard Miller, qu’il avait introduit à Mons. Il est maintenant prêt à travailler avec le gamin.  » C’est un surdoué, dit-il, d’une maturité politique évidente, mais un beau gosse d’une ambition sans mesure, qui doit soigner son ego surdimensionné, même si son entourage n’est pas là pour l’y aider. Nous pourrions toutefois être complémentaires, moi avec l’expérience des dossiers, lui avec la façon de les emballer, la fougue de la jeunesse.  » D’autant plus complémentaires que Georges-Louis Bouchez et les conseillers MR actuels ont assuré à Bernard Beugnies qu’il resterait l’échevin MR, si la coalition actuelle avec le puissant PS montois est reconduite. Mais en politique rien n’est jamais acquis.

MICHEL DELWICHE

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