Notre palmarès des communes qui taxent le moins

Ettore Rizza
Ettore Rizza Journaliste au Vif/L'Express

Qui vérifierait les taux de fiscalité locale avant de s’installer ici ou là ? Pourtant, au sein d’une même province, la différence entre deux localités peut avoisiner 1 000 euros par an. Zoom commune par commune en Wallonie et à Bruxelles.

Pierre et Martine sont mariés depuis trois ans, ils n’ont pas d’enfants. Tous deux sont salariés, l’un à Bruxelles, l’autre à Liège. Jusqu’ici locataire, le couple envisage d’acheter une maison quelque part à mi-chemin entre ces deux villes. Comme tous candidats acquéreurs, ils comptent s’informer sur le prix moyen de l’immobilier dans plusieurs communes, vérifier l’accessibilité des lieux, la proximité d’une gare, de commerces, de crèches et d’écoles pour leurs futurs enfants, etc. Jamais ils ne songeraient à départager deux communes en fonction de leur fiscalité locale. Ils savent que celle-ci existe, bien sûr, mais ils ont renoncé à comprendre une matière qu’ils jugent à la fois rébarbative et anecdotique. La différence éventuelle, se disent-ils, ne se chiffre sans doute qu’à une centaine d’euros par an, tout au plus.

Pierre et Martine ont tort. Du moins en partie. Si comparer le poids des fiscalités communales est à la portée de chacun, encore faut-il pouvoir rassembler les données, souvent éparses. Mais peu importe puisque Le Vif/L’Express l’a fait pour eux. Pour chacune des 262 communes wallonnes, la Région bruxelloise et un panel d’entités flamandes, notre ménage trouvera dans les tableaux qui suivent le montant des impôts communaux et provinciaux dont il devrait s’acquitter chaque année, exception faite des taxes locales (voir encadré page 29). Et comme on peut le voir, les écarts entre communes, classées par ordre de fiscalité croissant, n’ont rien d’anodin. Pour un couple aux revenus situés dans la moyenne supérieure, propriétaire d’une habitation ordinaire, la différence entre la première, Lasne, et la dernière, Sainte-Ode, atteint presque 1 300 euros par an. Au sein d’une même province, comme Namur, les variations peuvent frôler les 900 euros. Pas si anecdotique sur 20 ou 30 ans.

Mais de quoi parle-t-on ? Pour bien comprendre, il faut savoir que la plupart des communes belges tirent l’essentiel de leurs recettes de la fiscalité. A savoir les additionnels à l’impôt des personnes physiques (IPP), les additionnels au précompte immobilier (PI) et les taxes communales proprement dites.

Les premiers sont sans doute les plus connus. En lisant le détail de son calcul d’imposition, chaque contribuable peut constater qu’une partie de ses impôts annuels est reversée à sa commune. Après avoir calculé la part due à l’Etat, le SPF Finances gonfle en effet la somme d’un certain pourcentage, dont le taux est voté une fois l’an au sein des 589 conseils communaux belges. En Wallonie, ces additionnels à l’IPP vont cette année de 5,7 % (Waterloo) à 8,8 % (quinze communes). Prenons un habitant de Waterloo dont l’impôt dû à l’Etat atteint 10 000 euros avant déduction du précompte professionnel ou des impôts anticipés versés durant l’année. Celui-ci devra s’acquitter, en plus, de 570 euros au profit de la commune. Un habitant d’Ath, lui, en versera 880. A noter qu’en Région bruxelloise une taxe d’agglomération de 1 % s’ajoute à celle des communes.

Viennent ensuite les centimes additionnels au précompte immobilier. Leur appellation pourrait induire en erreur. En réalité, ces petits centimes constituent la majeure partie de l’impôt foncier, le  » cadastre « . En outre, les dix provinces et l’agglomération bruxelloise perçoivent aussi des centimes additionnels. Là encore, les taux sont votés chaque année. Dans la plus grande liberté. Ainsi, alors que les circulaires budgétaires recommandent un taux maximal de 2 600 centimes additionnels, cinq communes dépassent les 3 000. Notamment Huy (3 100), qui exploite au maximum les installations de la centrale nucléaire de Tihange. La province et la Région ont eu beau s’en émouvoir, le Conseil d’Etat a donné raison aux Hutois, en 2002, rappelant que l’autonomie fiscale des communes est gravée dans la Constitution.

