Nos coups de coeur 2001

Voici, dans les différents domaines artistiques, les préférences des journalistes culturels du Vif/L’Express pour l’année écoulée

Ghislain Cotton (littérature)

Le Jour des morts, par Cees Nooteboom (Actes Sud). Pour l’appréhension profondément humaniste du monde à travers une épreuve singulière.

Les Apparences, par Guy Vaes (éd. Luce Wilquin). Pour la maîtrise d’un regard poétique qui déconstruit aussi finement la réalité que l’illusion.

Comme un bruit d’abeilles, par Mohammed Dib (Albin Michel). Pour ces récits exemplaires où le doute fortifie et la certitude pervertit.

Un été autour du cou, par Guy Goffette (Gallimard). Pour l’évocation superbe d’une enfance cochonnée par l’égoïsme et le vice.

Philippe Cornet (musique non classique)

Ryan Adams. Avec son deuxième album, Gold, ce natif de Caroline du Sud réussit l’exploit de régénérer la tradition du rock bluesy grâce à des compositions parfois mémorables.

Mercury Rev et leur solaire All Is Dream: la romance pour mieux réinventer le quotidien, du trio de l’Etat de New York.

Christophe. Son disque inventif, Comm’ si la Terre penchait, repart de l’électro pour aboutir à la comédie des sentiments humains. Impressionnant.

Exciter, de Depeche Mode, et Reveal, de REM: deux albums impeccables, deux maturations élégantes, deux groupes quadras sans vieillissement.

Louis Danvers (cinéma)

No Man’s Land, de Danis Tanovic. Pour la révélation d’un jeune cinéaste belgo-bosniaque, qui ose l’ironie pour évoquer la guerre dans son pays d’origine.

L’Emploi du temps, de Laurent Cantet. Pour l’accord idéal d’un sujet fort et d’une mise en scène inspirée, poussant le réalisme social aux lisières du fantastique.

A ma soeur!, de Catherine Breillat. Pour l’audace et la justesse d’un regard sur l’adolescence échappant aux clichés.

Yi Yi, d’Edward Yang. Pour le mariage parfait de l’humain et du style, et la confirmation du remarquable niveau du cinéma taïwanais.

Thierry Denoël (théâtre)

The Island, de l’auteur sud-africain Athol Fugard, mis en scène par Pietro Varasso (théâtre de Poche). Parce que les droits de l’homme sont une lutte permanente.

La Reine Margot, d’Alexandre Dumas (Villers-la-Ville). Une fresque royale mise en scène par Stephen Shank. Parce que seule la tolérance fait progresser l’Histoire.

Est-ce qu’on ne pourrait pas s’aimer un peu?, drame burlesque de et avec Eric De Staercke et Sandrine Hooge, mis en scène par Jaco Van Dormael. Parce que l’amour est le combat de toute une vie.

Martine D.-Mergeay (musique classique, opéra)

La première du cycle Musique et poésie (Théâtre national). Quand deux auteurs, Apollinaire et Poulenc, et quatre artistes, Kalfon, Le Roux, Tharaud et Gaiarsa, démontrent que, entre « musica » et « parola », il n’y a pas de « prima », rien que la merveille d’un imaginaire conjugué.

Louis Langrée, nommé à la tête de l’Orchestre philharmonique de Liège. Une des bonnes nouvelles de l’année: un chef à la fois brillant et modeste marque son enthousiasme pour grandir avec un orchestre qui ne demande que ça. Leur premier concert, en janvier, a mis les foules au tapis.

Soledad, pur tango belge. De Piazzolla à Galliano, cinq jeunes musiciens, belges et classiques (double détour), font un malheur dans le genre exclusif du tango. A travers toute l’Europe, concerts et CD pris d’assaut.

In H-Moll, de Ingrid von Wantoch Rekowski. Confié à 10 comédiens plus ou moins chanteurs, un spectacle où la belle inventeuse se permet de détricoter non seulement le texte sacré, ce qui est à la portée de tout hérétique, mais le texte musical lui-même.

The Woman Who Walked Into Doors. Premier opéra du Belge Kris Defoort, d’après le roman de l’Irlandais Roddy Doyle: un mixage de langages idéalement adapté à l’histoire de Paula Spencer, poignante et drôle, mise en scène avec brio par Guy Cassiers. Le choc de l’automne.

Michèle Friche (théâtre)

Tout ça du vent, au théâtre de la Place et aux Tanneurs (mai). Un texte à la saveur wallonne, un seul corps, une seule voix, pour toutes les incarnations d’une enfance castrée, par un auteur-acteur bouleversant, Philippe Grand’Henry.

Au fond du bois, aux Halles de Schaerbeek (mai). L’inouï théâtre musical de Het Muziek Lod, en choeur explosé ou recomposé, qui conte, scande et danse les plaies belges les plus crues. Insoutenable et superbe!

La Cerisaie, de Tchekhov, au Varia (octobre). Michel Dezoteux y mène des comédiens en état de grâce, funambules entre drôlerie, pathétique, frivolité…

La Princesse Maleine, de Maeterlinck, au Jean Vilar (novembre). Signé Yves Beaunesne, l’éblouissement d’un mystère poétique, qui a trouvé son intelligence formelle et charnelle, avec un Roland Bertin immense.

Zugzwang, aux Tanneurs (novembre-décembre). La compagnie Transquinquennal confronte le réel et sa représentation au rythme d’une pensée en ricochets, bourrée d’humour, d’émotion, de petits riens et de profondes interrogations, hors de toute théâtralité.

Guy Gilsoul (arts plastiques)

Dario Serra (galerie Keitelmann, Bruxelles). Avec de grands papiers mouillés, de l’encre mêlée à l’eau et un poudroiement d’or, le dessinateur romain nous raconte le monde des oiseaux et des libellules, les amours des pieuvres et la patience de l’araignée. Rien de sensationnel, en somme; juste tout l’univers, et la sagesse.

