Par les yeux de Virgile

Guy Gilsoul Journaliste

De l’image au texte ou du texte à l’image, le dernier ouvrage des éditions Diane de Selliers se parcourt au rythme du fabuleux voyage d’Enée, héros troyen fondateur de la latinité.

Après mille aventures, six ans de navigation, un grand amour, de rudes batailles et même une descente aux Enfers, un noble troyen du nom d’Enée s’installe avec ses hommes et ses dieux dans les collines albaines, bien connues aujourd’hui pour leur douceur de vivre et le frascati. Le texte, directement inspiré par celui d’Homère, offre au monde latin un récit-fleuve d’une incroyable poésie visuelle. Un récit non finito si on en croit l’auteur lui-même toujours en quête de remaniements, et qui, à la veille de sa mort, demande à Auguste, un des ses proches, de détruire le manuscrit. L’empereur n’y donnera pas suite et, deux ans après le décès du poète, l’ Enéide entre dans l’Histoire. Illustrée dès l’époque romaine, commentée, traduite, elle conquiert les siècles sans prendre une ride, habitant les salons tout autant que les ateliers d’artistes et les bancs d’école.

Cela faisait dix ans que les vers de Virgile titillaient la curiosité de l’éditrice Diane de Selliers. Oui, elle allait un jour s’attaquer à ce monument de la littérature. Alors, après avoir consacré des ouvrages à l’ Iliade et à l’ Odyssée d’Homère, à la Divine Comédie de Dante et au Décaméron de Boccace, il était temps de se mettre au travail. Comme souvent, il s’agira pour elle d’associer rigueur et poésie, texte et image, tout en faisant du livre un véritable objet d’art. L’aventure durera trois ans. L’équipe, comme toujours réduite, réunira une jeune philologue (Virginie Lérot), une responsable éditoriale (Joséphine Barbereau), trois assistantes et un graphiste de haut vol (Richard Medioni) secondé par sa muse. La première étape consistait à trouver, parmi tant d’autres depuis l’époque romaine, la meilleure traduction. Celle de Marc Chouet, en alexandrins libres, rendant au texte une musicalité essentielle, fit l’unanimité. Restait à construire l’ouvrage en cherchant des images qui puissent faire écho, sinon sens, à chaque page. Diane de Selliers se mit donc en chasse. La première étape consista à faire le tour des ressources iconographiques des agences et des musées. Parfois, la chance lui souriait. Mais il fallait aller plus loin. Comme Enée, elle fit donc un long voyage qui l’emmena de la Grèce à l’Afrique avant de rejoindre la Sicile, Naples et enfin Rome. On lui ouvrit les maisons de Pompéi, de Carthage et d’ailleurs ainsi que les réserves des musées. Parfois, dans la pénombre du jour déclinant, elle découvrait des fresques inédites, d’autres mosaïques dont elle photographiait l’ensemble ou plus souvent des détails que personne jusqu’ici n’avait sans doute vus avec une telle acuité. Habitée par le texte, elle cherchait le déclic, l’étincelle, faisant même des marques du temps ses alliées. Une crevasse, un fragment tombé, une perte de pigmentation. Ainsi, le portrait présumé de Virgile (conservé aujourd’hui au musée de Naples). Son apparition en pied devait, à l’origine, être situé sur le seuil d’une habitation. Aujourd’hui, en raison des fragments tombés et des décolorations, il surgit du noir comme d’une grotte qui pourrait être un enfer. Certaines images sont du coup incroyablement contemporaines. Oui, l’ Enéide, si on ose l’aventure, fait bien partie de notre imaginaire.

Virgile, Enéide. 2 volumes (tome 1 : texte français illustré par les fresques et les mosaïques antiques avec une préface de Philippe Heuzé ; tome 2 : texte latin illustré par l’ensemble des miniatures d’un codex du ve siècle gardé jusqu’ici dans le secret de la bibliothèque Vaticane). Diane de Selliers éd.

GUY GILSOUL

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