Ne se fâcher avec personne

Courtisée par ses puissants voisins français et allemand, la Belgique,  » perpétuellement  » neutre, refuse obstinément de choisir son camp. Jusqu’à l’aveuglement.

Sa position d’équilibriste devient intenable. Stoïquement, la petite Belgique s’y accroche pourtant. Fidèle au cahier des charges que les grandes puissances lui ont imposé à l’indépendance : la Belgique sera un Etat perpétuellement neutre. France, Angleterre, Allemagne, Autriche et Russie s’y sont engagées.

Sur papier, la formule a assuré au pays près de quatre-vingts ans d’une paix royale. Mais elle atteint ses limites. Car le monde change.  » La neutralité belge n’avait été qu’un expédient destiné à sauvegarder un équilibre européen qui n’existait plus « , observe l’historien Henri Pirenne. Le temps se gâte hors de nos frontières.  » La Belgique constitue un enjeu politique et stratégique, surtout lorsque les Etats garants de sa neutralité sont groupés en blocs antagonistes entre lesquels la tension monte « , analyse Marie-Thérèse Bitsch, historienne à l’Institut des Hautes Etudes européennes à Strasbourg.

Courtisée, tiraillée, la Belgique met un point d’honneur à ne pas choisir son camp. Elle a refusé l’union douanière que lui proposait la France, elle a rejeté le Zollverein que lui offre l’Allemagne. Mais ces incessantes sollicitations, toutes plus intéressées les unes que les autres, soumettent sa diplomatie à rude épreuve.  » La Belgique finit par s’exaspérer de se voir considérée par ses deux grands voisins comme un « nain politique » « , relève Michel Dumoulin (UCL). Alors qu’elle n’aspire qu’à vivre en bon voisinage, elle se retrouve au centre d’un tumultueux ménage à trois : France, Allemagne, Angleterre.

Pas simple à gérer. Car chaque puissance a ses partisans à l’intérieur du pays. Les catholiques sont sous le charme de l’Allemagne conservatrice, religieuse, amie de l’ordre et éprise de stabilité sociale. Aux antipodes de cette France impie, aux mains des francs-maçons et des  » révolutionnaires  » qui glace les flamingants mais séduit les gauches libérale et socialiste.

Le roi ne ménage pas sa peine pour maintenir son pays à l’abri des remous internationaux. Laurence van Ypersele (UCL) montre que  » dès le début de son règne, Albert Ier reprend les relations avec les pays voisins, il sort la Belgique de son isolement et entretient de bonnes relations avec chacun, tout en veillant à respecter la neutralité du pays « . Sa réputation est pourtant faite : à Paris comme à Berlin, Albert Ier est perçu comme un  » prince allemand « , qui a épousé une  » princesse allemande « .

La Belgique s’accroche avec l’énergie du désespoir à la cause de la paix internationale. Son combat est abondamment récompensé dans les années qui précèdent la première guerre. Elle hérite de trois prix Nobel de la paix en moins de dix ans. Le dernier en 1913, accordé au socialiste Henri La Fontaine, président du Bureau international permanent de la paix. Alors que la cote d’alerte est déjà atteinte.

La Belgique entre la France et l’Allemagne 1905-1914, par Marie-Thérèse Bitsch, La Sorbonne, 1994.

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