Les Gardiens du temps (galerie Slim, Bruxelles). Ils étaient une centaine, faits de bois caressé par les vents et les pluies. Une centaine de bouddhas, de petite taille ou monumentaux, qui avaient fait du temps l’allié de leur beauté, le complice de leur signification: l’impermanence.

Héros populaires (Musée national des arts et traditions populaires, Paris). Ils étaient tous là, Charlemagne et Tchantchès, marionnettes et héros de notre enfance. Tous ceux qui, rassemblés, disaient combien la mémoire est vivace, et vivants ces héros, chevaliers, voleurs et justiciers venus du Moyen Age et à chaque fois recyclés.

Pascale Gruber (livres pour enfants)

Le Petit Dessin avec une culotte sur la tête, par Perrine Rouillon (Seuil). Un petit livre qui démontre avec brio que, pour une vraie réussite, point n’est besoin d’en faire trop. Un grain d’humour, une pincée d’inventivité, un souffle de poésie enrobent des jeux de mains sans vilain, pour un dialogue en noir et blanc entre un dessinateur et sa création.

C’est pas ma faute!, par Christian Voltz (Rouergue). La fermière en fait des tonnes, mais… qu’elle est drôle! Et quelle malice dans la mise en scène et le décor de cette comptine moderne!

L’Art de lire, par Jean Claverie et Michelle Nikly (Albin Michel Jeunesse). Une ode à la lecture, par un auteur qui est tombé dedans quand il était bébé et sait donner à ses lecteurs l’envie de faire comme lui.

Jésus Betz, par Fred Bernard et François Roca (Seuil Jeunesse). Pour les plus grands, l’histoire inoubliable d’un homme-tronc. Avec une mention spéciale pour ces illustrations d’une beauté et d’une profondeur époustouflantes.

Philippe Marion (musique classique, disques)

Glück, Italian Arias (Cecilia Bartoli, Decca). Au-delà du tapage marketing qui en a entouré la sortie, ce CD restera comme une pure merveille d’émotion lyrique. La mezzo italienne y porte l’expressivité à des confins inouïs.

Vivaldi, Il Cimento dell’armonia e dell’invenzione, Stabat Mater (Fabio Biondi, Virgin Veritas). Biondi et son Europa Galante propulsent dans l’odyssée discographique deux lectures fulgurantes de Vivaldi. Novateur, habité, bouleversant.

Christopher Rouse, Tan Dun, Concertos pour guitare (Sharon Isbin, Teldec New Line). Deux chefs-d’oeuvre gravés pour la première fois, et une magnifique guitariste, qui pratique avec la même maîtrise la sensualité brute du flamenco et la méditation onirique.

Janacek, In the Mist (Andras Schiff, ECM New Series). Une oeuvre sauvage, superbe, inclassable, dont Schiff exalte toute la densité et l’étrange splendeur.

Elisabeth Mertens (responsable de rubrique)

Théâtre:

ÜBUNG, de Josse de Pauw, au Kaaitheater (mai). Quand des enfants miment le monde des adultes… Un spectacle hors normes qui, en filigrane, nous pose les vraies questions. Que sommes-nous devenus? Que faisons-nous de notre vie?

Zugzwang, de Tranquinquennal, aux Tanneurs (décembre). Un ovni dans le paysage théâtral: à des années-lumière du « déclamatouâre », un foisonnement de références, de légèreté profonde, d’humour et de mises en abyme. De l’ arte povera richissime.

Le Dragon, d’Evguéni Schwartz, au National (septembre). Un « grand spectacle », populaire, drôle, enchanteur comme on les aime, et une grosse claque aux manipulateurs politiques. Une rentrée coup de poing pour le National sous chapiteau.

Littérature:

Un été autour du cou, par Guy Goffette (Gallimard). Un superbe roman, sur l’impossible réconciliation entre « ce corps » d’adulte et « cet enfant d’avant le drame, quand la forêt était encore pleine de merveilles et de secrets ».

La Petite Bijou, par Patrick Modiano (Gallimard). Attention, chef-d’oeuvre! Rare, chez les Français actuels.

Stéphane Renard (bande dessinée)

Carrément BD. Ce n’est pas une oeuvre, mais une collection d’albums au format carré. C’est une idée Glénat, et une trouvaille qui donne une ampleur lumineuse à la bande dessinée.

Un peu de fumée bleue. Et beaucoup de plaisir avec cette aventure débordante de couleurs et de vie, née de l’association inattendue du Wallon Lapière avec le Catalan Pellejero, réunis par Dupuis.

Anges. Un délire humoristico-religieux où les anges et les démons s’empoignent avec une joyeuse truculence. Par Dieter et Boiscommun, dessinateur trentenaire révélé par Le Livre de Jack et les Humanoïdes associés.

Norbert l’Imaginaire. La première BD de « notre » Vadot. Malgré quelques défauts de jeunesse, déjà un prix. Et une nomination au prochain Angoulême. Humour déjanté et prometteur (Lombard).

Lucie Van de Walle (danse)

Les Entrailles de Narcisse, de Bud Blumenthal (Brigittines). Un fascinant solo dansé par le chorégraphe, un spectacle essentiel et raffiné.

Voyage au bout de la nuit, de Raffaello Sanzio (Bellone-Brigittines). Danse, théâtre, musique? Ce spectacle indéfinissable joue avec le corps, la voix, le rythme. Une composition haletante, décoiffante.

Reflection, de et par Tanja Khabarova (Bellone-Brigittines). Une stupéfiante suite de métamorphoses combinées avec imagination. Inoubliable.

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