Opéra-danse à la grecque

Avec Theseus, création multimédia polyglotte en l’honneur de la présidence belge du Conseil de l’Union européenne, le tandem Chris Christoffels/José Roland plonge Thésée (et le public) dans un labyrinthe d’introspections.

Débordante d’enthousiasme, un peu gouailleuse et mêle-tout, la mezzo française Anne-Fleur Inizan ajuste son personnage d’Europe à celui de sa petite-fille Ariane, interprétée par la délicate soprano japonaise Tomoko Taguchi. Dans leur dos, particulièrement concentré, le contre-ténor français Nicolas Zielinski (Thésée) répète des mouvements compliqués et rampants, doublés comme en miroir par Rodney Kappar, un danseur néerlandais tout petit par la taille, mais souple comme une liane du Surinam, son pays d’origine. Dans les gradins, Minos, le ténor français Alfred Bironien, converse avec un sympathique Minotaure israélien. On attend encore la basse libanaise Shadi Torbey (Dédale) et Katerina Didaskalou, grande dame des planches athéniennes, qui tient ici le rôle d’une seconde Ariane narratrice…

Mais qui danse et chante quoi, finalement ? Ce n’est encore qu’une répétition (1), mais la modernité de la mise en scène, l’inouï de la musique contemporaine, l’abondance de nationalités et la complexité du mythe crétois (ces héros grecs ont quand même des destins confus !) laissent penser que le traitement apporté par le compositeur flamand Chris Christoffels et le plasticien wallon José Roland (le duo de la structure créative bruxelloise Artonaut) à l’histoire du fils d’Egée pourfendeur du monstre taurin… ne sera pas à la portée de toutes les méninges. C’est clair, voilà un spectacle difficile, pointu, intellectuel… ce qui n’enlève rien à son intelligence, à son harmonie et à l’extrême gentillesse de ses interprètes – ces jeunes gens-là, aux talents confirmés (beaucoup sont des anciens de la chapelle musicale Reine Elisabeth) s’apprécient mutuellement. Cela se voit.

Tout en opposition

Retravaillé d’après une première mouture ( Way of Theseus, à une seule voix) montée à Uccle en 2004, le spectacle s’est assez bien étoffé : outre les chanteurs, les danseurs et la raconteuse grecque, le couturier belge Jean-Paul Knott, le roi du drapé, a emballé les tragédiens dans des costumes amples et hiératiques (d’anciens kimonos customisés), magnifiés par des éclairages LED que Christoffels, également metteur en scène, chorégraphe et vidéaste, a voulus  » enveloppants et acidulés « . L’impossibilité d’installer un orchestre live avec piano, instruments à cordes et à vent oblige toutefois les solistes à s’exécuter (en français) sur une musique enregistrée.  » La mélodie n’est pas insurmontable, estime Zielinski. La seule difficulté vient du fait qu’il n’y a pas de chef pour nous donner la mesure.  » Bien dans le ton des créations multimédias d’Artonaut, qui mêle les disciplines sur fond d’héritage culturel et d’art contemporain, Theseus raconte en outre, par la voix off du comédien Damien Gillard, un crime bizarre survenu en 2001. Sa lecture reprend le texte qu’en avait donné Libération : le tronc d’un petit garçon noir, repêché dans la Tamise, avait livré assez d’indices génétiques pour qu’au terme de plusieurs années d’enquête, des scientifiques remontent la piste jusqu’à l’origine nigériane de l’enfant, victime d’un sacrifice humain.

En se jouant du fil du temps, Theseus oppose légende et fait divers, musique et vidéo, théâtre et chorégraphie, dans un patchwork de langages pas systématiquement sous-titrés. C’est indéniablement l’ensemble des défis auxquels s’attaquent les bâtisseurs de l’Europe que le tandem Christoffels/Roland a souhaité illustrer. Et ce n’est pas pour rien que cette étrange introspection a reçu le label de la présidence belge du Conseil de l’Union européenne…

(1) Theseus, les 28, 29 et 30 septembre, au centre culturel d’Uccle, 47, rue Rouge, à 1180 Bruxelles. Info au 02 374 64 84 ou sur www.ccu.be

VALéRIE COLIN

en se jouant du fil du temps, theseus oppose légende et fait divers

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