Selon Belfius banque (ex-Dexia), les additionnels à l’IPP représentent en moyenne 37 % des recettes fiscales communales, contre 43,9 % pour les additionnels au précompte. Dans les communes de moins de 10 000 habitants, le rapport s’inverse. Le solde (17,1 %) est constitué des autres taxes communales, évoquées par ailleurs.

Communes pauvres vs communes riches

Les tableaux qui suivent reprennent le montant total d’additionnels dont Pierre et Martine, notre ménage de référence, devraient s’acquitter envers leur commune et leur province de résidence. Ce mix tend à favoriser les communes situées dans la province qui perçoit le moins de précompte (Brabant wallon), au détriment de celles du Hainaut et du Luxembourg. Pour reprendre l’exemple de Sainte-Ode, bonne dernière, ses additionnels ne sont pas les plus importants de Wallonie, mais elle pâtit des perceptions provinciales.

Si l’on ne tient compte que de la fiscalité communale, la bourgade germanophone d’Amblève (Liège) prend le pas sur Lasne, tandis que les Hainuyères Farciennes et Chapelle-lez-Herlaimont se classent dernières ex aequo, juste derrière Sainte-Ode. Mais, dans l’ensemble, le classement ne s’en trouve pas totalement modifié.

Comment expliquer ces écarts ? Dans l’ensemble, les communes riches taxent le moins, tandis que les pauvres sont contraintes de pratiquer la fiscalité la plus lourde. La règle se vérifie en tout cas aux deux extrémités du classement global. Logique : à Lasne, localité la plus huppée, 1 % d’impôt sur des revenus très élevés rapporte plus qu’ailleurs.  » Quand nous avons augmenté nos additionnels à l’IPP de 0,8 %, nous n’avons obtenu que 67 000 euros de recettes supplémentaires « , soupire de son côté Hugues Bayet, bourgmestre PS de Farciennes, qui compte sur son territoire près d’un tiers de logements sociaux. Idem pour le précompte immobilier. Braine-l’Alleud, dont les revenus castraux moyens dépassent largement ceux de Frameries, peut se permettre de prélever moins de centimes additionnels. Leur rendement sera identique, voire supérieur.

Injuste ?  » On va totalement à l’encontre du principe de progressivité de l’impôt et de solidarité entre les citoyens, regrette Alice Romainville, chercheuse au département géographie de l’ULB. Par ailleurs, ce phénomène pousse les communes à une sorte de « chasse à l’habitant à hauts revenus », ce qui a des conséquences néfastes à la fois du point vue social et environnemental : on favorise le lotissement de nouveaux espaces plutôt que la densification des espaces déjà urbanisés. « 

Mais si l’on examine le classement plus en détail, le précepte  » commune riche = fiscalité douce ; commune pauvre = taxes à gogo  » ne tarde pas à se lézarder. Classée dans le top 10, la Namuroise Gedinne (moins de 5 000 âmes) affiche un indice de richesse nettement inférieur à la moyenne wallonne. Pourtant, malgré une fiscalité légère, les comptes sont largement bénéficiaires. Merci les arbres. Avec 7 000 hectares de forêt communale, Gedinne finance un tiers de son budget par la vente de bois marchand, à laquelle s’ajoutent les revenus de la chasse. L’excellent classement d’Amblève et de ses voisines germanophones s’explique en partie de la même manière (lire page 22).

A l’inverse, la commune résidentielle de Neupré (Liège) compte parmi les plus cossues de Wallonie, ce qui ne l’empêche pas d’imposer une fiscalité plus élevée que sa voisine Seraing. Selon son bourgmestre, Arthur Cortis (PS, coalition PS-CDH), le principal problème vient justement de la zone de police commune entre les deux entités.  » Depuis la fusion, nous payons deux fois plus pour un nombre de policiers identique, déplore le maïeur. Or nous n’avons que les taxes traditionnelles pour faire avancer la commune. Il n’y a pas d’industrie chez nous, strictement rien. « 

Les petites communes ont pourtant moins d’obligations que les centres urbains. Une ville comme Charleroi ou Liège, sans parler de Bruxelles, offre en effet des services dont profite une population largement supérieure à la sienne.  » Les additionnels ne suffisent pas à couvrir les besoins de ces centres urbains, aussi vont-ils chercher des moyens sur d’autres taxes spécifiquement locales « , souligne Arnaud Dessoy, responsable  » études secteur public  » à la banque Belfius.

