Pour écrire NewJack. Dans la peau d'un gardien de prison (Editions du sous-sol, 2018), Ted Conover, spécialiste du reportage en immersion, s'est fait engager comme surveillant à Sing Sing. Une enquête qui se lit comme un véritable roman. © JENNIFER KLEIN

Nouvelle Vague

Avec Le Temps du reportage, les Editions du sous-sol continuent leur exploration de la non-fiction américaine. Robert S. Boynton y propose un tour d’horizon passionnant du « nouveau nouveau journalisme » à travers dix-neuf interviews d’autant de stars de la discipline.

S’il y eut, un temps, une tendance dans la presse branchouille à plus particulièrement imiter Hunter S. Thompson et sa façon de se mettre en scène au coeur même du récit plutôt baroque qu’il finissait par accoucher sur le papier – ce fameux « journalisme gonzo » -, la mode est désormais à moins d’esbroufe et de poudre aux yeux: de la narrative non-fiction, voilà ce que tout le monde réclame!

Il faut remonter à 1973, lorsque Tom Wolfe décida qu’il existait ce qu’il appellerait le « nouveau journalisme ». Il n’était pas peu fier de son coup. Lui qui rêvait de gloire et de postérité, il se retrouvait à la tête de ce qu’il décrivait alors lui-même, c’est bien commode, comme « la plus importante littérature écrite aux Etats-Unis aujourd’hui »… Oui, selon lui, la non-fiction avait dépassé la fiction en matière de qualité et de prestige. Il publia une anthologie de ce « nouveau journalisme », dans laquelle on retrouvait des textes de quelques prestigieux auteurs comme Joan Didion, Truman Capote ou Gay Talese. Bien que certains, dont Hunter S. Thompson, encore lui, réfutaient toute appartenance à un mouvement quelconque, on se devait de l’admettre: nombre d’entre eux pratiquaient ce que Tom Wolfe décrivait dans sa préface en forme de manifeste comme une «  investigation artistique ».

Les faits sont réels, mais en gros, il est bel et bien question de reportages écrits comme des romans.

Selon Robert S. Boynton, professeur et directeur du programme de journalisme littéraire à la New York University et ancien contributeur régulier du New Yorker, figurez-vous qu’il existerait désormais un « nouveau nouveau journalisme »! Eh oui, « ni romanciers frustrés ni journalistes incontrôlables », certains se reconnaissent dans les préceptes du New Journalism prônés par Wolfe. D’autres se réclament de quelques glorieux auteurs plus anciens encore, comme Jacob Riis ou Stephen Crane, eux aussi adeptes d’un journalisme plus subjectif et littéraire, qui sévissaient déjà dans les journaux américains du XIXe siècle. Ces quelques nouveaux aventuriers intrépides à la plume incisive ont repris le flambeau. Leur écriture ne possède peut-être plus « la flamboyance bravache » de Wolfe ou de Thompson, mais ils perpétuent cet « art du reportage «  littéraire.

Robert S. Boynton, professeur et directeur du programme de journalisme littéraire à la New York University.
Robert S. Boynton, professeur et directeur du programme de journalisme littéraire à la New York University.© DR

Trouver « une bonne histoire »

Boynton, fanatique du genre depuis la lecture d’un article de Janet Malcolm alors qu’il n’était encore que journaliste stagiaire, interviewe ici dix-neuf de ces « nouveaux nouveaux » reporters. Dans la préface du Temps du reportage (1), tout en reconnaissant que ces derniers « bénéficient de la légitimité que Wolfe a léguée à la non-fiction littéraire », Boynton rappelle que ce dernier semblait surtout servir ses propres intérêts d’aspirant monarque de la littérature américaine, et habille l’auteur du Bûcher des vanités pour l’hiver… – en blanc espère-t-on, comme le sempiternel costard qu’il portait en toute occasion.

Boynton interroge chacun des auteurs sur leurs pratiques, de comment ils trouvent leurs sujets à leurs rituels d’écriture, en passant par leurs façons de prendre contact avec leurs « personnages ». Car, oui, précisons-le de suite: la frontière entre fiction et non-fiction a définitivement disparu. Les faits sont réels, mais en gros, il est bel et bien question de reportages écrits comme des romans. Le tout étant de trouver « une bonne histoire ». Le vétéran Gay Talese, lui aussi de la partie, dit plus joliment qu’il « cherche à dévoiler ce courant fictionnel qui serpente sous le flot de la réalité ».

C’est passionnant mais, pour tout dire, il semblerait qu’il y ait autant de sous-genres du « nouveau nouveau journalisme » que de nouveaux nouveaux journalistes. Grâce aux éditions du Sous-sol, devenues, dès leurs débuts, les spécialistes francophones de ce journalisme littéraire, on reconnaîtra certains interviewés, comme Ted Conover, roi de l’enquête en immersion prêt à devenir un SDF, ou à se faire engager comme gardien de prison pour un reportage au long cours. William Finnegan, l’auteur à succès de Jours barbares (également traduit au Sous-sol), adapte sa méthode d’interview selon qu’il a affaire à des antiracistes ou à un gang de skinheads… Certains font des brouillons, d’autres pas – Gay Talese les punaise au mur et, quand la pièce est assez grande, les scrute au loin avec ses jumelles.Une constante cela dit, chez Talese comme chez les autres: « L’ écriture est une souffrance. »

Heureusement, les possibilités de sujet sont infinies. Calvin Trillin, « le barde de l’idiosyncrasie américaine », rapporte qu’à propos d’un de ses articles, sa mère s’est exclamée: « Je trouve ça merveilleux que tu puisses écrire un article aussi long sur un sujet aussi inintéressant. » Nous aussi!

Le Temps du reportage. Entretiens avec les maîtres du journalisme littéraire, par Robert S. Boynton, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Michael Belano et al., Editions du sous-sol, 688 p.

Le Temps du reportage. Entretiens avec les maîtres du journalisme littéraire, par Robert S. Boynton, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Michael Belano et al., Editions du sous-sol, 688 p.
Le Temps du reportage. Entretiens avec les maîtres du journalisme littéraire, par Robert S. Boynton, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Michael Belano et al., Editions du sous-sol, 688 p.

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