Notre Fukushima financier

Johan Van Overtveldt
Johan Van Overtveldt Johan Van Overtveldt is hoofdredacteur van Trends.

Inutile de tourner autour du pot. Dans l’affaire Dexia, la Belgique s’est fait rouler par la France. Le reste n’est que mensonges, pertes et hontes. Allons-nous laisser les responsables s’en tirer si facilement ?

Le fantôme Dexia continue de nous hanter. Si, en 2008, la banque franco-belge est restée debout grâce au soutien financier de l’Etat, la situation a dérapé l’automne dernier : Dexia n’a pu éviter la faillite. L’ex-Premier ministre Yves Leterme (CD&V), le ministre des Finances Didier Reynders (MR) et le gouverneur de la Banque nationale Luc Coene ont alors tenté de sauver les meubles. Sous leur impulsion, l’Etat a racheté la branche belge pour 4 milliards d’euros. Il s’est en outre engagé à prendre en charge 18 milliards d’euros de produits dits toxiques, le solde de Dexia restant dans le giron de Dexia Holding, souvent appelée  » banque résiduelle « . Pour permettre à la Holding d’éliminer son portefeuille dramatiquement mauvais, un système de garanties d’Etat de 90 milliards d’euros a été mis en place. La Belgique assume 60,5 % de ce financement tandis que la France et le Luxembourg assurent respectivement 35,5 et 4 %. Le moment est donc venu de tirer quelques conclusions.

On ne touche pas à Dexia

L’idée selon laquelle notre pays aurait encore des avantages à sauver Dexia est un pur mensonge. Sûr de lui, Yves Leterme claironnait l’an dernier que l’intervention en faveur de Dexia  » ne coûterait pas un cent  » à notre pays et rapporterait même de l’argent. La garantie rédigée par la Belgique en faveur de Dexia Holding établit en effet que cette dernière devrait payer une redevance annuelle permettant de renflouer rapidement les caisses de plusieurs centaines de millions.

Pierre Mariani, CEO du groupe Dexia, a été très clair il y a deux semaines : soit les autorités réduisent la redevance de cette garantie à  » peanuts « , soit Dexia Holding s’effondre avec, pour conséquences, de sérieuses pertes et un vent de panique sur les marchés financiers. Si cette déclaration s’apparente à du pur chantage, elle a le mérite d’être claire.

Les pertes s’accumulent

Dexia Holding a présenté ses résultats le 23 février. Bilan : une perte de 11,6 milliards d’euros. Le capital de Dexia Holding a chuté à la suite du traitement de pertes additionnelles négatives (à savoir moins deux milliards d’euros). Concrètement, cela signifie que l’entreprise n’est plus capable d’assumer d’autres pertes. Ce déficit de 11, 6 milliards est lié à une réduction de la balance totale de Dexia Holding de 500 à 300 milliards d’euros (en arrondissant les chiffres). Les pertes résultant de la vente de Dexia Banque Belgique (4 milliards) et des obligations grecques (3,2 milliards) forment les principales composantes du déficit de 11,6 milliards d’euros.

Le portefeuille de produits toxiques est passé de 250 à 100 milliards d’euros. Derrière cette impressionnante réduction, se cache une réalité moins glorieuse. Des sources internes à Dexia Holding confirment en effet que les composantes déficitaires les plus importantes font encore partie du portefeuille et doivent par conséquent toujours être éliminées. Contrairement à ce que Pierre Mariani prétend, l’héritage de la reprise malheureuse de l’assureur américain FSA n’est pas encore complètement évincé. Les pertes qui doivent être encaissées sur le portefeuille toxique restant seront par conséquent nettement plus importantes que les pertes enregistrées sur les 150 milliards d’euros déjà libérés. Etant donné que le capital est déjà négatif, des garanties d’Etat seront nécessaires pour sauver Dexia Holding de la banqueroute. Celle-ci va donc désormais réellement coûter de l’argent au contribuable belge.

D’autres garanties d’Etat ?

Les pertes énormes et les perspectives sombres de Dexia Holding continuaient à peser lourdement sur Dexia Banque Belgique (DBB), en raison de la confusion auprès du grand public. Le changement de nom de DBB en Belfius est intervenu rapidement. Il devrait être soutenu par une intense campagne (le coût de l’ensemble du  » rebranding  » est estimé à 35 millions d’euros), dans le but de montrer au public la différence avec Dexia Holding.

Mais ce n’est pas tout. Après Dexia Holding, c’était au tour de Dexia Banque Belgique – Belfius de dévoiler ses résultats la semaine dernière. Ceux-ci sont, sans surprise, négatifs (1,3 milliard d’euros) et résultent en grande partie de l’élimination progressive du portefeuille toxique hérité bien malgré elle lors de la scission de DBB. Belfius doit en outre faire face à un autre problème : elle détient aujourd’hui encore 40 milliards d’actifs – en arrondissant les chiffres – de Dexia Holding. Ces montants (dépôts belges) ont, par le passé, été transférés de la Belgique vers la France, afin de garantir les réserves. Trente milliards sur 40 sont couverts par des garanties ( » collatérales « ), au contraire des 10 milliards d’euros restants. Chez Belfius, ce risque ne semble pourtant pas inquiéter. Les accords conclus lors de l’achat de DBB garantissent (du moins implicitement) l’intervention de l’Etat belge dans le cas où ces 40 milliards auxquels a droit DBB n’étaient pas restitués. Le contribuable belge ignorait l’existence de cette garantie et c’est là l’un des nombreux côtés sombres du dossier.

Echec pour les décideurs politiques

En résumé, le dossier Dexia est en train de devenir un énorme échec pour de nombreux politiciens et hauts responsables belges. Le fait que Jean-Luc Dehaene, en tant que président du conseil d’administration de Dexia Holding, refuse purement et simplement d’être présent lors de la divulgation des résultats de la Holding interpelle tout particulièrement. Et si Pierre Richard et Axel Miller sont les principaux responsables des choix stratégiques à l’origine de la catastrophe actuelle, l’attitude de Jean-Luc Dehaene est symbolique de l’ensemble de la gestion belge du dossier Dexia. Les experts sont formels : la Belgique s’est fait rouler par les Français. Alors que les plus grandes pertes du groupe Dexia incombent à la France, nous assumons 60,5 % des pertes de Dexia Holding. Et ce, après avoir déjà payé un prix royal pour la séparation de Dexia Banque Belgique (4 milliards plus la reprise de 18 milliards).

Le dossier est complexe, mais les dirigeants de Dexia ne peuvent dissimuler la vérité. Des mensonges, comme celui proféré fin 2011 affirmant que la garantie d’Etat en faveur de Dexia pouvait être réduite de 90 à 45 milliards d’euros, n’ont plus lieu d’être. L’économiste Geert Noels a comparé le dossier Dexia à la catastrophe nucléaire de Fukushima : une forte attention au moment de la catastrophe suivi d’un long silence tandis que l’onde de choc poursuivait son travail de destruction et que personne n’était pointé du doigt. Dexia serait notre Fukushima financier : notre garantie de 60,5 % des 90 milliards équivaut à 54 milliards d’euros. C’est 17 % de notre Produit intérieur brut. Ce qui ramène notre niveau d’endettement à hauteur de celui de l’Italie.

JOHAN VAN OVERTVELDT

Dexia Holding va désormais réellement coûter de l’argent au contribuable belge Notre garantie dans Dexia correspond à 17 % du PIB

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