N-VA et CD&V les amants diaboliques

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Le CD&V n’est plus que l’ombre de lui-même et de… la N-VA qu’il suit fidèlement dans sa course aux enchères communautaires. Embusqué derrière Bart De Wever, le parti de Kris Peeters fait le désespoir des francophones, impuissants à faire sauter ce verrou flamand. Et à convaincre le CD&V d’y introduire sa clé.

Les partis qui refusent un compromis équilibré vont plonger notre pays dans l’aventure, voire le chaos politique.  » Lundi matin, troisième prestation médiatique à la Chambre d’Elio Di Rupo. Au bout de huit semaines de mission, le préformateur PS étoffe son nouveau constat d’impuissance d’un avertissement. Prudemment allusif : les visés se reconnaîtront. Di Rupo charge la barque : la N-VA n’est pas seule à contrarier ses tentatives de rassembler les bonnes volontés, francophones et flamandes, au chevet d’une Belgique au point mort. Le CD&V fait corps avec Bart De Wever pour opposer un front flamand de l’intransigeance que ne partagent ni le SP.A ni Groen !. L’équation qui se pose aux francophones est à deux inconnues : à quoi joue donc la N-VA ? Mais encore : que manigance le CD&V, ce parti qui semble avoir perdu son sens de l’Etat ?

N-VA – CD&V, un même combat. A chaque moment clé de la négociation, le manège est d’une redoutable efficacité. Les deux formations montent de concert dans les tours dès qu’il s’agit d’aligner les revendications institutionnelles devant le trio PS-CDH-Ecolo. Même inflexibilité, même vigilance soupçonneuse à l’égard des francophones : assez de promesses, des écrits ! Bart De Wever et son équipe font généralement la course en tête. Le CD&V toujours bien dans sa roue. Attentif à calquer son attitude sur les postures de la N-VA. Mais en prenant parfois la peine de relancer le braquet quand le compagnon d’échappée semble montrer des signes de faiblesse. C’est le CD&V qui a mis sur le tapis la question brûlante de la révision de la loi de financement des entités fédérées. Comme si, sur des dossiers d’une complexité folle, le vieux parti de pouvoir se faisait un devoir d’apporter l’expertise qui fait encore défaut à la N-VA . Une vraie course d’équipe.

Coller au vainqueur De Wever :le  » bon plan  » du CD&V. L’étape électorale du 13 juin a été catastrophique pour les chrétiens-démocrates flamands. Détrônés en Flandre, rétrogradés à la troisième place à l’échelle du pays, ils accusent désormais un retard de 10 % de voix sur une N-VA impériale. L’ancien partenaire de cartel, qui a choisi en septembre 2008 de rouler à nouveau sous ses propres couleurs, leur a proprement brûlé la politesse. Le CD&V décode sa déroute, sans même reprendre haleine : la politique de la main tendue aux francophones ne lui a apporté que des malheurs, la campagne électorale a péché par une tonalité bien trop peu flamande. Loin de maudire son vainqueur, le parti décide aussitôt de copier largement sa recette, dans l’espoir de revenir au plus tôt sur lui. Le ministre sortant de la Justice, Stefaan De Clerck, annonce la couleur au Vif /L’Express du 25 juin :  » Le CD&V doit soutenir Bart De Wever.  » Alles voor Vlaanderen, les intérêts de l’Etat fédéral devront s’y faire…  » Privé d’un capitaine fort et d’un cap précis, le parti a choisi d’emprunter la boussole à celui qui s’est montré plus fort que lui « , analyse Vincent de Coorebyter, directeur général du Crisp.

Changement de trajectoire. Et chamboulement classique à la tête d’une équipe qui perd. Les Van Rompuy et Jean-Luc Dehaene ont fait leurs valises. Le Premier ministre sortant Yves Leterme est en disgrâce pour contre-performances répétées, la présidente Marianne Thyssen a rendu son tablier. De nouveaux visages s’imposent. Celui de Wouter Beke, président encore intérimaire mais déjà chargé d’imprimer cette ligne claire. Et dans le rôle de la vedette : Kris Peeters, le ministre-président de la Flandre. Tout sauf des tendres sur le plan communautaire.  » Tous deux sont décidés à aller très loin sur le plan institutionnel. En 2007, Kris Peeters avait publiquement dessiné sa conception de l’Etat fédéral, qu’il réduisait à trois compétences : la monnaie, c’est-à-dire l’euro ; la défense, mais déjà largement intégrée au niveau européen ; et certains éléments de la diplomatie « , rappelle Vincent de Coorebyter. Un négociateur francophone a pu apprécier le personnage :  » Peeters, c’est l’attitude d’un empereur de Perse. « 

