Pauvres et flamands

A Anvers, les plus démunis se retrouvent deux fois par semaine au Kamiano. Ou l’autre visage de la Flandre prospère et dynamique.

Repas chaud et accueil amical. Deux fois par semaine, entre 300 et 400 démunis d’Anvers se retrouvent au Kamiano, sorte de restaurant du c£ur situé entre la Groenplaats et les docks, dans un ancien couvent ressuscité par la communauté Sint-Egidius. Kamiano, comme le surnom donné au Père Damien par les lépreux d’Hawaii. Ici, c’est Ceylan, un Turc de 37 ans et qui habite aujourd’hui un logement social après avoir dormi sur les quais. Là, c’est Christian, un chanteur qui engloutit ses maigres deniers dans le traitement de son cancer. Trois tables plus loin, voilà Isabel, trois enfants, victime de violences conjugales et qui se retrouve sans le sou. Elle est flamande, comme la plupart des démunis.  » Le plus souvent, cette pauvreté est circonstancielle, témoigne Hilde Kieboom, la présidente, et auteure de L’Evangile dans la ville (Fidélité, 2007). Elle ne se transmet pas de génération en génération, comme souvent en Wallonie. L’autre grande différence est le développement, en Flandre, d’une pauvreté liée au désespoir, car ces gens n’ont plus personne à qui se raccrocher.  » Les maladies psychiques sont donc en forte augmentation, aggravées par la consommation de drogues et d’alcool :  » La combinaison de ces facteurs, surtout s’il y a présence d’enfants, nous confronte à des situations parfois très difficiles à gérer « , avoue Hilde.

La communauté Sint-Egidius, animée par des dizaines de bénévoles laïques, pour la plupart des jeunes, est elle-même une émanation de la communauté catholique Sant’Egidio de Rome, active sur plusieurs fronts : dialogue interreligieux, rapprochement entre cultures et générations, médiations au service de la paix, notamment au Burundi et en Algérie. Résorber les conflits pour diminuer la pauvreté, tel est leur credo. Une antenne de Sant’Egidio est présente à Liège et, depuis peu, à Bruxelles : tous les jeudis, distribution de repas à l’église du Finistère pour les sans-abri. Au siège de l’équipe anversoise, des douches, un coiffeur et un médecin sont à disposition le samedi. A l’étage, l’école de langues  » Yaguine et Fodé « , du nom des jeunes Guinéens retrouvés morts en 1999 dans le train d’atterrissage d’un avion de la Sabena. Et au rez-de-chaussée, une maison de repos à l’esprit très familial, pour une dizaine de seniors. Tous ces projets d’accueil sont marqués du sceau de l’amitié, ce surplus d’âme que Hilde Kieboom et son équipe entendent donner à leur démarche.

Susciter des liens

Ce n’est pas tout : la communauté a ouvert dans les quartiers moins nantis de la métropole six écoles de devoirs, pour freiner le décrochage scolaire.  » En Flandre, l’hypocrisie est évidente, souligne Hilde. D’un côté, l’image d’une société forte et dynamique, avec un marché du travail performant; de l’autre, la mise à l’écart de ceux qui ne s’y adaptent pas. Et la crise n’a rien arrangé.  » Diriger les gens vers les CPAS ou égrener leurs droits ne suffit pas, selon Hilde :  » Il faut aller plus loin que le discours administratif et susciter davantage de liens entre les gens, sinon on ne résoudra rien. L’aide structurelle ne doit pas empêcher la rencontre personnelle. A chacun d’y mettre du sien et d’agir là où il est.  » Chaque année, le moment fort reste la commémoration des démunis décédés au cours de l’année écoulée. L’église Saint-Charles- Borromée baigne alors dans une atmosphère d’encens et de bougies.  » La mort est très présente dans leur vie, rappelle Hilde. Elle intervient souvent de manière prématurée et violente. « Aussi, cette cérémonie agit presque comme une consolation : ils savent déjà qu’ils ne seront pas oubliés.

FRANÇOIS JANNE D’OTHÉE

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