PéCHé D’ORGUEIL

 » Nous avons gobé sans critiquer toutes ces histoires de produits financiers complexes. Quiconque ne suivait pas le modèle anglo-saxon, était mal barré.  » L’homme ainsi berné a passé l’âge d’un étudiant naïf. Il s’appelle Yves Leterme et confiait ainsi son amertume à la veille de rendre son tablier de Premier ministre, emporté par la saga Fortis. Aveuglement, crédulité, perte du sens critique le plus élémentaire : rude, le retour sur terre. Pour tous les doctes bardés de diplômes en économie et en finance, et qui n’ont généralement ni vu venir ni su prévenir cette crise systémique, c’est ce qui s’appelle prendre une grande claque. La science économique renoue avec une incertitude qu’elle avait cru pouvoir balayer de ses programmes.  » Nos universités n’ont peut-être pas suffisamment joué leur rôle dans la mise en cause d’une certaine  » pensée unique  » : cette grande foi dans les mécanismes de marché et les modèles mathématiques censés contrôler les risques « , admet Eric De Keuleneer, professeur à la Solvay Business School de l’ULB. L’économie s’est excessivement dépouillée de sa variable humaine, imprévisible.  » On est passé de l’enseignement du verbe à celui du chiffre. La finance n’est plus l’algèbre du droit, c’est la grammaire de l’économie « , constate le professeur de l’UCL et CEO d’Euronext Bruxelles Bruno Colmant, en confessant une dose d’humilité retrouvée.  » Je suis sorti des postulats. Je retrouve l’importance de la notion d’aléa. « 

Les campus belges ont docilement emboîté le pas aux Etats-Unis qui indiquent la voie à suivre.  » L’enseignement a suivi les développements de la science économique nord-américaine, très formalisée, très axée sur une culture de  » science dure  » « , observe Jean-Luc De Meulemeester, professeur d’histoire économique à l’ULB. La contagion a viré au dogme.  » Il y a comme une foi dans un ordre mathématique du monde social et économique.  » Tout ce qui pouvait contrarier cette croyance et donner un supplément d’âme à la science économique sentait l’hérésie. Les leçons de l’histoire, si riche en ruptures et déséquilibres comme en témoigne la crise de 1929, ont été reléguées dans des cours dilués dans un foisonnement d’options. La logique de la rentabilité immédiate domine.  » Les étudiants ont tendance à sélectionner des cours qui ont une valeur marchande plus grande pour leur avenir professionnel « , admet un professeur. Il en sort des générations d’économistes frappés d’amnésie. Mal armés pour poser les questions qui dérangent ou qui fâchent.

P. Hx

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire