© ALEX SALINAS

 » Nourrir nos esprits est primordial « 

Galeriste bruxellois en vue, Xavier Hufkens répond à l’actuelle période de disette culturelle en mettant à la disposition de tous des contenus culturels rares et précieux. Salutaire.

A l’autre bout du fil, on sent un homme déterminé et positif. Un homme fidèle au poste, c’est-à-dire entre les murs de sa galerie d’Ixelles en compagnie d’un assistant, que rien ne semble arrêter : ni le confinement, ni le spectre d’une crise du marché de l’art agitée par tous. Il faut dire qu’avec trente-trois ans de carrière au compteur, Xavier Hufkens (1965) a acquis une sérieuse dose de sagesse :  » Je ne veux pas prendre la posture du vieux blasé qui a tout vu mais, après plus de trois décennies passées à la tête d’une galerie, ce n’est pas la première crise que j’affronte. Celle-ci est horrible parce qu’elle est sanitaire et que des personnes meurent mais il y a eu 2008 et l’effondrement financier, 1991 lors de l’invasion du Koweït… Les crises, cela va et ça vient. Personnellement, je crois profondément en la résilience de l’être humain. Tout cela passera.  »

LA MANIÈRE DES ARTISTES DE VOIR LE MONDE, TELLEMENT PERSONNELLE, PRÉSERVE DE LA BANALITÉ CELUI QUI LES ACCOMPAGNE.

Résilience, le mot est lâché. Il résonne tout particulièrement au fil du parcours de cet autodidacte qui s’est hissé à la force des poignets au sommet de la profession. Plutôt modeste, ce natif d’Hasselt, dont les origines sont à la fois flamandes et wallonnes, se plaît à minorer ses mérites.  » Quand j’ai commencé, dans un petit espace en arrière-cour de la rue de l’Eglise Saint-Gilles, les choses étaient beaucoup plus faciles. Je me souviens d’avoir lancé une collaboration avec un sculpteur britannique en lui écrivant une lettre. Peu de temps après, il est venu me voir à Bruxelles avec une oeuvre dans sa voiture. C’était… Antony Gormley.  »

Symptomatique des relations profondes nouées avec les artistes, le plasticien britannique, célèbre notamment pour son imposant Angel of the North à Gateshead, figure toujours parmi les protégés du Limbourgeois. A ses côtés, on trouve des signatures aussi délicates que celles des Belges Thierry De Cordier, Michel François ou encore Walter Swennen. Sans parler des estates, ces fondations qui perpétuent l’oeuvre et la mémoire de pointures des arts plastiques, comme celles de Louise Bourgeois ou de Willem de Kooning, avec lesquelles le galeriste entretient des relations privilégiées. Xavier Hufkens, un bosseur d’autant plus opiniâtre qu’il avoue  » ne jamais avoir l’impression de travailler « . Quelle est sa recette contre la routine et la lassitude ? Quand on lui pose la question, la réponse fuse :  » J’aime ce métier plus encore que lorsque j’ai commencé ma carrière. Je ne dois cela qu’à un facteur : les artistes. Même si ce sont parfois des êtres compliqués, leur manière de voir le monde est tellement inédite et personnelle qu’elle préserve de la banalité celui qui, comme moi, a la chance de les accompagner.  »

Plus proches les artistes

La résilience de Xavier Hufkens s’exprime également à travers son goût pour la proactivité. Plutôt qu’imaginer, comme cela s’est beaucoup vu aux quatre coins des cimaises, une visite virtuelle de sa galerie, une façon de perpétuer un modèle éminemment marchand, l’intéressé a réagi autrement. Il résume la situation :  » Pour le grand public, une galerie d’art est avant tout un espace de commerce. De fait, la vente est importante. Il reste que j’ai imaginé ce lieu parce que sans être capable de créer, je voulais être proche des artistes. Cette intention, je n’ai pas voulu la perdre en cours de route. J’estime même qu’il est de mon devoir de partager cette proximité avec toute personne que cela intéresse. On oublie que dans une galerie, on peut entrer sans acheter. Cela veut dire que nous avons une vraie fonction culturelle. Nous sommes là pour tout le monde.  »

En ce sens, la crise du coronavirus s’est révélée à la façon d’une opportunité pour Xavier Hufkens.  » La rupture créée par cette nouvelle temporalité m’a obligé à me réinterroger sur ce que je faisais et pourquoi je le faisais. Que puis-je offrir au public maintenant que la galerie est fermée ? Telle a été la base de ma réflexion « , poursuit celui qui a organisé dans les années 1990 la première exposition en Europe de l’artiste américain Felix Gonzalez-Torres. Pour mettre sur pied une riposte, le galeriste décide de faire appel à son réseau de créateurs, de collectionneurs, de directeurs de musée… afin de les interroger sur leurs besoins.  » La plupart des gens étant chez eux, il a été facile de comprendre que nourrir les esprits était primordial « , déclare-t-il.

Avec une équipe de quatre communicateurs, Xavier Hufkens déniche des films rares livrant des éclairages inédits sur des artistes phares de son écurie (Alice Neel, Robert Mapplethorpe, Tracey Emin…). La tâche est moins facile qu’il n’y paraît :  » Nous voulions des contenus rares et qualitatifs avec une valeur ajoutée, pas des documentaires accessibles sur Netflix ou Proximus TV. L’opération s’est avérée beaucoup plus compliquée que ce que j’imaginais, il a fallu négocier ferme, parfois avec plusieurs producteurs… mais nous sommes parvenus à mettre, pour des durées de deux semaines, des petites perles à la disposition de tous (1). Le tout est totalement gratuit, j’insiste là-dessus, nous ne misons pas non plus sur la récupération de données personnelles vu qu’il n’est même pas besoin d’introduire son e-mail pour obtenir l’accès.  »

A l’arrivée ? Un succès mondial. Des dizaines de milliers de vues en provenance des quatre coins du monde. Fidèle à une certaine contemporanéité, Xavier Hufkens imagine également un second format, celui-là proposé sur le compte Instagram de la galerie (2). Son nom ? Three questions with… La trame est celle d’une courte séquence vidéo envoyée en droite ligne de l’endroit de confinement de plasticiens tels que Katherine Bernhardt (depuis le Guatemala), Wyatt Kahn (depuis sa cuisine à Brooklyn), Alessandro Pessoli (dans son jardin à Los Angeles). Plus que convaincant, le résultat aux allures de petites oeuvres d’art permet d’entrer dans une intimité inédite, privilégiée, avec les artistes. Ainsi de Tracey Emin en direct de son lit (depuis My Bed on sait combien cet élément mobilier est significatif dans l’oeuvre de la Britannique) ou encore de Walter Swennen savourant le crépuscule depuis sa terrasse.

 » En ce moment, nous sommes en train de faire le montage de Paul McCarthy qui répond aux questions depuis son atelier de Los Angeles. Peu de gens ont eu la chance de pénétrer l’antre de cet artiste hors pair « , ajoute celui qui représente une quarantaine d’artistes internationaux. Il reste que les projets de Xavier Hufkens n’ont pas la Toile pour seul horizon. En plus de ses deux galeries actuelles, il est sur le point d’inaugurer un troisième lieu dédié à la peinture. Celui-ci, qui prouve sa foi en l’avenir, prendra place rue… Van Eyck, ce qui, on en conviendra, ne s’invente pas.

(1) xavierhufkens.com/films/robert-mapplethorpe.

(2) Instagram : xavierhufkens.

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