Obama L’homme qui voulait changer le monde

Quatre ans après l’avoir triomphalement élu, une nation angoissée par son déclin hésite à reconduire un président qui ne sait plus la faire rêver. Entre-temps, la crise, le chômage et les batailles incessantes avec le Congrès ont transformé en gestionnaire timoré le candidat aux accents rooseveltiens.

Son visage s’est fermé, endurci en près de quatre ans d’avanies et de guerres de tranchées avec le Congrès. Le président à l’allure juvénile de 2008, l’enfant chéri de l’après-Bush, évoque lui-même ses cheveux gris dans un tweet étrange et touchant. Le message propose à ses quelque 17 millions d’abonnés à son compte Twitter d’être tirés au sort pour fêter (le 4 août) avec lui et Michelle son 51e anniversaire, en échange d’une donation de 3 dollars.

Car les temps sont rudes, incertains et mouvants. Même le souvenir fantasmé de ce que fut l’incroyable connivence d’un peuple avec un jeune sénateur de l’Illinois, au sang mêlé de tous les rêves américains, n’est plus qu’un faire-valoir destiné à récolter des fonds. C’est un expédient de plus, au milieu des tee-shirts à son effigie, pour les milliers d’employés de son QG de campagne, à Chicago, tous affairés à retailler la silhouette mythique du candidat de 2008 malgré les désillusions de sa présidence.

L’un des meilleurs orateurs de sa génération

Si le scrutin avait lieu aujourd’hui, le héros de 2008 échapperait de justesse au sort de Gerald Ford, Jimmy Carter et Bush père, les trois seuls présidents privés d’un second mandat depuis quarante ans. En butte à la pire crise financière depuis les années 1930, commencée six semaines avant son élection, l’homme qui devait changer le monde doit aujourd’hui se contenter d’un bilan que résume prosaïquement son vice-président, Joe Biden :  » Ben Laden est mort, et General Motors, lui, est toujours en vie. « 

Soit. Le raid des commandos sur Abbottabad, en mai 2011, aura eu raison d’un vieux démon de l’Amérique. Et les 750 milliards de dollars fournis aux banques exsangues, ainsi que le sauvetage de l’industrie automobile auront au moins évité le pire. La première assurance-santé universelle, que Bill et Hillary Clinton avaient échoué à imposer en 1993, pourrait, en outre, permettre, en 2014, à 30 millions d’Américains de bénéficier d’une couverture sociale dont ils étaient jusqu’ici privés. Mais le marasme se poursuit et brise le grand souffle : 15 millions de chômeurs, soit 8,3 % de la population active, rappellent les limites du plan de relance de 2009, jugé trop timide. Le chantre du changement préside aujourd’hui une nation angoissée par son déclin, qui en veut à ses élites. Trop lent, trop timoré ou trop conciliant aux yeux des  » purs  » de son parti, décrit, au contraire, par la droite comme un extrémiste, un étatiste hostile aux valeurs nationales, Obama a subi en novembre 2010 le feu croisé de l’abstention démocrate et de la mobilisation populiste du Tea Party. Résultat : une raclée aux législatives de novembre 2010 et une nouvelle majorité républicaine, qui, depuis deux ans, paralyse toute initiative et menace jusqu’à l’intégrité du pays.

La foule se presse toujours à ses meetings, guettant un signe d’optimisme dans la prose de celui qui reste l’un des meilleurs orateurs de sa génération. Mais elle n’y trouve trop souvent que le reflet de ses doutes et de ses inquiétudes.  » Les jeunes ont disparu, alors qu’ils avaient été le moteur de la victoire de 2008, regrette Mike Harkavy, président des démocrates de la ville de Saugerties, au nord de New York. Ces idéalistes ont pris de plein fouet la récession, et ne se préoccupent plus que de leur survie quotidienne. « 

Le 12 juillet, à Virginia Beach, dans un Etat clé pour l’élection de novembre, Obama semble un instant renouer avec la magie de 2008, vantant l’épopée et les valeurs de la middle class, mais son bilan controversé et complexe est passé sous silence. Et son regard sur l’avenir se limite au danger de l’alternative : une victoire de Mitt Romney, décrit à longueur de spots publicitaires comme l’agent d’un désastre annoncé, un nanti, promoteur des délocalisations en Chine, dont les cadeaux fiscaux et la sauvagerie budgétaire signeraient le grand retour en arrière et le triomphe des responsables de la crise. Le président de tous les espoirs a changé. Il s’est mué en candidat de la peur. Faute de pouvoir, en conscience, promettre des lendemains qui chantent.

