Paradis éternels ?

Gibraltar fait partie du club très sélect des paradis fiscaux. Ce sont ces microterritoires, parfois exotiques, qui accueillent anonymement des capitaux étrangers et dont la législation fiscale est très laxiste, voire quasi inexistante, attirant ainsi de grosses fortunes privées, des entreprises interlopes et, même, des criminels internationaux. Ces eldorados financiers sont alimentés par des revenus licites de contribuables qui cherchent à échapper au fisc du pays où ils résident, mais aussi, souvent, par des revenus illicites générés par diverses activités illégales (contrebande, corruption, abus de biens sociaux, trafics d’êtres humains, d’armes ou de drogue)

Comment reconnaît-on un paradis fiscal ? Outre la très faible taxation sur le revenu, le secret bancaire y demeure une religion et l’anonymat des clients de banques un rite sacré. On y bénéficie de zones franches, on peut y ouvrir des comptes en diverses devises. La plupart des titres financiers sont « au porteur ». Le contrôle des activités financières, quand il est appliqué, y est très faible. Un banquier n’est pas obligé de signaler aux autorités judiciaires les opérations douteuses. Enfin, le blanchiment d’argent n’y fait l’objet d’aucune poursuite pénale. Ou, alors, la notion même de blanchiment est très restreinte.

Les paradis fiscaux n’ont jamais été aussi prospères et nombreux qu’aujourd’hui. Combien sont-ils ? Le groupe Attac (Association pour la taxation des transactions financières pour l’aide aux citoyens) en recense entre 60 et 90, comptabilisant tous les territoires et les Etats qui offrent un régime législatif et fiscal favorable aux détenteurs de capitaux. De son côté, l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) a établi une liste de 47 régimes fiscaux préférentiels de par le monde, dont 35 peuvent être qualifiés de paradis fiscaux.

Le Forum de stabilité financière (un groupe de travail créé par le FMI) dénombre, lui, 42 zones off-shore et fait la distinction entre celles qui coopèrent avec les autorités de régulation financière (Luxembourg, Suisse, Jersey, Guernesey…), celles qui se montrent moyennement coopératives (Gibraltar, Andorre, Monaco…) et celles qui ne coopèrent pas du tout (les plus nombreuses : elles sont 25, dont le Liechtenstein). Par ailleurs, le Gafi (Groupe d’action financière, qui dépend de l’OCDE) a épinglé 15 Etats qui refusent de coopérer en matière de lutte contre le blanchiment d’argent sale. Parmi ceux-ci, on retrouve surtout des paradis fiscaux, comme le Liechtenstein, les îles Caïman ou Panama.

Les zones off-shore sont apparues dans les années 20. Mais elles se sont surtout développées à partir des années 70, lors de l’émergence d’un grand flux de pétrodollars et dans le contexte de la libéralisation des mouvements de capitaux. Leur histoire est étroitement liée à celle des pays industrialisés. Ce n’est certainement pas un hasard si ceux-ci les ont tolérées jusqu’ici. Mais, depuis quelques années, la tendance semble s’inverser. Les paradis fiscaux sont montrés du doigt, y compris par les grandes institutions internationales. En effet, le phénomène a pris une ampleur telle que l’économie classique en pâtit. Selon un rapport de l’ONU, les actifs cachés dans les établissements bancaires off-shore par les grandes fortunes privées s’élèvent à 200 000 milliards de francs, soit plus de 3% de la richesse mondiale. Et ce bas de laine augmente de 12% chaque année. Il était donc temps de réagir.

Pour l’instant, c’est l’Europe qui se trouve en tête du combat. Dans le cadre de l’harmonisation fiscale, les ministres des Finances des Quinze ont adopté, à la fin de novembre 2000, un calendrier pour le démantèlement des eldorados financiers européens avec 2005 comme date ultime. Mais il ne faut pas crier victoire trop vite. En fait de démantèlement, il s’agit de la négocation d’un code de conduite qui n’est pas contraignant juridiquement. Le dossier est d’autant plus délicat que de nombreux Etats européens sont liés à des paradis fiscaux: Grande-Bretagne (îles anglo-normandes, îles Vierges, Gibraltar…), Pays-Bas (Antilles néerlandaises, Aruba), France (Monaco, Andorre), Espagne (Andorre). Sans parler du Luxembourg qui est lui-même un paradis fiscal.

Thierry Denoël

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