Nos vrais héros

Guy Gilsoul Journaliste

De Bécassine à Charlemagne, de Tchantchès au Père Lustucru, le musée des Arts et Traditions populaires, à Paris, raconte les personnages de notre imaginaire

Ils ne sont ni sages, ni saints. Mais ce sont nos héros, ceux de nos livres d’images, des récits transmis et des chansons populaires. Les voilà, célèbres ou moins, mais jamais oubliés. Dans les salles de ce musée parisien, on se revoit enfant, allant de surprise en émerveillement, que des commentaires clairs et succincts ont l’art d’éclairer. La règle-épée dans la main, que n’a-t-on été chevaleresque, au grand dam parfois de l’Histoire, de la conscience démocratique et du devoir de calcul. Charlemagne reste un héros, comme Roland, son neveu, Godefroid de Bouillon, les quatre fils Aymon ou encore le roi Arthur. Ils désignent, mieux que les savants, l’imaginaire de cette Europe née au Moyen Age sur les restes des ambitions d’Alexandre le Grand et de Jules César. Tous, chevaliers ou rois, preux ou paladins, partagent la même foi conquérante et aveugle qui les rend forts, purs et merveilleux.

Barbe-Bleue et Dracula

Mais, en ce même Moyen Age des croisades finissantes, ils troquent aussi parfois l’amour de Dieu pour celui d’une belle inaccessible mais plus en chair. L’assurance qui guidait leurs pas vers des terres sans frontières tremble, minée par l’irruption du doute. A l’ère des villes naissantes, puis des conquêtes du monde, quoi de plus normal? Hamlet sera un familier des fantômes et Faust pactisera avec le diable. Barbe-Bleue existait déjà. Voilà Vlad l’empaleur, plus tard nommé le Prince Dracula.

Rustres et filous

Moins noir, plus drôle, Don Quichotte, né au XVIIe siècle, sera l’antihéros dont on raconte les combats contre les moulins. Mais c’étaient là affaires des grands d’un monde par trop hiérarchisé. Les petits vont prendre leur revanche. Gargantua et ses compagnons ivrognes et vérolés mettent le holà aux ambitons de Picrochole dont on dit, en coulisse, qu’il incarne Charles Quint. Un peu plus tard, Dame Gigogne devient la première féministe. Lustucru y met bon ordre, mais pas pour longtemps. Il sera massacré. Le héros populaire est souvent mal-né, opprimé, exploité: Crasmagne, le Charlemagne des crassiers, le rustre Arlequin, le filou Briguelle, notre Tchantchès conseiller des grands et, enfin, Polichinelle dont l’inventeur, le marionnettiste Brioché, était aussi arracheur de dents et partisan de la Fronde. Rires, farces, insolence. C’est la vengeance des malins, rusés, bossus, espiègles et hors-la-loi. C’est le Karagöz turc, le Karghiosis grec, le Punch des Anglais, le Petrouchka des Russes. Comme les chevaliers, ils plaisent, parce qu’ils désobéissent.

A l’idéal égalitaire prôné par la Révolution de 1789, ces immortels répondent par le rappel de leur supériorité, de leur caractère violent et de la valeur du sacrifice. Aux politesses, ils préfèrent les grossièretés, à la morale, les écarts du coeur. Bref, ils nous ressemblent et, en échange, nous leur offrons, par la voie des colportages, des rumeurs et des opportunités, de multiples réincarnations. Exemple: notre Tyl Uylenspiegel.

Son origine allemande remonte au milieu du XIVe siècle. En 1500, il est l’objet du premier roman populaire. On le retrouve, trois siècles et demi plus tard, métissé de donquichotteries, sous la plume de Charles De Coster où il devient l’emblème identitaire d’une certaine Belgique naissante. Au même moment, en Allemagne, une première bande dessinée, signée Wilhelm Busch, pioche dans ses aventures pour créer celles de deux farceurs, Max et Moritz, dont les péripéties traversent alors l’Atlantique (via Rudolph Dirks) avant de nous revenir en Pim Pam Poum. Décidément, l’art populaire a plus d’un tour dans son sac.

Héros populaires, Paris, musée des Arts et Traditions populaires. 6, avenue du Mahatma Gandhi (XVIe arr). Jusqu’au 10 juin 2002. Tous les jours, sauf le mardi, de 9 h 30 à 17 heures. Tél.: +33-1-44 17 60 70.

Guy Gilsoul

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