 » 2008 semble aujourd’hui appartenir à un autre univers. Obama se présentait alors moins contre John McCain que contre les terribles années Bush, grince Hank Sheinkopf, consultant démocrate de New York. En 2012, il est en lice contre un ennemi plus dangereux : lui-même, et toutes les attentes nées de sa mythologie. « 

Celui qui, en 2008, séduisait les foules en se faisant le chantre du changement est devenu, quatre ans plus tard, un communicateur réticent. Déficient, même. Distant, réservé, le nouvel élu néglige même la retail politics, la politique de proximité, si chère à la culture américaine. Capable de galvaniser 80 000 fans dans un stade, il apparaît souvent froid et inaccessible dans ses interviews télévisées, faute de céder aux poncifs de la com. Ses collaborateurs enragent de le voir fuir les bains de foule, prendre congé trop vite de ses généreux donateurs, pour endosser au plus vite son armure de chef d’Etat.

La métamorphose a commencé dans les premières heures de son mandat.  » Dès le soir du scrutin, la mine tendue, grave et presque attristée, il semblait avoir pris toute la mesure de ses nouvelles responsabilités et de l’immensité du défi de la crise, remarque le journaliste Ron Suskind, auteur d’ Obama, la vérité, un livre magistral sur la réponse au krach de septembre 2008. Malgré l’euphorie démente de la foule à Chicago, le 4 novembre de cette même année, il ne voyait déjà plus, ne concevait plus que les moyens de manier les leviers du pouvoir.  »

Il a oublié de  » raconter une histoire « 

Début juillet 2012, Obama a lui-même confié lors d’une interview que la principale erreur de ses deux premières années initiatiques avait été de croire que son travail  » consistait seulement à mener à bien de bonnes politiques « , alors que la nature de la fonction présidentielle  » exige aussi de savoir raconter au peuple américain une histoire qui lui donne un sens de l’unité, un objectif et de l’optimisme. Une histoire qui leur explique où je veux aller « .

Immergé dans la crise, Obama a pris le mouvement d’insurrection contre sa politique de soutien à Wall Street pour un combat d’arrière-garde de l’extrême droite, une ineptie de plus dans le boucan des talk-shows politiques, qu’il abhorre. Avant de comprendre qu’il émanait aussi de certains éléments de son propre parti, furieux des bonus accordés aux châtelains de la finance.

Autant que son réalisme pragmatique, sa nature profonde, son inexpérience ont aussi contribué à brouiller sa présidence. Alerté dès le printemps 2008 de l’imminence du désastre, Obama a montré une sidérante compréhension du danger. Avait-il pour autant entrevu les dilemmes politiques à venir ?  » Il a sans doute cru que le sauvetage des banques susciterait l’union sacrée au Congrès, estime Paul Krugman, Prix Nobel d’économie et chroniqueur acerbe de la gauche démocrate au New York Times. Pour lui, c’était même la première manifestation du « consensus post-partisan » qu’il prêchait depuis 2004. Cruelle déception !  » A l’opposition forcenée des républicains du Congrès s’ajoutait l’ambiguïté de son administration, divisée dès le départ, faute de décision présidentielle, en deux camps antinomiques.

D’un côté, les ex-vizirs de la finance, choisis en raison de leurs entrées privilégiées à Wall Street. De l’autre, les partisans du retour aux mesures de l’après-1929, à la séparation des activités de banque et d’investissement, dont la fusion avait fondé la fortune puis l’effondrement de Wall Street. Or le premier camp a gagné, non par le débat, mais par son emprise sur une administration désorientée par la tempête politique.  » Le tournant, c’est mars 2009, quand Obama renonce au démembrement de la Citibank, la banque symbole des déréglementations, constate Ron Suskind. Il a alors manqué son moment rooseveltien. La crise lui offrait l’opportunité de marquer une transformation décisive, de changer l’histoire et la culture économique du pays. Il ne l’a pas saisie. « 

Fort de 70 % d’approbation dans les premiers mois de son mandat, le président aurait pu aussi profiter de la terreur qu’il inspirait au lobby des assureurs américains pour imposer sa réforme historique de l’assurance-santé, poser les premiers jalons d’un retour de l’Etat dans le domaine social. Il a préféré transiger, chercher le consensus dans l’espoir d’asseoir fermement un projet qui s’apparente aujourd’hui à une nébuleuse de mesures, toutes vulnérables aux attaques de la majorité républicaine.

