Bars et restaurants fermés pour un mois: pour Thierry Neyens, président de la Fédération Horeca Wallonie, "une mesure prise sans preuves". © belgaimage

 » Où  » attrape-t-on la Covid?

Depuis le mois d’août, les autorités de santé recensent les foyers de contamination et les classent. Des données qui, selon les spécialistes, doivent être affinées.

Où? Où les chaînes de contamination se produisent-elles? Où courez-vous un risque plus grand? Les restaurants et les bistrots, même soumis à de fortes restrictions, favorisent-ils la propagation du virus? Est-ce vraiment à l’école, comme semble l’indiquer le rapport de l’Agence pour une vie de qualité (Aviq), l’organisme qui recense les clusters en Wallonie? Qu’en est-il du métro, de la salle de sport, du boulot?

Depuis le début de la pandémie, ces questions taraudent, légitimement, tout un chacun, sans guère de réponses claires. Et, en pleine deuxième vague, ces interrogations n’ont pas été tranchées. Qu’importe, pour tenter de la limiter, l’équipe du Premier ministre Alexander De Croo (Open VLD) a décrété la fermeture totale des bars et des restaurants pour une durée de quatre semaines. Le coup est rude pour les établissements de l’Horeca, qui pensaient pouvoir l’éviter, grâce aux nombreux efforts consentis pour respecter le protocole sanitaire. Depuis le jour de l’annonce, le vendredi 16 octobre, les professionnels de la restauration sont dans une colère noire, fustigeant des mesures prises « sans preuves », selon Thierry Neyens, président de la Fédération Horeca Wallonie: « On ne comprend pas sur quelle base chiffrée on s’est appuyé pour nous sacrifier à la place d’autres secteurs. »

Dans la très grande majorité des cas, on ne sait pas expliquer où et quand un patient a pu être infecté par le virus.

L’Horeca est-il sacrifié? Ou est-il un « hot spot », un véritable foyer de contamination? Il existe actuellement peu d’études actuelles qui permettent de clore le débat. Mais les politiques et les scientifiques se fondent sur des enquêtes réalisées à l’étranger. Ainsi le ministre de la Santé et des Affaires sociales, Frank Vandenbroucke (SP.A), fait référence à une note de l’ex-Gees (groupe d’experts), rédigée par sa présidente Erika Vlieghe, membre du Celeval, la cellule d’évaluation qui conseillait le Conseil national de sécurité (CNS). Son document mentionne trois études. La première menée dans un restaurant de Guangzhou, en Chine, en février dernier. Des chercheurs chinois ont démontré que plusieurs tables avaient été contaminées par le virus à cause de la recirculation de l’air permise par la climatisation, sous laquelle se tenait une personne malade. La deuxième évoque le Kitzloch, un bar « après ski » dans le Tyrol autrichien et devenu, en mars, l’un des principaux points de contamination du nord de l’Europe. Sur les vidéos postées sur les réseaux sociaux, on voit des dizaines de personnes chanter, collées les unes aux autres, bière à la main. Enfin, le rapport signale l’analyse de différents clusters à Hong Kong, publiée dans Nature Medicine, qui montre que les bars peuvent être des lieux de très forte contamination. Parmi les 1 038 cas de Covid-19 étudiés dans cette enclave chinoise entre le 23 janvier et le 28 avril, 106 sont reliés à la fréquentation de quatre bars à orchestre – la transmission du virus est suspectée d’avoir eu lieu par l’intermédiaire de musiciens qui se produisaient dans ces établissements. Mais cette étude souligne également le caractère superpropagateur de deux autres types de regroupement en lieu clos: un mariage et un temple, où un moine était malade.

Ajoutons encore l’étude la plus citée par les scientifiques, qui ne figure pas dans la note du Gees, mais sur laquelle se fonde Olivier Véran, le ministre français de la Santé, pour fermer, lui aussi, les cafés et les restaurants . Elle a été conduite par des épidémiologistes américains et publiée en septembre dans le bulletin hebdomadaire des Centres de contrôle et de prévention des maladies. L’enquête a sondé, en juillet, 314 individus, dont 154 testés positifs. Resserrée sur ceux n’ayant pas déclaré de contact avec un cas Covid-19, elle montre en effet que les personnes infectées étaient 2,8 fois plus nombreuses à déclarer être allées dans un restaurant et 3,9 fois plus nombreuses à avoir fréquenté un bar ou un café que les individus négatifs.

Les auteurs eux-mêmes reconnaissent des limites à leur étude: l’échantillon, venu se faire tester volontairement et qui ne représente pas la population américaine ; les déclarations spontanées des sondés qui peuvent avoir menti ou omis des situations à risque ; et, surtout, le fait que l’enquête ne distinguait pas les options de restauration, comme à l’intérieur du restaurant ou à une terrasse, ou encore le port ou non du masque par le serveur. De plus, ce qui est observé aux Etats-Unis n’est pas transposable en France ou en Belgique. Par exemple, les Américains fréquentent assidûment les centres commerciaux, généralement équipés de système de climatisation qui peuvent participer à la diffusion du virus.

