Nouvelles orientales

Le festival Ars Musica est un fleuron de notre vie musicale. Il est la vitrine de la création contemporaine et l’éprouvette dans laquelle mûrissent nos talents locaux. Après bien des déboires, l’édition 2016, consacrée au Japon, promet d’être ambitieuse.

La musique contemporaine a-t-elle échoué à entrer en contact avec son époque et à créer un rapport d’intimité avec les mélomanes ? C’est en tout cas ce que soufflent de nombreuses voix, qui prétendent que depuis l’apparition de l’atonalité comme élément étalon de la composition, la production musicale est devenue infréquentable. Maudite atonalité qui, aujourd’hui encore, suscite des conférences au Collège de France, où d’importants praticiens la honnissent en évacuant par leurs narines des fumerolles haineuses… C’est la prérogative et la coquetterie de l’innovation que d’être un peu absconse. Il n’est pas dit, par exemple, que, au XIVe siècle, un contemporain de Guillaume de Machaut ait trouvé ses 365 motets nettement plus lisibles que les Notations de Pierre Boulez ne le sont aux oreilles du Terrien de 2016.

Difficile, pourtant, de nier que la musique a connu une véritable césure au début du XXe siècle. Théâtre d’interminables boucheries, l’Europe déliquescente, enlisée dans des conflits meurtriers, n’a plus toléré que ses artistes divertissent. Et le schisme qui s’est installé entre l’Eglise et l’artiste n’a fait qu’accentuer cette tabula rasa. L’atonalité et l’abstraction se sont alors imposées comme l’idiome dominant. Jusque dans les années 1980, les créateurs les plus respectés étaient aussi les plus impénétrables. La forme musicale connut d’invraisemblables extrêmes, comme ce Quatuor d’hélicoptères de Karl-Heinz Stockhausen qui – très littéralement – convoquait, en plus d’un quatuor à cordes, quatre hélicoptères (en marche). Et puis, l’orage s’est calmé, le ciel s’est dégagé, une nouvelle génération de compositeurs est apparue. Une génération capable d’embrasser l’héritage de Mozart comme celui de Boulez, de reconnaître autant de génie à Schoenberg qu’à Mahler. Cette génération – la nôtre – est celle de la réconciliation. Un symptôme parmi d’autres : le concerto imposé de Claude Ledoux au dernier concours Reine Elisabeth n’a récolté que des louanges. La musique contemporaine, enfin, renoue avec le public, sans rien trahir de son intégrité.

Crimes et châtiments

Véritable vitrine de la musique contemporaine, le festival Ars Musica naît, en Belgique, à la fin des années 1980, des efforts combinés de sages et de chiens fous. L’idée fondatrice est double : porter à la connaissance du public belge ce que la création internationale actuelle a de plus intéressant, tout en contribuant au développement de talents locaux. En ce sens, les premières années de la manifestation sont un indéniable succès : les salles sont pleines, l’engouement est réel, la fine fleur du monde musical se presse à Bruxelles ; on voit de l’étranger le petit festival comme the place to be. Mais le plus remarquable accomplissement de ses fondateurs est d’avoir fait d’Ars Musica une initiative bicommunautaire. Car le financement n’est pas fédéral, il est francophone et flamand, ce qui dans notre paysage culturel représente plus ou moins l’alpha et l’oméga.

Une petite douzaine d’années passent et le conte de fées commence à prendre l’eau. De nombreuses dissensions viennent obscurcir le quotidien du festival. Les compositeurs belges, d’abord, se sentent floués et snobés. Leur musique n’est presque plus présentée dans cette éclatante vitrine qui leur était promise. Quand on les programme encore, c’est au détour d’un concert discret, dans une cave humide, où grelottent quelques intrépides zélateurs. Le Forum des compositeurs voit alors le jour. Officiellement, il vise à faire la promotion de ce joli vivier. Officieusement, il oeuvre à fonder un festival dissident qui, lui, s’intéressera à la production locale.

Des dents grincent : on paie des sommes astronomiques pour faire venir de Paris l’Ensemble intercontemporain, et pour le reste, il n’y a plus de budget… Les salles se vident. On se souvient d’avoir assisté, médusé, au concert d’un grand orchestre belge dans une salle Henri le Boeuf quasiment vide. Dans le parterre, pratiquement que des invités. Un membre de l’équipe murmure :  » On n’a vendu que dix-neuf places sur les deux mille disponibles.  » Les directeurs valsent ; certains sont violemment congédiés pour des motifs absurdes, d’autres fuient ventre à terre. Le président du conseil d’administration jette l’éponge. Peu après lui, c’est le président des amis d’Ars Musica qui remet sa démission avec fracas. Et puis, les Flamands retirent leur argent.

Dans les milieux autorisés, on s’attend à ce que quelqu’un tire la prise, siffle la fin de partie, achève l’animal blessé. C’est sans compter sur l’opiniâtreté de quelques irréductibles qui – du cabinet au ministère – chantent sur tous les modes qu’il y a encore de l’espoir, que le festival est un joyau de notre vie culturelle, que son rayonnement perdure, malgré tout. C’est ainsi qu’on demande à Bruno Letort, Parisien débonnaire, connu pour son flegme et son sens inné du compromis, de venir mettre un peu d’ordre dans les écuries d’Augias. Ce compositeur, par ailleurs producteur à France Musique et responsable des productions phonographiques de la station, prend le problème à bras le corps et fait d’Ars Musica une biennale. Dont voici la seconde édition.

L’ailleurs dans nos oreilles

Quatre-vingts concerts – appelons-les des initiatives, tant leurs formes sont variées – en quinze jours. Un thème : le Japon. Pourquoi ? Parce que voilà cent cinquante ans, la Belgique et le Japon tissaient leurs premiers liens diplomatiques. Parce que, surtout,  » rien ne semble plus fort que la découverte de l’autre, de sa différence culturelle, de son génie créateur « . C’est le credo de Bruno Letort, qui a compris que les compositeurs japonais comptent aujourd’hui parmi les plus intéressants, également dans leur digestion de l’histoire musicale occidentale. Quelques incontournables : le concert d’ouverture November Steps (12 novembre) confrontera une brochette de compositeurs japonais au Brussels Philharmonic. Le Quatuor de quatuors (17 novembre) proposera, lui, comme son nom l’indique, quatre quatuors sur la même scène qui se donneront la réplique. Dans Equi Voci, la rencontre de la chorégraphe Anne-Teresa de Keersmaeker, du compositeur maximaliste Thierry De Mey et de l’Orchestre philharmonique de Liège promet de faire des étincelles (17 et 18 novembre). Enfin, il ne faudra pas rater le Concert dessiné de clôture (27 novembre), au cours duquel deux dessinateurs donneront libre cours à leur imagination sur un écran géant alors que, sur scène, trois créations mondiales verront le jour. Ars Musica, aujourd’hui, n’est plus la vitrine rutilante d’un microcosme contemporain gargarisé jusqu’à la moelle, c’est un laboratoire où la curiosité et l’éveil sont au coeur de toutes les préoccupations. Un petit vent frais balaie l’aride terre de la musique contemporaine…

Ars Musica. Le Pays du sonore levant, du 12 au 27 novembre, dans divers lieux à Bruxelles, Charleroi, Liège ou encore, Paris. www.arsmusica.be

PAR CAMILLE DE RIJCK

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