Au confluent de la Sambre et de la Meuse, un nouvel espace de culture, et une réussite architecturale. © Quentin Olbrechts - SAMYN and PARTNERS

Namur, tambour battant

Après une mue architecturale de deux ans, la Maison de la culture de la province de Namur fait place au Delta, un lieu ouvert et participatif témoignant d’un nouvel élan au coeur de la capitale wallonne.

Namur est-elle en train de se défaire de sa réputation de  » belle endormie  » ? Il y a tout lieu de le penser lorsqu’on découvre le Delta, nouvel espace de culture situé au confluent de la Sambre et de la Meuse. La Citadelle a beau jeter un regard oblique à l’édifice rénové et augmenté par le bureau de l’architecte et urbaniste Philippe Samyn, rien n’y fait : le bâtiment tranche avec la sagesse des lignes néoclassiques des alentours. Découvert à hauteur d’homme en venant de l’hospice d’Harscamp, la construction réveille les perspectives urbaines… sans toutefois les fouler aux pieds. C’est surtout une sorte de silo blanc sensuel, baptisé  » Tambour « , qui crée la surprise en perturbant les symétries. Enroulée sur elle-même et flanquée d’une pièce en demi-cercle ornée d’une colonne évoquant un gramophone, cette extension se veut la figure de proue d’un vaisseau habillé de verre, de bois et de métal. Le tour de force est d’autant plus remarquable quand on se souvient qu’en 1996, les Namurois s’étaient mobilisés massivement pour rejeter un projet architectural novateur du grand Mario Botta. Imaginés pour abriter le parlement de Wallonie sur le site du Grognon, les plans en question avaient effrayé les habitants de la capitale wallonne. Tant et si bien que cette proposition, liée à un investissement d’un milliard d’euros, avait rejoint les oubliettes de l’histoire au bout d’une consultation populaire inédite et sans appel. Un coup dans l’eau des deux fleuves donc… même si nombreux étaient les observateurs qui pensaient que l’avant-gardiste conception en forme de bateau de l’architecte suisse aurait pu renouveler l’image de la ville.

C’est une tout autre histoire qui semble s’écrire aujourd’hui. Sans doute y a-t-il des habitants que l’audace du bâti doit déranger mais toujours est-il qu’ils ne sont pas mis en branle pour faire obstacle au projet. A sa décharge, il faut dire que le bureau Samyn & Partners n’a pas oeuvré dans le sens d’une tabula rasa arrogante. Au contraire, celui-ci semble avoir intégré la leçon du grand architecte français Jean Nouvel selon laquelle  » toute construction urbaine qui n’aide pas celle qui précède n’a rien à faire sur cette Terre « . Il y a du devoir de mémoire architectural dans le Delta qui remet à l’avant-plan plusieurs gestes formels portant la signature de l’architecte à qui l’on doit le lieu, Victor Bourgeois (1897 – 1962), l’un des grands noms belges du modernisme. On pense au  » foyer  » restitué dans sa splendeur, notamment grâce au cachet retrouvé de plusieurs lustres en verre de Venise, ou encore à l’imposante cage d’escalier dont la rénovation léchée sublime l’esprit de Bourgeois.

Transversal et pluridisciplinaire

Il n’est pas seulement question de respect du passé au fil des 6 000 mètres carrés (pour 4 500 mètres carrés précédemment) du Delta que l’on découvre en compagnie de Bernadette Bonnier, la directrice du lieu, et Sophie Gilson, en charge d’une programmation transversale et pluridisciplinaire. Au rez-de-chaussée, la  » Grande Salle  » se distingue en raison d’un astucieux dispositif permettant de passer d’une configuration assise (450 places) à debout (600 places) grâce à des sièges rétractables qui se rangent sous la scène.  » Le but est de pouvoir accueillir tant des concerts de musique actuelle que toute autre discipline « , signale la programmatrice, le regard attiré par le plafond où trône une oeuvre circulaire d’Yves Zurstrassen. Originellement, le bâtiment, construit en 1964, disposait d’une unique salle de ce type. Désormais, elles sont au nombre de trois, calibrées pour déployer d’autres formes d’expression, des scènes dites  » urbaines  » (rap, hip- hop, breakdance…) aux showcases, en passant par des  » conférences gesticulées « , ces spectacles à mi-chemin entre le théâtre et l’exposé académique, ou des ateliers de danse.

La plus grande salle est dominée par une oeuvre circulaire d'Yves Zurstrassen.
La plus grande salle est dominée par une oeuvre circulaire d’Yves Zurstrassen.© Quentin Olbrechts (SAMYN and PARTNERS)

Les arts plastiques ne sont pas laissés pour compte comme le prouvent les trois derniers étages de la façade avant. On parle ici d’un espace muséal à part entière mis aux normes Icom, la référence en matière de préservation et de standards d’exposition. Il nous tarde d’ailleurs de découvrir le premier accrochage dédié à l’artiste namuroise Evelyne Axell (1935 – 1972).  » Nous montrerons ses connexions avec le pop art anglais, des collages peu montrés, ainsi qu’une matérialisation du projet de musée archéologique du xxe siècle « , détaille la directrice. Le Delta comprend également des studios d’enregistrement, un lieu de résidence et une sorte de  » rue  » le long de la Sambre qui aligne boutiques et lieu de restauration (80 couverts), baptisé  » Demain « , dont la gestion a été confié à Benoît Gersdorff (La Plage d’Amée à Jambes, l’hôtel Nest à la citadelle de Namur).

Le concept de  » tiers-lieu  »

On notera aussi que le bord de Sambre évoqué se découvre à la faveur d’escaliers-gradins en libre accès. Cet esprit de libre circulation, de caractère participatif, traverse l’ensemble du bâtiment qui repose sur le très actuel concept de  » tiers-lieu « . Sophie Gilson d’expliquer :  » L’esprit initial du lieu est celui d’une « Maison de la culture » tel que l’avait défini André Malraux (NDLR : 1901 – 1976. Dans les années 1960, le grand écrivain français fut aussi ministre des Affaires culturelles). Une vision élitiste de ce type ne fait plus sens aujourd’hui, nous voulons réconcilier « populaire » et « qualitatif » tout en assurant une mission de service public promouvant l’égalité des chances et celle des sexes. Pour cette raison, une grande partie des espaces peut être découvert sans disposer d’un billet d’entrée. Une des explications possibles du nom renvoie vers la lettre grecque qui est un triangle, une forme qui symbolise l’échange et le refus d’un modèle hiérarchique classique.  »

En toute logique, l’infrastructure a été pensée en ce sens. C’est flagrant avec l’ascenseur extérieur qui permet d’accéder au toit panoramique. Ce rooftop, agrémenté d’un jardin rendant un hommage partiel à un agencement original de René Pechère (1908 – 2002), offre une perspective emblématique sur Searching for Utopia, l’aveuglante oeuvre de Jan Fabre accrochée sur les flancs de la citadelle. A ce panorama imprenable en répond un autre, à 360°, celui du  » Septième ciel « , salle permettant de découvrir des installations d’artistes qui se renouvellent au fur et à mesure des saisons. L’oeil égrène les différents clochers de la cité tandis qu’il est impossible de ne pas y constater une joyeuse évidence : la préservation de la lumière naturelle par le biais des vitres qui la restituent à 98 % de son intensité première. Cette signature immatérielle achève de faire de Delta une réussite.

Le Delta : 18, avenue Fernand Golenvaux, à Namur. Week-end d’ouverture : les 21 et 22 septembre. www.ledelta.be

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