Yves Van Laethem:
Yves Van Laethem: « Un cas contact, c’est quelqu’un qui reste sans masque, à moins d’un mètre et demi d’une personne contaminée pendant au moins quinze minutes. »© belgaimage

En Belgique, selon les données de l’Aviq, les collectivités présentant le plus de clusters sont d’abord l’école (46%), devant les débits de boissons et les restaurants (25% englobant la catégorie « autres », dont l’Horeca fait partie) et l’entreprise (9%).

Un faisceau d’indices

En plus de ces études, partielles donc, les experts s’appuient sur un faisceau d’indices mettant en lumière des situations dans lesquelles le risque est plus élevé. On sait que le coronavirus se transmet par des gouttelettes expulsées par la bouche et le nez lorsqu’on parle, tousse, éternue, mais aussi par des aérosols, ces microgouttelettes émises en permanence par la respiration. On sait aussi que le masque bloque une grande partie de ces gouttelettes. En toute logique, ce sont des activités pour lesquelles on est amené à enlever son masque et se rapprocher les uns des autres qui sont plus sujettes à contamination. Les repas en commun, les pots ou les pauses sont par conséquent des situations où les conditions d’exposition au virus sont réunies. De même, le volume sonore influe également: plus ce niveau est élevé, plus les interlocuteurs doivent pousser la voix, se rapprocher et expulser autant de postillons pour se faire entendre, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur. « Un cas contact, c’est quelqu’un qui reste sans masque, à moins d’un mètre et demi d’une personne contaminée pendant au moins quinze minutes. A part dans le cercle familial, c’est le genre de situation que l’on peut vivre dans un bar ou un restaurant, convient le professeur Yves Van Laethem, infectiologue au CHU Saint-Pierre et porte- parole interfédéral.

Peine perdue. L’Horeca a beau crier à l’injustice, désormais, la question du caractère super- propagateur de la restauration est devenue, pour Alexander De Croo, « obsolète ». Pour justifier la fermeture, le Premier ministre a expliqué qu’il fallait réduire les « contacts sociaux que vous ne devriez pas entretenir pour le moment » et éviter un «  »débordement dans les hôpitaux » ainsi que le « maintien des écoles et des entreprises essentielles ». Autrement dit, les dîners et apéros au resto et au bistrot étaient la seule variable d’ajustement qui restait au gouvernement pour réduire les interactions sociales sans réinstaurer un confinement. Car dans ces lieux, comme décrit ci-dessous et toujours selon les experts, l’alcool aidant, il deviendrait difficile de respecter les gestes barrières.

Des chiffres difficiles à lire

D’après les chiffres de l’Aviq, c’est au sein de la cellule familiale que le virus se transmet principalement. Mais qu’en est-il alors des lieux à préserver, l’école, l’entreprise, les transports en commun? Avec 481 clusters (survenue de deux cas Covid positifs confirmés dans un groupe endéans 14 jours) répertoriés dans les collectivités (chiffres arrêtés le 12 octobre), l’école serait le premier foyer de contamination (46% du total), devant les débits de boissons et les restaurants (25% englobant la catégorie « autres », dont l’Horeca fait partie), et l’entreprise (9%), auxquels il faut ajouter les écoles supérieures (18%) et les milieux de la petite enfance (2%).

Les politiques et les scientifiques se fondent sur des enquêtes réalisées à l’étranger.

Ces données, enregistrées par le suivi des contacts, concernent la Wallonie. En Flandre, selon l’organisme Zorg en gezondheid, elles diffèrent de celles de l’Aviq: en dehors de la famille, premier lieu de contamination, c’est d’abord au sein des amis que se transmet le virus, puis dans le cercle professionnel. Viennent ensuite les loisirs (les buvettes sportives, surtout). Et les constats de l’Aviq interviennent alors que l’Office de la naissance et de l’enfance (ONE) a publié, le 16 octobre, des informations rassurantes des établissements touchés. A la date du 11 octobre, 2 021 cas positifs étaient recensés dans les établissements maternels, primaires, secondaires et au sein des hautes écoles. Mais seuls 17% des cas peuvent être liés à une transmission au sein de l’école. L’ONE n’indique pas, par contre, la taille des foyers, qui peut aller à une poignée de cas à plusieurs dizaines.

Distance et masque dans un auditoire. Dans la plupart des cas, on ne sait pas expliquer où et quand s'est passée l'infection.
Distance et masque dans un auditoire. Dans la plupart des cas, on ne sait pas expliquer où et quand s’est passée l’infection.© belgaimage

Dans les espaces professionnels, le virus circule là où les gens sont en contact physique, comme dans les abattoirs et plus largement l’industrie agroalimentaire, mais aussi dans des bureaux où l’entreprise ne permet pas d’avoir seulement un employé sur deux présents et qui rappelle son personnel en présentiel. En fait, au travail, « quand on y réfléchit, il y a plein de moments où on enlève son masque ; quand on fume, pour manger, aller aux toilettes, mieux se faire comprendre d’un collègue », détaille Yves Van Laethem.

