» NOUS SOMMES ENTRÉS DE PLAIN-PIED DANS LA POST-BELGIQUE « 

Jean Quatremer, correspondant de Libération à Bruxelles, ne ménage pas notre pays. Pour lui, la Belgique ne fonctionne plus, il n’y a plus de Belges et les flamingants ont gagné la partie.

Il est le poil à gratter que l’on salue ou que l’on conspue. Jean Quatremer, correspondant du quotidien français Libération au coeur de la capitale de l’Europe depuis vingt-cinq ans, ne cesse d’éreinter la Belgique. Il a dénoncé la saleté de Bruxelles, la ville immobile où les tunnels s’effondrent, l’Etat défaillant.  » Depuis une dizaine d’années, le fossé se creuse entre les citoyens et la classe politico-médiatique, lance-t-il. Les gens ont une conscience assez grande du fait que le pays est en crise, qu’il est profondément dysfonctionnel.  »

Quand on demande à ce  » regard  » extérieur ce qu’est, selon lui, être Belge en 2016, il ne peut dès lors s’empêcher de pouffer.  » Franchement, je ne vois pas ce que ce pourrait être. Il y a bien une expression de chauvinisme quand les Diables Rouges gagnent un match. Mais pour le reste, il me semble évident que les flamingants ont gagné la partie. La Belgique, en tant qu’entité culturelle et politique, ne fonctionne plus. La Wallonie et la Flandre sont deux démocraties qui s’ignorent complètement, avec pour seul point de rencontre un gouvernement fédéral qui a tendance à s’amenuiser. Nous sommes entrés de plain-pied dans l’ère de la post-Belgique.  »

S’il avoue ne pas parler néerlandais, et si tout l’éloigne du discours des nationalistes flamands, Jean Quatremer n’en assène pas moins des réalités qui font mal pour le sud du pays.  » L’effondrement et l’éclatement annoncé du pays ne sont pas que le fait des Flamands. Les francophones sont coresponsables de la situation actuelle. Dès lors que les socialistes francophones ne sont plus au pouvoir fédéral, cela les détache de la fédération, on le sent. Et plus la Wallonie se gauchisera, plus le pays ira vers l’explosion. Il y a une fuite en avant francophone effrayante à se jeter dans les bras des syndicats, du PS, du PTB. Voter pour des staliniens, en 2016, il faut être marteau ! S’il y avait une conscience nationale belge, elle devrait se manifester par un vote MR.  » Une façon de dire que le choix posé par le Premier ministre, Charles Michel, est une façon de donner un avenir au pays. Fût-ce à court terme.

 » Un déni fascinant  »

Ce qui  » fascine  » en Belgique francophone le correspondant de Libé, c’est le déni, le refus de voir ce qui ne va pas. Là encore, il n’hésite pas à jouer la carte de la provocation :  » Quand tu vas à Molenbeek, tu as un choc culturel et physique. On me rétorque qu’en France, nous avons les banlieues. C’est vrai, mais ici, c’est au centre de la capitale. A deux cent mètres de la Grand-Place, tu es en Arabie saoudite. Il y a un truc qui ne va pas. Jamais je n’ai vu autant de femmes voilées dans d’autres villes européennes. Il a fallu que ça pète dans le métro pour qu’on puisse enfin le dire. Avant, si tu osais en parler, on te rétorquait tout de suite que tu n’aimais pas la Belgique.  » Un autre exemple ? Le voici servi tout chaud, tout frais :  » Quand tous les Rwandais sont arrivés ici après le génocide, dans les années 1990, on ne s’est même pas demandé comment on allait les intégrer, si l’extrême violence vécue là-bas ne les amènerait pas à se comporter de la même façon ici. Tout le monde se foutait de savoir s’il fallait ou non des structures d’accueil…  »

Les Belges n’auraient plus de capacité d’indignation face aux dérives du système institutionnel. Anesthésiés par tant d’années de déliquescence programmée.  » La justice belge s’effondre sous nos yeux, appuie Quatremer. Votre pays est en queue de classement de l’OCDE en ce qui concerne les investissements. Ça devrait faire la une des journaux tous les jours ! Mais non… Et je mets ma main à couper que lors de la prochaine réforme de l’Etat, on parlera de la régionalisation de la justice, y compris de son budget. Mais enfin, francophones, réveillez-vous !  »

Le journaliste se réfère à la célèbre interview d’Yves Leterme qu’il avait réalisée durant l’été 2006, dans laquelle le futur Premier ministre d’alors avait affirmé que les francophones n’étaient pas  » en état intellectuel d’apprendre le néerlandais « .  » Il m’avait dit qu’il ne restait, comme ciment de la Belgique, que le roi, l’équipe de foot, les bières et l’armée. Aujourd’hui, l’armée est flamande ! Les grands perdants de la Belgique actuelle, ce sont les francophones et ils ne veulent surtout pas s’en rendre compte. Il y a vraiment une pression sociale pour que l’on mette le couvercle sur les problèmes. Notre métier à nous, journalistes, c’est de dénoncer le fait que la Belgique d’aujourd’hui, c’est la Flandre !  »

 » Il existe de vrais dangers  »

Notre pays est-il condamné à s’effondrer en silence ?  » Depuis que la N-VA est au pouvoir, elle dit des choses monstrueuses, mais c’est une sacrée rupture par rapport à la période où les socialistes tenaient des propos anesthésiants, analyse Jean Quatremer. La période Di Rupo restera un grand moment de l’histoire belge : « tout va bien, puisqu’on vous le dit »…  »

Le nouveau PS en construction, qui opte pour une régionalisation responsable ?  » La Wallonie commence enfin à se dire qu’elle doit construire elle-même. Le ministre-président, Paul Magnette, semble déterminé à le faire, mais il est grand temps. A force de tout attendre de l’Etat fédéral, la Wallonie est en train de mourir. Or, la Flandre ne s’en préoccupe pas, De Wever l’a dit clairement. On peut penser ce que l’on veut de ce type, mais il est d’une honnêteté absolue…  »

De quoi être optimiste ? Pas vraiment. Pour clôturer son tour d’horizon décapant, Jean Quatremer met en garde :  » Heureusement, la Belgique n’est pas un pays violent. Et qui n’est pas dans une situation où les extrémistes peuvent prendre le pouvoir. Mais je ne parierais pas sur le fait que ça dure éternellement. Les peuples changent vite. Et il existe chez vous de vrais dangers avec la ghettoïsation, la fragmentation en communautés.  »

PAR OLIVIER MOUTON

 » A deux cent mètres de la Grand-Place de Bruxelles, tu es en Arabie saoudite  »

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