Suiveur en embuscade : la tactique parfois payante. Le CD&V n’a guère besoin de forcer son talent ni de se faire violence pour se glisser dans le sillage de la N-VA. Il lui suffit de réactiver de vieux réflexes.  » Chaque fois que le CVP/CD&V est en position de faiblesse, il devient plus flamingant. Et comme il est très faible, il devient très flamingant. Il reste à voir si cette phase sera passagère « , relève le PS Philippe Moureaux [voir l’interview en page 28].  » Emploi, autonomie fiscale, allocations familiales, loi de financement : nous sommes sur la même longueur d’onde que la N-VA « , confirme un élu CD&V. Ce n’est qu’en bout de course que pourrait sonner l’heure de la rupture. Si venait à se poser la question de l’indépendance de la Flandre, rejetée par le CD&V. Mais, pour l’heure, le parti mise sur ses chances de revenir dans le parcours, dans l’ombre d’un De Wever appelé à fournir le gros du (sale) boulot.  » Si la N-VA obtient ce qu’elle demande aux francophones, le CD&V aura réalisé une bonne partie de son programme « , estime Vincent de Coorebyter. Il s’agira alors d’en récolter les fruits : un certain Kris Peeters, ministre-président d’une Flandre gonflée de nouvelles compétences, pourra s’offrir un maximum de visibilité. Tout autant que les autres ministres CD&V de son gouvernement. Le parti lui-même peut espérer se refaire une santé : restaurer une image offensive tout en cultivant son profil responsable, dépouillé des accents aventureux de son rival nationaliste qui finiront par inquiéter plus d’un Flamand. Le CD&V sent qu’il n’a plus grand-chose à perdre à jouer la carte De Wever, à le soutenir, à espérer son succès qui serait aussi par ricochet le sien. Même s’il y a un risque à prendre.  » Celui d’apparaître comme le petit caniche de la N-VA « , grince un baron CD&V qu’inquiète de cette adhésion momentanée aux  » folies des nationalistes ». Au pire, les démocrates-chrétiens pourraient échapper à une embardée de leur grand rival : que les négociations avec les francophones échouent, et le CD&V pourra toujours pointer l’intransigeance irresponsable de De Wever et des siens.

Ce que veut la N-VA, le CD&V le veut : le casse-tête francophone. C’est dire si la N-VA et CD&V livrent entre eux une partie serrée : c’est à qui roulera le plus habilement pour la cause flamande. Sous le regard affligé et impuissant des partis francophones. Qui se désespèrent d’aborder la réforme de l’Etat en présence d’un tel coude-à-coude.  » Un dégradé du paysage politique flamand leur aurait été plus profitable : avec une N-VA en pointe, et un CD&V deux ou trois crans en retrait « , reprend le directeur du Crisp. Mais avec un CD&V à ce point collé aux basques de la N-VA, espérer isoler ou mettre sur la touche Bart De Wever, relève à ce stade de la mission impossible. Car leur alliance de fait  » pèse  » 44 sièges sur les 88 au sein du groupe linguistique néerlandophone à la Chambre. Incontournable force de frappe, sur laquelle butent les interlocuteurs francophones :  » Jamais le CD&V ne lâchera la N-VA et ne risquera de conclure un accord que De Wever n’avaliserait pas.  » Rien ne semble à ce stade pouvoir infléchir cette ligne. Pas même un rappel des partenaires sociaux par Elio Di Rupo. Perçu par certains comme une tentative de jeter dans la bataille les organisations flamandes de la mouvance chrétienne, afin de ramener le CD&V à de meilleurs sentiments. Luc Cortebeeck, patron de la CSC, avait mis à l’index la N-VA avant les élections.  » Il nous a coûté trois sièges « , grince un parlementaire CD&V.

Le cartel CD&V – N-VA est mort, il n’a jamais été aussi redoutable.  » Il ne serait pas exclu de le ressusciter en cas de nouvelles élections « , assure même un député CD&V. Il n’est d’ailleurs pas enterré au niveau local, où les deux formations filent encore souvent le parfait amour.  » Avec un scrutin communal dans dix-huit mois… « , soupire un négociateur francophone. Autant que le triomphe de la N-VA, la dégelée du CD&V n’est pas un cadeau pour les francophones.

PIERRE HAVAUX.

Le cartel cd&v – N-va est mort. Il n’a jamais été aussi redoutable

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