Quant aux transports en commun, des internautes, outrés, partagent des vidéos sur les réseaux sociaux, montrant des quais et des rames bondés. Si les usagers sont masqués, la distance sociale semble impossible à respecter: de telles conditions ne sont-elles pas propices aux contaminations? Les experts se montrent, pourtant, rassurants, rapportant des études qui disent que moins de 1% des contaminations ont lieu dans les transports en commun. La SNCB relève que, selon l’organisme britannique Rail Safety and Standards Board, le risque de contamination à bord d’un train est de 0,01% sur un trajet moyen d’une heure, et qu’il est encore réduit de moitié si les voyageurs portent un masque. Il faut en outre distinguer le moyen de transport: dans les bus, les trams ou les métros, on passe généralement moins de temps que dans un train, selon Yves Van Laethem. Autre élément notable aux yeux de l’infectiologue: dans les transports, « les gens sont masqués, se parlent peu, à part des invectives parfois ». Un masque qui change donc la situation: « Les surfaces, comme les barres, les mains courantes sont moins vectrices de transmission grâce au masque, vu que celui-ci nous empêche de postillonner dessus. » De son côté, la Stib fait valoir que l’ensemble du réseau (les bus, les trams, les métros, mais aussi les stations) est nettoyé et désinfecté quotidiennement, ce qui mobilise 340 personnes. L’opérateur bruxellois souligne aussi que si le trafic est de retour à la normale sur son réseau, les usagers, eux, y sont moins nombreux qu’auparavant: le taux de fréquentation n’est que de 70%. Ce qui n’empêche toutefois pas l’affluence aux heures de pointe, notamment le matin. « Si on a trop de cas, on pourrait devoir limiter les passagers au volume acceptable, pour ne pas avoir tous les sièges occupés plus toute la surface occupée par des gens debout, et augmenter la fréquence », avance Yves Van Laethem.

De tout cela, on comprend bien que les chiffres restent difficiles à lire. A la différence du mois de mars, il est possible, à l’aide des outils de traçage, d’identifier les foyers. Ainsi à Anvers, en juillet, les clusters sont apparus dans les communautés juive, marocaine et turque, par le biais de leurs jeunes qui fréquentaient des salles de sport et des lieux de loisirs: le virus s’est alors largement propagé de manière diffuse. A Bruxelles, Iriscare, l’agence chargée du tracing, repère les clusters, au sein desquels ont lieu 40% des nouvelles contaminations. « Dans ces 40%, 60% sont détectés au sein de familles ou de communautés (NDLR: en raison de la densité de population couplée à des revenus insuffisants), note Inge Neven, directrice du service d’hygiène de la Région bruxelloise. Sur les 40% restants, la moitié concerne les maisons de repos, l’autre, en entreprise. » Pour Yves Coppieters, professeur de santé publique à l’ULB, ces clusters ne disent pas grand-chose du mode d’exposition au virus: « Quand on détecte que, dans une école, cinq élèves sont touchés, cela ne dit pas comment ces élèves ont attrapé la Covid-19, ni où. Cela a pu se passer à l’école, mais aussi ailleurs. »

En d’autres termes, si l’on reprend les données de l’Aviq indiquant que c’est au sein de l’école qu’on trouve le plus grand nombre de clusters, c’est-à-dire le plus grand nombre de groupes de cas de personnes infectées (46%), cela ne signifie pas que 46% des infections ont lieu à l’école. De fait, si l’école, les hautes écoles, l’entreprise… représentent une part importante, c’est parce qu’on arrive à les identifier. Ce n’est pas le cas des bars, par exemple, où le consommateur est assis à côté de personnes qu’il ne connaît pas.

Les foyers identifiés ne sont donc qu’une partie émergée de l’iceberg. Dans la très grande majorité des cas, on ne sait pas expliquer où et quand un patient a pu être infecté par le virus. En cause: le traçage. « En Belgique, on s’est focalisé sur le contact tracing, mais pas sur le contact and source tracing« , explique Steven Van Gucht, virologue à l’institut de Santé publique Sciensano. L’optique, chez nous, a avant tout été de prévenir les personnes ayant eu un contact avec un cas positif, pas de savoir où la contamination a éventuellement eu lieu. « Il n’y a que récemment qu’une question a été ajoutée sur les sources potentielles de contamination. »

Sans ces données, difficile de comprendre au plus près comment les contaminations se multiplient dans certaines situations, de déterminer les interventions à mettre en place et, surtout, de tirer des conclusions sur l’utilité de certaines mesures. « D’où le recours au principe de précaution », conclut Yves Coppieters. Faute de mieux…

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