« Notre objectif: faire de l’audience »

Le credo de Philippe Delusinne, nouvel administrateur délégué de RTL-TVI, a le mérite de la clarté. Rencontre avec l’ex-publicitaire reconverti

« Je lis beaucoup la presse et regarde peu la télé. » Venant du nouveau patron de la première chaîne francophone en Communauté française, l’aveu est cocasse. Mais, promis juré, Philippe Delusinne va changer quelques-unes de ses habitudes, se brancher professionnellement sur RTL-TVI, réfréner sa manie du zapping et se payer une antenne parabolique pour capter Club-RTL qu’il ne reçoit pas chez lui, à Beersel, en périphérie flamande de Bruxelles.

Trois semaines seulement après le changement de pilote à la barre de la RTBF, c’était donc au tour de la concurrente privée de confier les rênes à un gestionnaire venu de l’extérieur ( Le Vif/L’Express du 22/3). Comme Jean-Paul Philippot, qui administre désormais le service public, Philippe Delusinne est un jeune quadragénaire, auréolé de sa réussite en tant que patron de l’agence publicitaire Young & Rubicam (Belgique). Comme lui, il est proche de la famille socialiste. Ami d’Elio Di Rupo, il lui a donné des conseils en communication, « mais je n’ai jamais écrit le moindre discours pour lui, comme on l’a dit ». Il n’en fallait pas plus pour que sa nomination d’administrateur délégué fasse, à sa grande surprise agacée, l’objet d’une lecture très politique chez certains. Ainsi, Louis Michel, vice-Premier ministre réformateur, n’est pas loin de penser que les deux chaînes francophones sont maintenant aux mains du PS et – faut-il le préciser? – il en conçoit beaucoup de dépit.

Il est vrai que les libéraux ont de quoi être nerveux. En oeuvrant, au début des années 1980, pour casser le monopole de la RTBF au profit de RTL, ils comptaient bien toucher quelques dividendes médiatiques. Ils les attendent encore, signe d’une salutaire indépendance rédactionnelle de la chaîne privée. Richard Miller, lui, voudrait simplement que cesse le bannissement d’antenne dont il dit être victime. Depuis qu’il a donné, en mars 2001, le feu vert à la création de la chaîne AB3, le ministre (MR) de l’Audiovisuel n’est plus interviewé, ni apparu, ni même cité à l’écran de TVI. Des équipes de la chaîne se sont parfois déplacées à ses rencontres de presse mais sans suite au « 19 Heures ». « Je vais m’employer à gommer les petites choses, si elles existent, qui font que certains s’estiment mal traités », promet Delusinne. Son expérience du contact avec les annonceurs, ses anciens clients, devrait faire merveille. « On ne peut pas être une chaîne ouverte, faite pour tous, sans avoir de relations normales et fluides avec l’ensemble du monde politique », assure-t-il.

« Je ne fonctionne pas à l’émotion »

Inexpérimenté sur le terrain spécifique de l’audiovisuel, même s’il fut administrateur suppléant à la RTBF, Philippe Delusinne revendique au moins l’art de savoir respirer l’air du temps. S’intéresser aux comportements des gens s’impose aux publicitaires comme aux professionnels de la radio-télévision, pense-t-il, et quelques-uns de ceux-là l’entourent aux postes de direction de la maison.

Si elle n’a rien de très flatteur ni de bien original, sa conception de ce que doit faire une chaîne commerciale a au moins le mérite de la clarté : « Notre seul objectif à nous est d’être une chaîne performante qui fait des audiences et qui attire des annonceurs, par lesquels nous vivons. Nous avons besoin d’audience de façon vitale. » Le nouveau patron surprend davantage quand on lui demande si le critère de qualité trouve une place dans cette stratégie. « Je crois, répond-il après un silence, que la qualité, c’est le succès. Quand vous mettez un programme sur antenne et que les gens sont nombreux à le regarder ou à l’écouter, c’est une preuve qu’il est de qualité. » « Mais, ajoute-t-il quand même, il faut aussi se demander jusqu’où aller vis-à-vis de dérives éthiques de certains programmes. Les pugilats impudiques du Jerry Springer Show, par exemple, ne se feront pas chez nous tant que je serai ici. Je le dis à titre personnel. »

Inspirée précisément de ce show américain nauséabond où défilent, pour se taper dessus (physiquement si possible) les cocus, rivaux-rivales, maîtresses ou partouzards, une nouvelle émission d’AB3 offre depuis peu aux candidats « son plateau pour venir tout révéler et régler vos comptes », comme l’écrit l’annonce sur Internet. Delusinne y songeait-il en tenant ses propos? Toujours est-il que l’arrivée d’AB3, les audiences de TF 1, les prochaines attributions de fréquences en radio ou encore l’alliance publicitaire entre Télé-Bruxelles et France Télévision lui inspirent la plus grande prudence. Oui, RTL-TVI a du succès. « Mais le plus grand danger serait de s’en contenter. Dans un pays aussi petit, nous devons asseoir notre position, nous déterminer par rapport à la concurrence, voir s’il n’y a pas de nouvelles choses à faire, anticiper sur ce qui se passera dans deux ou trois ans. »

La proximité, en tout cas, restera le maître mot de la chaîne. « C’est même un point de force qu’il ne faudra pas hésiter à accentuer dans les prochains mois », estime Delusinne, faisant allusion aux productions propres en matière de magazine et de fiction. Avec quels moyens ? RTL-TVI est bénéficiaire, rappelle le patron qui se veut rassurant: il ne vient pas pour réduire mais pour contrôler les coûts et il n’y a pas de logique de désinvestissements. Les diminutions d’emplois redoutées par le personnel ne sont donc pas à l’ordre du jour.

Levé à 6 heures du matin, rentré après 20 heures, Philippe Delusinne est de la race des bosseurs qui tire, le week-end, la cloison étanche entre boulot et famille. Ce temps-là est alors tout entier consacré à sa femme et à ses deux enfants de 15 et 18 ans. Ce côté méthodique est un trait marquant chez lui. « Je ne fonctionne pas du tout à l’improvisation et à l’émotion. Or, dans une société comme RTL-TVI, la charge émotionnelle est forte. C’est ce qui me frappe le plus après mes premiers jours ici: la chaîne s’est construite et vit encore sur un tissu relationnel très fort, sur un respect affectif. C’est une richesse à préserver mais cela complique les choses quand on est 560 à travailler. La gestion doit pouvoir dépasser cela. » A bon entendeur…

Jean-François Dumont

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