» ON DOIT S’ATTAQUER AU POUVOIR ET AUX BOURREAUX « 

Il monte, il monte, il monte… Et aborde tout, dans ses spectacles comme dans ses billets. Surtout le pire. Parce que, dit-il,  » les thèmes sur lesquels j’ai envie de faire rire sont ceux que je veux dédramatiser « .

Guy Verstraeten rêvait de devenir footballeur pro. Puis journaliste politique. Après des années de galère, il a fini par endosser le costume de l’humoriste. A 33 ans, il a créé – sur scène, façon stand-up, à la RTBF (radio et télé : Le Café serré, Le Plan culte, 69 minutes sans chichi…) et dans Elle Belgique – le personnage de Guillermo Guiz : un ket d’Anderlecht, comme lui. Mais qui peut se lâcher beaucoup plus, en la jouant beauf, vrai méchant, humour très noir, autodérision ou nonsense très british. En fait, toujours un peu tout à la fois. L’étoile montante de l’humour belge, c’est lui. Avec sa façon très perso de déconstruire, de disséquer, de taper sur les aspects les plus sombres de notre société : le terrorisme, la pédophilie, le viol, la drogue, l’antisémitisme… C’est évident : il va, lui aussi, bientôt, être réquisitionné par les médias français.

Pourquoi abordez-vous tous les sujets, parfois de façon crue ?

Je ne me suis pas inventé un être humoristique par hasard. Depuis que je suis tout petit, je l’utilise pour appréhender le réel, tout le temps. Je me suis dit que ce ne serait pas plus mal de gagner ma vie avec ça… J’ai envie de rire et de faire rire sur des thèmes que je veux dédramatiser. Au départ de mon expérience personnelle, j’ai envie de faire réfléchir sur nos travers. Qu’est-ce qu’ils disent de nous ? Quand tu es un homme blanc, es-tu intrinsèquement autorisé à tout te permettre ?

Est-ce pour mener cette réflexion que vous parlez, sans tourner autour du pot, dans votre spectacle comme dans vos chroniques, du sexe, du racisme, de l’antisémitisme, du terrorisme ?

Je parle de ma réalité de jeune trentenaire urbain, un peu éduqué : le sexe, les fêtes et désormais la façon dont nous vivons la menace terroriste. Dans le spectacle, je lance :  » On va continuer à vivre parce qu’un suicide collectif d’un million de personnes, ça va être un peu dur à organiser. Regardez la fête des voisins ou la journée sans voitures, c’est déjà un micmac…  » C’est une question que je me pose concrètement : que signifie  » continuer à vivre  » ? Nous sommes nés dans une insouciance relative, en dépit de la crise, et nous voilà confrontés aujourd’hui à cette menace omniprésente, un peu floue. En même temps, il faut la relativiser : nous sommes toujours davantage susceptibles de mourir dans un accident de voiture que dans un attentat.

Toute vérité est-elle possible à dire, dès lors qu’on en rit ?

Je développe dans le spectacle une  » théorie  » selon laquelle les enfants ont pu grandir et se radicaliser parce qu’on a muselé les pédophiles. Et j’ajoute :  » Je ne dis pas qu’il faut réintroduire les pédophiles, mais je cherche des solutions pour éradiquer le terrorisme…  » Les gens comprennent évidemment que ce n’est pas ce que je pense, mais ça traduit le fait que nous sommes passés d’une société où la pédophilie était le loup noir à une ère où dominent les questions relatives à la migration et au terrorisme… Plus le temps passe, plus je considère que le racisme est un problème très grave qui mène, en partie, à ce qu’on vit. Tout peut arriver avec ceux qui se considèrent comme des citoyens de seconde zone. Quand j’écris sur ce sujet, je mène une vraie réflexion philosophique que je transforme en blagues… L’humour permet d’aller au fond des choses, c’est une remise en question permanente de ce qu’on pense vraiment. En l’occurrence : nous sommes tous des humains et nous sommes en train de traiter les migrants comme des bêtes. C’est intolérable…

On rit beaucoup durant vos spectacles, mais c’est un rire âpre, tant il nous renvoie à des considérations tragiques…

Certains font rire sur la vie de tous les jours. L’exemple type, c’est Gad Elmaleh, brillantissime dans son genre. Mais jamais il n’abordera le viol ou la drogue. Moi, je veux les creuser parce que ces thèmes m’interpellent dans la vie. Je veux aller jusqu’à la moelle.

L’humour peut-il être une arme en cette période délicate ?

Oui, dans la mesure où c’est une manière de comprendre les choses. Si un pouvoir X impose une loi Y, on peut essayer de la décoder par le journalisme ou par l’idéologie. Mais aussi par l’humour, qui permet de toucher un public différent. Pour autant, je ne suis pas en guerre contre les gens. Je ne suis pas là pour les humilier sur scène. Je ne me dis pas qu’il faut absolument faire des blagues sur les musulmans ou sur les juifs. Je veux faire rire à partir de ce qui m’est proche, qui m’interpelle ou me révolte. Je ne m’interdis rien, tout en étant cohérent par rapport à ce que je ressens dans la société. Pour le moment, les musulmans sont fragilisés, à terre, et je ne me vois pas les accabler davantage. Ça ne m’empêche pas d’interroger ouvertement sur scène ce que le dieu de l’Etat islamique fait pour aider ses adeptes. Quand on fait de l’humour, il faut s’attaquer au pouvoir, aux bourreaux plutôt qu’aux victimes. C’est en cela que la une de Charlie Hebdo avec Stromae, parue juste après les attentats de Bruxelles, était nulle : parce qu’elle se moquait des victimes. Il faut se moquer des terroristes. C’est évident !

Nourrissez-vous un sentiment de responsabilité ?

Clairement, je me sens responsable de mes propos. Je ne fais pas de l’humour pour l’humour. J’essaie que, derrière, il y ait un enseignement à tirer. Et je corrige le tir si je me trompe en testant un sketch. Il m’est arrivé de faire une blague au sujet de Laurette Onkelinx, dont je me suis rendu compte qu’elle avait des relents sexistes. J’ai arrêté, même si ça faisait rire. Je ne veux pas libérer une parole sexiste ou raciste, mais me moquer du sexisme ou du racisme, nuance. Quand je lâche :  » Soit tu es raciste et tu considères que le Blanc est un être supérieur ; soit tu n’es pas raciste et tu considères que c’est une coïncidence si les Noirs conduisent comme ça « , c’est une blague raciste, en soi. Mais je joue évidemment sur le préjugé pour le déconstruire. Dans la société éduquée, il y a un rejet social de l’expression publique du racisme, c’est un tabou. En raison de cette chape de plomb, il y a une forme de libération quand un humoriste ose aborder ce thème. Raison de plus pour être vigilant.

Est-ce en ne l’étant pas que Dieudonné a fini par déraper ?

Vaste question que l’évolution de Dieudonné. Il y a dix ans, il a mis le doigt sur des thèmes que personne n’osait aborder. Depuis, je pense qu’on l’a acculé dans un coin et qu’il est devenu fou et paranoïaque. Quand il dénonçait la politique israélienne à l’égard des Palestiniens, j’étais plutôt d’accord avec lui. Mais après, il est devenu obnubilé, obsédé, sans nuance.

ENTRETIEN : OLIVIER MOUTON

 » Pour le moment, les musulmans sont fragilisés. Je ne me vois pas les accabler davantage  »

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