OPÉRA

La Petite Renard rusée selon Janacek symbolise la pérennité de la vie et de l’amour. Elle est mise en scène par Robert Carsen à l’Opéra de Flandre. Rencontre

Leos Janacek (1854-1928) avait 70 ans lorsque fut créée « sa » Petite Renarde rusée à l’Opéra de Brno, en Moravie. C’était le 6 novembre 1924. Le livret, de la plume du compositeur, était inspiré d’une savoureuse BD de l’époque écrite (en patois) par le poète morave Rudolf Tesnohlidek et illustrée par Stabislav Lolek.

« J’ai attrapé Bystrouka pour l’amour de la forêt et la mélancolie des années qui passent. J’ai joué avec elle comme si elle était apprivoisée. » Bystrouka, c’est le nom de la petite renarde, héroïne d’une pièce gaie avec une fin triste – fin que Janacek a lui-même réécrite en ce sens – « comme un rêve d’éternité et d’amour de la vie » (lettre à l’écrivain Max Brod, 13 juin 1925).

Cette oeuvre, qui compte parmi les chefs-d’oeuvre de leur auteur – et de l’opéra en général -, sera à l’affiche de l’Opéra de Flandre, à partir du 6 mai. Placée sous la direction musicale de Marc Albrecht, elle sera mise en scène par le Canadien Robert Carsen, dont on connaît la capacité formidable à associer la rigueur scénographique et les raz de marée émotionnels.

Petites bestioles

Selon l’exigeante habitude prise au cours d’un cycle Puccini mémorable ( La Fanciulla del West sera d’ailleurs reprise la saison prochaine), Carsen s’attaque à une nouvelle intégrale, consacrée cette fois à Janacek. On se souvient de la bouleversante Jenufa présentée la saison dernière. Carsen pourra-t-il en faire autant avec cette petite renarde, son drôle de monde forestier, ses bestioles, ses insectes, ses oiseaux, sa grenouille, son blaireau et, aussi, les hommes qui la fréquentent? Comment rendre lisible cette fantasmagorie philosophique? Question posée au metteur en scène.

« Janacek semble toujours plus simple qu’il ne l’est en réalité, lance Carsen. Son contact si spontané avec la nature ne doit pas faire illusion: la nature est très complexe à représenter sur scène, déjà s’il s’agit de forêts, de montagnes ou de ruisseaux. Que dire alors s’il s’agit d’animaux! Il est possible que, à l’époque de la création de la Petite Renarde, chaque animal ait eu un rôle bien défini: le blaireau faisait allusion au curé, la chouette à la femme du garde-chasse, etc. Pour ma part, j’y renonce: on pourrait tuer la magie. Il me semble plus important de transmettre globalement cet amour pour la nature qu’avait Janacek, pour l’eau qui coule au coeur de la forêt, pour la terre, pour les vrais paysans. Je n’ai pas voulu que ce soit mignon ou joli, mais, au contraire, que l’on ressente un certain poids, une rugosité. Celui qui a lu l’auteur comprend tout de suite cette sensation. Mais, en même temps, il s’agit d’une célébration festive, confiante, optimiste. »

Cette célébration n’est-elle pas, justement, exprimée par la musique de l’oeuvre? « La musique est en effet très joyeuse et, même, jubilatoire, mais pas tout le temps. Elle contient des couleurs d’automne, elle est traversée par la mélancolie d’un homme vieillissant dont on sait combien il était habité par l’amour. La mort de la petite renarde lui fournit l’occasion de méditer sur sa propre mort, et d’affirmer que la vie continue. Toute la musique de Janacek est habitée par une force incroyable; c’est un grand coeur qui bat, d’un rythme vital et juste. Ici, on a affaire à un opéra très condensé, aux scènes rapides et courtes, comme le frémissement de la nature elle-même. »

Carsen construit en général ses mises en scène autour d’un concept unique et, donc, contraignant, dans lequel il fait tout entrer, parfois au chausse-pied, mais toujours avec une grande efficacité dramatique. La Renarde, rusée comme on sait, n’a pas échappé à la règle: « Le concept est unique, dans tous les sens du terme, avec des petites surprises… Et l’important, pour nous, est d’avoir imaginé un espace scénique qui soit juste, qui ne soit ni gratuit ni trop représentatif. Pour entrer dans nos intentions, le public doit lui-même exercer sa créativité, faire aller son imagination, sa richesse d’association. »

Gand, du 6 au 16 mai. Tél.: 09-225 24 25. Anvers, du 24 mai au 3 juin. Tél.: 03-233 26 85. Avec Rosemary Joshua (la renarde), Hanne Fischer (le renard), David Pittman-Jennings (le garde forestier).

Martine Dumont-Mergeay

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