Asile du Beau Vallon, à Saint-Servais. © MAISON DU PATRIMOINE-SCJM

Non-assistance à fous en danger

Comment, pendant la Première Guerre mondiale, des milliers d’aliénés ont été abandonnés à leur triste sort en Belgique occupée. Près d’un quart de ces malades mentaux ne survivront pas à quatre ans de dénuement et d’isolement.

La Grande Guerre ne les a pas rendus fous. Ils l’étaient déjà avant que ne retentisse le premier coup de canon. C’est un drame dans le drame qui se joue à l’heure de l’invasion allemande en août 1914, qui se noue dans les 56 asiles que compte le pays. Comme tous les Belges sains d’esprit, la vie de 19 000 interné(e)s bascule. Mais c’est une double peine qui les attend pour quatre ans.  » L’abandon des aliénés à leur propre sort en Belgique occupée est un fait historique indiscutable « , affirment Benoît Majerus (Université du Luxembourg) et Anne Roekens (UNamur) au terme d’une enquête qui dévoile cette tache noire sur le soutien apporté aux plus démunis durant le conflit (1).

Non-assistance à fous en danger

La Belgique sous la botte allemande souffre, elle a faim. Un Comité national de secours et d’alimentation (CNSA) se mobilise pour distribuer l’aide humanitaire aux Belges occupés. L’organisation caritative sait se montrer sensible à la détresse des plus vulnérables et des plus fragilisés par les privations de l’occupation. Nourrissons, enfants rachitiques, femmes enceintes ou allaitantes, vieillards, tuberculeux bénéficient de rations supplémentaires. Mais pour les fous, aucun traitement de faveur, rien qu’une indifférence crasse. Les asiles et leurs pensionnaires ont droit à encore moins d’égards et de ravitaillement que les détenus des centres pénitentiaires.

Des bouches inutiles à nourrir…

Les appels à l’aide lancés par celles et ceux, souvent des religieux, qui assistent les malades mentaux se perdent dans un silence assourdissant. Quand ils ne se heurtent pas au mépris de l’occupant allemand, ils ne rencontrent que l’apathie des autorités belges. Lesquelles se lavent généralement les mains du sort des aliénés : il y a de ces bouches qui sont jugées moins utiles à nourrir que d’autres…  » Dans cette logique de hiérarchisation des catégories vulnérables, les patients psychiatriques ont figuré tout en bas du classement « , relèvent les deux historiens.

Personne ne se lève pour s’indigner d’un tel abandon et appeler à rompre cet isolement. Pas même les familles des internés.  » Elles ne semblent émettre aucune contestation et prennent douloureusement acte de la situation.  »

Les transferts d’asile en asile, l’engorgement des lieux de fortune dévolus aux internés, les ressources alimentaires qui manquent creusent les rangs de ces patients. Leurs fins tragiques, à l’insu de tous, n’ont laissé que peu de traces dans les bilans démographiques d’après-guerre.

Benoît Majerus et Anne Roekens livrent une macabre estimation : quelque 4 400 aliénés morts des causes et des suites de la guerre, soit 23 % de la population internée en 1914. Le tribut payé est très lourd :  » La surmortalité de la population civile belge en 1914-1918 est estimée à 1,2 %, presque vingt fois inférieure à la surmortalité des populations asilaires au même moment. En d’autres termes, si la population non internée avait partagé la condition des aliénés, il n’y aurait pas eu 82 000 mais 1,6 million de morts supplémentaires. La folie est, dans toute l’Europe en guerre, une maladie mortelle.  » Et la vie d’un fou n’y valait pas un clou.

(1) Vulnérables. Les patients psychiatriques en Belgique (1914-1918), par Benoît Majerus et Anne Roekens, Presses universitaires de Namur, 101 p.

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