Mais Obama pouvait-il concevoir la haine que susciteraient ses ambitions ? Il a tardé à descendre dans la boue pour contrer l’incroyable campagne  » spontanée  » du Tea Party, accusant sa réforme de prévoir l’euthanasie des personnes âgées trop coûteuses en soins. Pas moins de 30 livres sur le site de vente en ligne Amazon l’accusent des pires complots hitlériens ou communistes, mais son gouvernement occupé à la survie du pays a mis plus d’un an à répondre sérieusement aux attaques des Birthers, la mouvance d’extrême droite à l’origine de la rumeur qui circulait sur Internet, selon laquelle il était né étranger et ne pouvait donc légalement pas devenir président. 40 % des Américains, convaincus par la même propagande, croient aujourd’hui encore que Barack Hussein Obama est un musulman dévot.

Si la droite s’acharne à renverser sa légitimité de premier président noir de l’histoire américaine, et une cote d’amour personnelle qui dépasse toujours de 10 points l’approbation de son travail, la gauche démocrate ne cesse de hurler à la trahison. Obama, l’homme qui aux yeux du monde devait enterrer les exactions de l’ère Bush et fermer Guantanamo, a fait plus que maintenir ce symbole du non-droit. Il a aussi porté l’offensive antiterroriste à son sommet.

Chaque mardi, lors de réunions dans la situation room de la Maison-Blanche, il donne l’ordre d’exécuter les ennemis de l’Amérique. 140 membres d’Al-Qaeda, dont deux Américains, ont déjà reçu leur missile, dépêchés par les drones du Pentagone et de la CIA, ou succombé aux assauts des forces spéciales, considérablement étoffées depuis quatre ans.`

Objectif : réduire l’avancée de la majorité républicaine

Le 2 mai 2011, tandis qu’il suivait le raid sur le refuge pakistanais de Ben Laden, le président conjurait aussi la malédiction des démocrates : une image de pusillanimité sur le plan militaire qui, de Carter à Clinton, offrait aux républicains le monopole du patriotisme. Obama a reconduit l’écheveau de lois sécuritaires du Patriot Act, y compris les mesures (un temps bloquées en 2004 par Bush pour cause de protestations !) permettant l’écoute téléphonique de citoyens américains. Cette fois, le silence de la grande majorité des électeurs lui apporte au moins un consensus.

S’il l’emporte en novembre, comme le laissent imaginer ses sondages en hausse depuis le fiasco du voyage de Mitt Romney en Europe, Obama pourra préserver sa place dans l’Histoire, en bataillant pour la survie des réformes existantes. La sauvegarde de l’assurance-santé, menacée par Romney et la fronde des Etats républicains, un nouveau plan de relance, une refonte fiscale assurant enfin la surtaxe des plus hauts revenusà Les projets sont encore flous, tant ils dépendent de l’état des forces au Congrès après les élections de novembre. Déjà résigné à une majorité républicaine, Obama espère au moins réduire l’écart. Et ne désespère pas d’un compromis avec l’ennemi. Deux ans de blocage acharnés au Capitole, ainsi que la paralysie du processus budgétaire, ont conduit le pays au bord du gouffre. Faute d’accord avant décembre, un protocole signé par les deux partis exigera des coupes automatiques dans les dépenses sociales et militaires qui pourraient anéantir la croissance et discréditer les républicains.

A l’instar de Ronald Reagan en 1984, et de Bill Clinton en 1996, le président pourrait prendre ses opposants au piège de leur propre extrémisme et les pousser enfin à la table des négociations. Peut-être dès l’automne, en leur lançant le défi de son projet de réforme de l’immigration. Pour les deux partis, l’électorat hispanique en essor constitue la clé des futures majorités législative et présidentielle. L’accord sur la régularisation ou l’intégration de 12 millions d’immigrants clandestins pourrait déjà, pour la première fois en deux ans, troquer la peur pour l’espoir, et faire revenir l’Obama d’hier.

DE NOTRE CORRESPONDANT PHILIPPE COSTE

Le président de tous les espoirs a changé. Il s’est mué en candidat de la peur. Faute de pouvoir promettre des lendemains qui chantentObama a reconduit le Patriot Act, y compris les mesures permettant l’écoute téléphonique de citoyens

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