Optimaliser n’est pas frauder !

Pour revenir à l’équilibre budgétaire, le gouvernement fédéral voudrait faire rentrer dans les caisses le maximum des moyens financiers qui lui ont, jusqu’ici, en grande partie échappé. Plus facile à dire qu’à faire…

Depuis le retour des libéraux à l’échelon fédéral, le chantier de la modernisation des finances et de la lutte contre la fraude fiscale a connu un envol certain. Non sans mal, il est vrai, l’informatique a fini par faire son entrée dans le département et ce, au point de voir aujourd’hui près d’un contribuable sur trois remplir sa déclaration fiscale via Tax-on-web. Reste bien entendu qu’au-delà de l’encodage des données l’informatique prend aussi de plus en plus le relais pour de mieux en mieux cibler les contrôles, que ce soit à l’IPP (personnes physiques), à l’Isoc (impôt des sociétés), à la TVA, aux douanes et accises, etc. Les résultats sont-ils à la hauteur des ambitions ? A entendre Bernard Clerfayt (MR), secrétaire d’Etat à la Modernisation des finances, à la Lutte contre la fraude fiscale et à la Fiscalité environnementale, adjoint au ministre des Finances, cela ne fait aucun doute :  » A côté des contrôles « routiniers » qui ont permis d’enrôler 2,33 milliards d’euros supplémentaires, les cinq « piliers » dans la lutte spécifique contre la fraude fiscale – datamining, gestion des risques, Inspection spéciale des impôts, service de recherche des douanes et lutte contre les carrousels TVA – ont engendré des enrôlements complémentaires à hauteur de 1,57 milliard d’euros : le meilleur résultat de ces cinq dernières années !  » Gros bémol toutefois : les chiffres évoqués par le secrétaire d’Etat sont des montants enrôlés. Et entre ce qui est enrôlé et ce qui est encaissé, il y a une marge que les services des Finances ne sont pas à même de pouvoir… estimer !

Les  » gros gibiers « 

L’argent qui rentre moins – ou ne rentre plus – dans les caisses fédérales est aussi le résultat de l’optimalisation de la base imposable des contribuables, parfois poussé jusqu’à son paroxysme, il est vrai, dans le chef de certaines (grosses) sociétés. C’est le cas d’Electrabel. Malgré des profits abyssaux, cette filiale de GDF-Suez arrive pour l’essentiel à échapper à l’Isoc ! Et point besoin pour elle de recourir à une quelconque fraude fiscale pour ne pas payer d’impôts, il lui suffit d’utiliser, en toute légalité, toutes les possibilités offertes par le code des sociétés et la législation fiscale pour ramener la base taxable le plus bas possible. Parmi les outils utilisés, citons notamment la technique des intérêts notionnels, particulièrement courue dans les entreprises les plus capitalisées, donc les plus grandes. Si Electrabel est dans les conditions pour profiter de nombreux avantages, elle est en effet loin d’être la seule entreprise d’importance à avoir optimalisé à ce point sa base imposable. Même topo chez InBev, le plus gros groupe brassicole du monde, toujours établi en Belgique, et ce malgré un bénéfice de l’exercice de 781,8 millions d’euros en 2008 (contre plus de 2 milliards en 2007). Idem au niveau de sa filiale belge (InBev Belgium) où les 339,6 millions de bénéfices réalisés en 2008 n’engendreront pas un seul euro d’Isoc. Et c’est sans compter sur la présence dans ses comptes d’un  » stock  » de pertes fiscales imputables sur des bénéfices taxables ultérieurs pour environ 155 millions…  » Je n’ai pas à me prononcer sur le cas précis de certains contribuables, quels qu’ils soient « , prévient Bernard Clerfayt. Qu’à cela ne tienne, il vient tout juste de prévenir de la mise en place prochaine (au 1er janvier 2010 pour Bruxelles, à l’horizon 2012 pour le reste du pays) d’un sixième  » pilier  » antifraude spécifiquement réservé aux grandes entreprises.  » Il faut une technicité particulière pour ce genre de contribuables, confie-t-il. Je pense par exemple à toute la question des prix de transfert et des refacturations entre sociétés d’un même groupe, surtout en présence de structures à l’échelon international… « 

Cela étant, sur le principe de l’optimalisation fiscale, Bernard Clerfayt estime n’avoir rien à reprocher aux entreprises qui en font usage.  » Les particuliers ne sont jamais en reste non plus quand ils peuvent profiter d’une mesure qui les amène à payer moins d’impôts ! Voyez déjà ce qu’il en est en matière d’épargne-pension ou pour ce qui relève des investissements générateurs d’économies d’énergie… « 

Fraude fiscale en aval d’autres fraudes

Last but not least, rappelons aussi qu’une partie de la fraude fiscale trouve sa source dans l’accomplissement d’actes par nature illégaux. Citons, par exemple, le commerce illicite de la drogue, d’£uvres d’art volées ou la traite des êtres humains.  » Derrière ces faits répréhensibles sur le plan pénal, il y a bien évidemment aussi des infractions à caractère fiscal, poursuit Bernard Clerfayt. Mais sauf à légaliser ce qui est illégal, l’efficacité d’une lutte contre ces actes aboutit à leur interruption, non à leur fiscalisation !  »

Le volet fiscal de la fraude sociale (cumul avec indemnités de chômage, absence de cotisations ONSS), bref, du travail  » au noir  » (pas de précompte professionnel, pas d’IPP, pas d’additionnels communaux), n’est pas à négliger non plus. Si les croisements de fichiers permettent d’objectiver certaines situations et de sévir, nous sommes encore très loin d’endiguer le phénomène de l’économie souterraine. Pour l’enrayer, Bernard Clerfayt proposera d’ici peu de nouvelles mesures encourageant les prestataires à travailler au clair à la demande de leur client. Un v£u pieux ? Le sujet mérite en tout cas qu’on médite au préalable sur le vieil adage qui dit que  » trop d’impôt tue l’impôt « …

Jean-Marc Damry

Entre les montants enrôlés et les montants encaissés, il y a une marge à inestimable

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