Or sur fond vert

Guy Gilsoul Journaliste

Si les enluminures sont généralement conservées dans les bibliothèques, d’autres, méconnues jusqu’ici, sont devenues, au fil du temps, la propriété des musées et des sociétés savantes. Une centaine d’entre elles dialoguent à Lille avec des bronzes dorés signés Jan Fabre.

Le vert, dit-on, était au Moyen Age la couleur du sorcier. L’or, utilisé par les enlumineurs, lui, renvoyait à la lumière divine. Jan Fabre, invité à dialoguer avec la centaine d’oeuvres anciennes réunies au Palais des Beaux-Arts de Lille, use à son tour dans la série de bronzes (Chalcosoma 2006-2012) de ces éclats miroitants. Mais c’est à lui aussi que l’on doit le choix du vert pour l’ensemble des murs qui enclosent le parcours. Le climat particulier qui en découle peut donc à la fois inquiéter et éblouir. Quoi de plus opposé, en effet, que les provocations de l’artiste et homme de théâtre flamand et ces images de piété tout en douceur ?

Les thèmes des enluminures exposées sont (à deux exceptions près) d’ordre religieux. Les miniatures (sur parchemin ou papier) illustrent des passages de la Bible, des Evangiles ou encore des partitions musicales. Petits tableaux de piété en pleine page ou lettres fleuries, elles invitent à la prière et, dans le cas des livres d’heures, rythment avec calme, la journée depuis les matines jusqu’aux vêpres. Or, l’univers de Jan Fabre n’est ni celui de la prière, ni celui de la contemplation. On peut dès lors s’étonner de cette confrontation. Certes, aujourd’hui, il est devenu banal de rafraîchir l’art du passé par la présence d’oeuvres contemporaines. Si le procédé s’avère souvent peu efficace, ici, au contraire, il séduit. Il oriente en tout cas une lecture de l’exposition favorisant d’abord l’observation des feuillets enluminés sous l’angle de l’imagination créative des artisans du Moyen Age et de la Renaissance.

En effet, si, une fois le texte écrit, la partie centrale des feuillets fait écho à la grande peinture, ses bordures laissent la place à des rinceaux, des arabesques, des hybrides et même des drôleries dont le jeune public reconnaîtra les parentés avec les décors et personnages d’heroic fantasy et autres jeux vidéo aux parfums gothiques. Le va-et-vient entre cet art ancien et l’oeuvre de Jan Fabre s’enrichit encore par la présence de quelques objets de curiosité sortis exceptionnellement des réserves du musée lillois.

Une perfection technique

L’attention se porte aussi sur la finesse des textures et des contours tracés voici parfois plus de neuf siècles. Jan Fabre, à son tour soucieux de cet aspect, frôle souvent l’art de l’orfèvre. La peau de son agneau (pascal) est lissée jusqu’à la stylisation. D’autres pièces, une carapace de tortue ou un ensemble de plumes d’oiseaux surmontant l’image d’un cerveau révèlent au contraire une qualité de moulage (empreinte) exceptionnelle. Quant aux prouesses des peintres d’enluminures, elles fascinent. L’extrême précision de la main ainsi que la maîtrise des nuances chromatiques invitent aussi le visiteur à distinguer les écoles (française, flamande, espagnole ou anglaise) et les styles, plus graphiques ici, plus picturaux ailleurs.

Mais, en longeant les oeuvres de Jan Fabre (ici, un sabre aux allures japonaises, là un scarabée ou encore une croix ou une crosse épiscopale montée sur un cerveau), un autre dialogue se met en place. Il aborde davantage le sens de diverses thématiques comme celui des vanités, de la finitude, de l’état de conscience modifié (par la prière dans le cas des enluminures) ou encore de la mesure du temps. Bref, des questions universelles auxquelles cette fois répondent de manière différente (voire opposée) l’artiste flamand et la tradition chrétienne. Pas question, en effet, pour Jan Fabre de s’en tenir aux codes de la dévotion. Pas question non plus pour lui de voir dans l’homme la seule dimension d’une spiritualité dirigée d’en haut mais au contraire de chercher l’immortalité à travers les produits du seul créateur, à la fois homme et dieu. A la fois lumière et sorcier. Or et vert. Lui.

Illuminations, au Palais des Beaux-Arts, place de la République, à Lille. Jusqu’au 10 février. www.pba-lille.fr

A voir aussi, dans l’atrium du musée, une autre série d’oeuvres de Jan Fabre : Hommage à Jérôme Bosch au Congo.

Guy Gilsoul

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire