Oursler, fais-moi peur !

Rendez-vous au MAC’s, où l’artiste américain Tony Oursler invite les enfants de 7 à 77 ans à plonger dans ses fantasmagories.

De quoi les enfants ont-ils peur ? Dans l’atelier qui leur est réservé au MAC’s, à Hornu, leurs dessins témoignent : des araignées et des serpents, de Satan et des fantômes mais surtout du vertige. Or, de vertige, il est bel et bien question dans le parcours que propose l’artiste américain Tony Oursler dont il est peut-être bon de rappeler que le grand-père était un magicien, ami du célèbre Houdini. Nous voilà sur la bonne route. Celle de l’illusion qui fait chavirer nos certitudes, nous attire et nous ravit même et surtout quand elle réveille nos peurs.

La scénographie relève donc du spectacle avec son lot de lumières artificielles, d’ombres en mouvements et d’apparitions inattendues. On y croisera les images craintes des enfants, projetées en très (trop) grand sur les murs ou en petit (trop petit) sur des mini-installations avec lesquelles le visiteur entre en contact sur le mode d’une redoutable intimité. Et puisqu’il s’agit aussi d’une exposition pour les plus de 18 ans, Eros se dresse et prend l’habit de nudité animale, les poses lascives et la voix doucereusement chaude même quand la silhouette renvoie au cinéma muet.

Il y a aussi des feux et des flammes, des bruits de tirs et de menaces. I fuck you, assène une première vidéo. Oui, Oursler, né en 1957, revendique ses 20 ans au noir temps du punk. No Future des uns, Bad Painting des autres. Il aime la violence des têtes de mort peintes en noir ou accrochées comme des bijoux précieux, les yeux électriques comme ceux des loups par nuit sans lune. Il aime le diable en rouge ou en vert, cornu et les yeux brillants. Mais il demeure aussi l’enfant émerveillé devant les illusions proposées par son grand-père et le pouvoir qu’avait sur lui les images de la télévision :  » Je leur parlais « , avouera-t-il. Oui, il sera à son tour un magicien mais aussi un terrible sorcier :  » Un homme doit créer ou il meurt « , clame un des personnages de l’exposition alors qu’une voix féminine ajoute plus loin :  » Il n’y a pas d’émotion plus contagieuse que la peur.  »

Dès le début de sa carrière (Oursler est aujourd’hui l’un des artistes vidéastes les plus célèbres du monde), cet héritier des Méliès et autres Dario Argento, vise la passivité d’une société gavée, comme lui, de télévision et de cinéma populaire. Ses premières oeuvres vidéo, tout en bricolages faits main, plongent le spectateur dans un monde dont les héros sont des sachets en plastique gonflés sur lesquels il a dessiné un visage qui pleure et qui boit jusqu’à l’ivresse face à une prostituée en chaussures rouges dont les longues jambes sont en réalité les bras du cameraman lui-même. Drôle ? Non, grinçant. Au fil des ans, l’artiste va de plus en plus s’intéresser aux nouvelles technologies. De celles-ci vont naître les premières poupées-chiffon vidéo par lesquelles l’image filmée se projette dans les contours et le volume d’un ballon-visage.

Ainsi, dans une première salle du MAC’s, écrasé sous un matelas usé, un étrange pantin fixe le visiteur. Son corps est absent. Demeure le pyjama. Sa tête est une baudruche mais le visage est bien réel. Sa bouche se tord. Il parle, rit, souffre. Quelques années plus tard, Oursler se limitera à faire vivre un seul oeil. Ce sont alors des sphères, parfois monumentales que l’artiste pose, comme au MAC’s à même le sol. Dans les pupilles on peut voir le reflet d’un film, d’une série ou d’un moment de télévision et de même les réactions émotives que le regard exprime. Mais la pièce la plus impressionnante de l’exposition, Phantasmagoria (une commande du MAC’s) est un hommage à un illusionniste du XVIIIe siècle, Etienne-Gaspard Robertson. Elle se compose de plusieurs séquences entre lesquelles et par lesquelles le visiteur est aspiré. Oursler révèle ici, comme dans les trois mini-installations troublantes montrées dans un autre espace du musée, sa curiosité à la fois pour les sciences et les techniques de l’illusion, qu’elles soient historiques ou actuelles. Mais il use de ces trucages pour explorer les méandres et autres récits aux allures schizophréniques du cerveau humain. Vertige, disions-nous :  » C’est comme si, conclut l’artiste, vous ouvriez la boîte crânienne de quelqu’un et que vous regardiez ce qui se passe à l’intérieur.  »

Phantasmagoria, de Tony Oursler au MAC’s, 82, rue Sainte-Louise, à 7301 Hornu. Jusqu’au 23 février.

www.mac-s.be

A lire : Tony OurslerVox vernacular, par Denis Gielen, Fonds Mercator, 256 p.

Par Guy Gilsoul

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