Péril en la demeure?

L’arc-en-ciel est sous tension. Il n’y a plus qu’à espérer que celle-ci soit un stimulant à l’action

« Ce gouvernement n’est plus un gouvernement de coalition, mais de cohabitation! » tonnait, récemment et fort virilement, Elio Di Rupo, le président du PS. C’est clair: il y a de l’eau dans le gaz de la majorité. Et cela ne déplaît sans doute pas à tout le monde: les difficultés à La Poste, qui font suite à la faillite de la Sabena, n’offrent-elles pas au PS l’occasion rêvée de réaffirmer avec force des valeurs et des accents « de gauche », que ses détracteurs – et ses militants – lui reprochent parfois de trop diluer dans la « pensée unique libérale »? L’avenir de La Poste et de ses travailleurs, la survie de petits bureaux – ils représentent, pour certaines personnes âgées, l’unique accès à un service bancaire… -, le respect de leurs usagers et, au-delà, le débat autour du fameux « service public universel », accessible à tous et à un prix modéré, constituent des chevaux de bataille idéologiques en or pour les socialistes. Inversement, ces mêmes thèmes assaisonnés à une autre sauce (l’absolue nécessité, pour les entreprises publiques, de se conformer aux lois du marché, les vertus des recettes du privé, etc.) permettent au VLD (davantage qu’au PRL, converti au libéralisme social) de battre prématurément campagne sur ses thèmes de prédilection.

Prématurément, vraiment? Dans les coulisses gouvernementales, la rumeur d’élections anticipées court, enfle, retombe et redémarre au gré des humeurs présidentielles, ministérielles et syndicales. Certes, la tension semblait quelque peu retombée mercredi, à l’issue du cabinet ministériel restreint au cours duquel Frans Rombouts, le « patron » de La Poste, a été « poliment » sermonné. Mais il reste impossible, à l’heure actuelle, de livrer le moindre diagnostic fiable sur la question: trop de bisbrouilles prévisibles figurent encore à l’agenda gouvernemental des prochains mois. Une chose est sûre, en tout cas: pas plus tard que cet été, le scénario avait été envisagé avec beaucoup de sérieux dans les états-majors de partis. A l’époque (le temps passe vite, en politique…), la formule aurait permis aux partis de l’arc-en-ciel de reprendre du service avec la bénédiction d’électeurs ravis par la promesse de distribution des fameux fruits de la croissance et encore tout ébaubis par la réforme fiscale. Elle aurait aussi – accessoirement – permis au PS de passer l’épreuve législative avant deux procès (Cools et Moriaux) qui pourraient réveiller les vieux fantômes socialistes. Et elle aurait plu au VLD, ravi de faire la nique électorale à un CD&V en proie à une véritable guérilla interne. Las! Depuis, les choses ont bien changé: la croissance est en panne, la Sabena n’est plus et la présidence européenne n’aura pas que des trophées à exhiber. Or il est plus facile, et de loin, d’annoncer des élections en pleine période d’euphorie que sur fond de grogne sociale et de corrections budgétaires douloureuses. Et, si l’on veut trouver un point de chute, encore faut-il qu’il soit bon: dans l’histoire politique de la Belgique, les partis qui se sont risqués à pareille aventure en ont, jusqu’ici, rarement tiré le moindre profit électoral. L’exercice s’avère encore plus périlleux lorsqu’on entend, malgré tout, prolonger le bail du pouvoir avec les mêmes partenaires (et telle semble être l’intention des partis de l’arc-en-ciel), qu’il faut donc se garder de blesser trop durement…

La bagarre actuelle autour des entreprises publiques pourrait donc se limiter à une joute idéologique sans conséquences irréparables. Il serait souhaitable, néanmoins, que celle-ci débouche réellement sur un débat de fond, élargi à l’ensemble de la problématique des entreprises publiques et des services du même nom, ainsi qu’à ce fameux « Etat social actif » porté au pinacle au début de la législature et quelque peu négligé depuis. Car, au-delà des mots, des menaces et des stratégies électoralistes, c’est bel et bien un débat important qui se noue, mobilisant des considérations politiques, certes, mais aussi économiques, sociales et éthiques.

Isabelle Philippon

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