NATURE

Mauvais temps pour les hirondelles. Ces élégantes demoiselles ont été accusées d’être l’agent principal de la fièvre aphteuse. A tort, bien sûr! Les protecteurs des oiseaux entendent couper les ailes au vilain canard

Si elle n’a jamais fait le printemps, l’hirondelle qui élit domicile chez nous reste, pour beaucoup, synonyme de porte-bonheur. Par les temps qui courent – et ce ne sont pas les éleveurs qui vont nous contredire – nos étables ont bien besoin d’un petit coin de ciel bleu.

Hélas, la messagère de jours meilleurs, qui remonte vers nos contrées à tire-d’aile, n’a pas encore pointé le bout de son nez que, déjà, de vilaines langues lui collent une sombre étiquette sur les plumes. Et pas des moindres : celle de colporter la fièvre aphteuse! Après s’en être pris aux animaux domestiques des fermes, voilà que certains cherchent maintenant des poux dans la paille de nos oiseaux sauvages. Ce qui en dit long sur la psychose et l’irrationnel qui règnent en ce moment. Mais qu’en est-il réellement ? En Grande-Bretagne, par mesure de précaution, les concours de colombophilie ont bien été suspendus. L’hirondelle de cheminée, comme son nom ne l’indique guère, a coutume de construire son nid à l’intérieur des habitations et plus précisément dans les étables. Peut-elle transporter la fameuse maladie qui sévit de l’autre côté de la Manche et maintenant sur le continent? Pour Etienne Thierry, professeur à la faculté de médecine vétérinaire de Liège, deux types de vecteurs peuvent être tenus pour responsables de la propagation de l’épizootie ( lire aussi Le Vif/L’Express du 9 mars dernier): d’une part, les vecteurs actifs, à savoir les biongulés, ceux-là mêmes qui peuvent contracter la maladie, et d’autre part, les vecteurs passifs. Parmi ces derniers, on relève notamment les roues du matériel agricole, les bottes du personnel et…les pattes des autres animaux de la ferme. Pour ce qui est des hirondelles, pil faut préciser qu’elles ne peuvent pas développer la maladie. Reste, donc, à savoir si elles peuvent jouer le rôle de vecteur passif. Leur type de migration, à cet égard, apparaît comme rassurant. C’est que, fidèles à leur site de nidification, elles le rallient d’un coup, sans s’arrêter dans d’autres sites, sans fréquenter d’autres fermes. Et surtout sans passer par la Grande-Bretagne. Le trajet depuis l’Afrique, entrecoupé d’arrêts dans des arbres et sur des fils électriques, est bien trop long – une quinzaine de jours – pour permettre à un quelconque virus en provenance de ce continent d’être encore actif à l’arrivée.

« Même si le risque des oiseaux vecteurs ne peut être totalement exclu, la probabilité de contagion reste extrêmement faible, pour ne pas dire nulle, souligne le virologue. De plus, elle n’a jamais été quantifiée et mener une opération contre ces animaux sauvages n’a pas de sens, d’autant qu’aucun cas de fièvre aphteuse n’a jusqu’ici été détecté chez nous.

Le ragot rapporté sur les ondes radio n’a pourtant pas manqué de dresser les cheveux sur la tête de ceux qui, depuis des années, essaient, sur le terrain, d’enrayer le déclin de nos trois espèces d’hirondelles. « On se serait bien passé de telles allégations exprimées à la légère, fulmine Claudy Noiret, grand défenseur des hirondelles. Dans le doute, certains éleveurs risquent d’interdire l’accès aux oiseaux ce printemps, ce qui aggraverait encore leur déclin. »

Depuis une quinzaine d’années, les membres de l’association Les Bocages (1) arpentent la région de Couvin et procèdent inlassablement au recensement et au suivi des dernières nichées blotties dans les fermes de l’entité. Le dialogue avec les agriculteurs constitue la clé de leur programme de terrain. Les rencontrer, écouter leurs craintes, leur donner des conseils sans imposer pour autant ses idées et surtout les responsabiliser, voilà les objectifs.

Etonnamment, le milieu agricole, généralement pointé du doigt dès qu’il s’agit de problèmes environnementaux, est très réceptif à cette démarche. Les hirondelles sont gagnantes et elles en ont grand besoin. Connues de tous et autrefois très communes dans nos campagnes, elles ont accusé trois grandes phases de déclin. L’agriculture intensive menée à grand renfort d’insecticides a mis les effectifs à mal, au cours des années 70. Puis les infrastructures agricoles ont pris le relais: durant les années 80, les petites étables familiales ont progressivement cédé le pas aux grands hangars venteux peu propices à la nidification des oiseaux. Ceux-ci se sont vite retrouvés en crise de logement. Quant aux années 90, ce sont leurs printemps froids et pluvieux qui ont eu raison des jeunes au nid, abandonnés faute d’un apport de nourriture suffisant. Résultat: même dans les régions herbagères, le recul des effectifs atteint 60, voire 70%.

A Bruxelles, la situation est plus grave encore. Les dernières colonies d’hirondelles de fenêtre ont pratiquement déserté la capitale. « Pourtant, contrairement à ce que s’imaginent la majorité des gens, leur protection n’est pas seulement une affaire de spécialistes. Elle tient de la bonne volonté de tout un chacun. Ici on peut laisser une fenêtre de buanderie entrouverte, là on peut placer une planche de soutien au nid. Ce sont des astuces simples à la portée de tous, résume l’ornithologue de terrain. Mais si certains sont prêts à tout pour les attirer, d’autres, en revanche, continuent encore et toujours à jouer du manche à balai pour faire tomber les nids sous prétexte que les oiseaux font des crasses sous les fenêtres. C’est inadmissible ! »

Faut-il encore préciser que tous ces oiseaux sont intégralement protégés par la loi ? Leur arrivée sous nos latitudes est prévue pour la fin du mois de mars. Une brochure informative, conçue pour leur réserver le meilleur accueil, devrait être prochainement disponible à la Région wallonne. Gageons qu’elle puisse contribuer à colporter un brin de bonheur dans nos foyers!

(1) ASBL Les Bocages, tél.: 060-37 77 35.

Marc Fasol

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