Obama Le déficit de confiance

La crise de Wall Street devrait l’aider. Pourtant, à moins de six semaines de l’élection, le candidat démocrate peine à décoller dans les sondages. Alors que nombre d’Américains hésitent toujours à voter pour un Noir.

De notre envoyé spécial

Franchement, nous n’en revenons pas, confie Neil Newhouse, gourou républicain des sondages. Avec le bilan des années Bush et l’état actuel de l’économie, Obama devrait nous mettre 12 points dans la vue. Et pourtant non ! McCain conserve toutes ses chances. « 

Un détail : Neil Newhouse tenait ces propos le 16 septembre, au moment où l’ouragan financier commençait tout juste à décoiffer Wall Street. Ce n’était pourtant qu’un début. Une semaine d’effroi s’est achevée dans la déconfiture hébétée du premier système financier au monde, avec un plan de renflouement évalué à quelque 700 milliards de dollars de fonds publics. Les conséquences sur la campagne présidentielle ? Barack Obama, candidat d’un parti érigé en défenseur de l’Etat providence, profite, au bout de cinq jours d’angoisse nationale, d’un rebond de 7 % dans les intentions de vote. Un  » bip  » enfin audible sur les sonars électoraux, mais toujours trop faible pour augurer de l’issue des élections du 4 novembre. Au moment où 73 % des Américains jugent que  » le pays est sur la mauvaise voie  » et alors que s’annonce une augmentation du chômage, une majorité des 30 % d’électeurs indécis attend les débats télévisés entre les deux candidats – le premier de la série aura lieu le 26 septembre – afin de se forger une opinion.

En clair, le score d’Obama reste insuffisant. John McCain, en se démarquant de George W. Bush et en offrant une vice-présidente, Sarah Palin, à sa base militante conservatrice, a réussi, lui, à garder une popularité bien supérieure à celle de son parti. Son rival, en revanche, demeure sous le niveau attendu d’un candidat démocrate en pareilles circonstances. Cette anomalie s’explique d’abord par les réactions des deux présidentiables à l’annonce de la crise. John McCain, répondant une fois de plus le premier à l’événement, dès le matin du 16 septembre, s’est, cette fois,  » mouillé  » trop vite.  » Les fondamentaux de l’économie sont bons « , a-t-il d’abord déclaré, sur le ton paternel qu’il estime approprié à un chef d’Etat. Avant de s’offusquer – conservatisme fiscal oblige – du repêchage par l’Etat d’entreprises victimes de leurs propres turpitudes. Puis de se raviser…

Obama, lui, a temporisé, comme pour déployer une envergure présidentielle au-dessus de la mêlée politicienne. Il a convoqué un aréopage d’économistes respectés et a finalement approuvé le plan de sauvetage proposé par la Maison-Blanche. Ces nuances l’ont privé d’une occasion de marquer des points supplémentaires. Le résultat ? Un quasi-match nul, confirmé par un récent sondage du Marist Institute, qui reflète la confiance limitée du public dans les compétences économiques de McCain (39 % seulement), mais aussi d’Obama (44 %). Pour les républicains, peu importe :  » Il ne s’agit pas d’économie, martèle Lindsey Graham, proche conseiller de John McCain. Il s’agit d’une crise.  » Le chaos actuel offre au héros du Vietnam, au  » rebelle  » de Washington, une nouvelle occasion de démontrer sa crédibilité de leader à une nation préoccupée par une nouvelle atteinte à sa sécurité.

Une marge de manoeuvre étroite

On en revient à la clef initiale du scrutin : la confiance des électeurs et, au-delà des programmes, leur perception instinctive des deux candidats. Obama a eu beau redoubler d’agressivité dans sa campagne de pub télévisée, destinée aux quelque 10 swing states (Etats indécis), en liant John McCain à l’héritage de George W. Bush, son avance semble toujours freinée par un handicap plus insurmontable que son prétendu manque d’expérience : la couleur de sa peau. Une enquête d’opinion de l’agence Associated Press, publiée le 20 septembre, affirme que le facteur racial, à lui seul, prive le démocrate d’environ 6 % des voix de l’électorat blanc. Un chiffre préoccupant, d’autant que George W. Bush a remporté la présidentielle contre John Kerry, en 2004, avec un avantage de 2,5 points seulement. 4 Blancs sur 10 auraient une opinion au moins partiellement négative des Noirs. Longtemps adulé comme un candidat de l’ère  » postraciale « , Obama mesure, à quarante jours du scrutin, l’étroitesse de sa marge de man£uvre.

Alors que 85 % des républicains soutiennent maintenant McCain, 7 démocrates sur 10 seulement s’engagent en faveur d’Obama. D’où un luxe de précautions destinées aux électeurs cols bleus de son propre parti, particulièrement suspicieux à son égard. A la convention de Denver, lors de son grand discours de clôture, prononcé le jour anniversaire de l’arrivée de la marche de Martin Luther King sur Washington, le sénateur de l’Illinois s’est ainsi gardé de mentionner le nom du leader des droits civiques. De même, son style détendu et courtois, malgré les attaques parfois éhontées de la campagne de McCain, vise à lui éviter d’apparaître comme un angry black man, un  » Noir en colère « .

La crise de Wall Street peut-elle élever le débat, lui permettre de s’ériger en présidentiable incolore ?  » Par une tragique ironie, la situation économique peut aider Obama, mais également lui nuire, analyse Todd Harris, consultant républicain. Car les temps difficiles sont propices à une remontée du racisme.  » Le débat du 26 septembre est à cet égard décisif. Il doit permettre au démocrate de confirmer son ambition : devenir le candidat du changement, comme celui du consensus américain.

Philippe Coste

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