Les longues majorités PS taxent plus le revenu

La couleur politique de la majorité influence-t-elle les taux de taxation ? Là encore, l’examen des seuls extrêmes pourrait conduire à des conclusions hâtives. Certes, les premières du classement sont en majorité libérales, les dernières, socialistes. Mais l’opposition ne serait-elle pas plutôt riche banlieue brabançonne, sociologiquement à droite, et communes désindustrialisées du Hainaut, historiquement à gauche ? Le reste du classement ne permet pas de trancher la question.

Sur le long terme, en revanche, les économistes de l’UCL Marcel Gérard et Laurent Van Malderen semblent avoir découvert une corrélation entre majorités de gauche et taux élevé d’additionnels à l’impôt sur le revenu. Ce serait surtout le cas dans les communes où le PS est aux commandes depuis plusieurs mandatures. Selon les auteurs de l’étude, non encore publiée, cette corrélation pourrait s’expliquer au moins de deux manières : le confort que procure un long monopole sur le pouvoir, mais aussi une tendance idéologique à la redistribution des richesses et à la fourniture d’un maximum de services locaux.

Les  » cadeaux fiscaux  » à l’approche des élections, eux, semblent s’estomper. Si l’on examine les taux moyens d’additionnels en Wallonie et en Flandre depuis 1 990, on constate que la courbe décline à l’approche de chaque scrutin, remonte immédiatement après les élections, puis se stabilise au cours de la seconde moitié de mandature. La hausse est particulièrement frappante au lendemain des élections de 2 000.  » Elle s’explique aussi par la réforme fiscale de 2000-2001, nuance Amaury Bertholomé, conseiller à l’Union des villes et communes de Wallonie. Vu que l’impôt fédéral aux personnes physiques a baissé, les communes ont augmenté leurs taux afin de garder le même niveau de recettes.  » Influence de la crise économique ? Reste que le cycle ne s’est pas reproduit en 2 012, note pour sa part Arnaud Dessoy.

D’autres études soulignent aussi un phénomène de mimétisme fiscal entre entités voisines.  » Il existe une concurrence par comparaison, résume l’économiste Marcel Gérard. Les dirigeants d’une commune se sentent obligés de faire aussi bien que ceux de la commune voisine.  » Voilà qui pourrait expliquer les taux de taxation relativement similaires que pratiquent les communes résidentielles au nord du Brabant wallon.

Reste à voir si un écart de fiscalité communale peut vraiment jouer un rôle dans le choix des ménages. C’est en tout cas le pari de la namuroise Vresse-sur- Semois (2 760 habitants, 12 églises, population vieillissante), qui a baissé son IPP de deux points depuis les élections de 2006.  » On essaie de trouver des incitants pour que les jeunes ménages s’installent chez nous, explique l’échevin des Finances, André Pirson. J’espère que ça paiera à long terme. « 

Voire. Selon Alice Romainville (ULB), qui a étudié la question sur Bruxelles,  » les différences d’IPP entre communes n’affectent véritablement que les ménages à hauts revenus, et encore ce différentiel ne représente qu’une infime proportion de leur budget. Si l’on compare avec la charge que peuvent représenter les dépenses liées au logement, à la consommation d’énergie ou encore au transport, il est très clair que c’est d’abord sur ces dépenses-là que les choix résidentiels se feront. « 

Bref : quels que soient ses charmes fiscaux, une petite commune boisée située à 150 km de Liège et de Bruxelles aura sans doute du mal à séduire Pierre et Martine.

ETTORE RIZZA

Grâce aux ventes de bois, les communes forestières peuvent souvent se permettre une fiscalité douce

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