Musso, es-tu là ?

Son nouveau roman, Que serais-je sans toi ?, tourne déjà au best-seller. Mais qui se cache derrière l’écrivain aux airs de premier de la classe ? Et d’où vient le succès de ses histoires mêlant sentiments, suspense et surnaturel ? Décryptage.

Vous savez, il est très sensible « , insiste son attachée de presse pour justifier le refus de Guillaume Musso de nous rencontrer. Très sensible à la critique, en l’occurrence, puisque c’est un compte rendu négatif, dans Le Vif/L’Express, de son précédent livre, Je reviens te chercher, qui nous vaut cet ostracisme. Même son éditeur, Bernard Fixot, n’a pas voulu répondre à nos questions,  » par solidarité avec son auteur « . Et, chez Pocket, on préfère s’aligner et tenir sa langue pour ne pas froisser un écrivain si bankable : les deux tiers de ses livres se vendent en format de poche.

Des chiffres avant les lettres

Quant à son nouveau roman, le sixième chez XO éditions, il casse déjà la baraque : sorti le 30 avril, Que serais-je sans toi ? s’est écoulé à 132 000 exemplaires en trois petites semaines, pour un tirage total de 450 000à Musso, ce sont des chiffres avant les lettres : à 35 ans tout juste, il affiche 5 millions d’exemplaires vendus en France depuis 2004, 13 millions d’euros de chiffre d’affaires à lui tout seul pour 2008, des traductions dans 31 pays, un roman déjà adapté au cinéma, trois autres dont les droits ont été achetés et un fan-club qui afflue en masse à chaque séance de signatures ! Alors, forcément, celui qu’on présente comme le challenger de Marc Levy, premier vendeur de livres dans l’Hexagone, peut se permettre de jouer les divas.

Ah, mais non ! Fausse route, semble-t-il.  » S’il était dans une démarche purement commerciale, les critiques ne le toucheraient pas tant « , plaide son ami le romancier Maxime Chattam, qui vient de publier La Promesse des ténèbres (Albin Michel). Ceux qui l’ont approché de près ou de loin sont unanimes : Guillaume Musso est un type éminemment sympathique, gentil, charmant, modeste, lucide.

Né à Antibes, fils d’un gestionnaire et d’une mère bibliothécaire, il remporte à 14 ans un concours de nouvelles organisé par son prof de français. Tiens, ça lui plaît de raconter des histoires. Alors il lit beaucoup – Emily Brontë, Dostoïevski, Alain-Fournier, Stephen King, Albert Cohen – regarde quantité de films, de séries, toujours par goût des histoires. A 19 ans, le jeune homme fait mine de jeter sa gourme et part passer cinq mois aux Etats-Unis, y vend des glaces pour se faire un peu d’argent. Il rentre  » avec des idées de romans plein la tête « . Mais sa bosse des maths l’emporte : reçu aux concours d’inspecteur du Trésor, de contrôleur des impôts et des douanes, il décroche ensuite son certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré d’économie, matière qu’il a enseignée jusqu’à l’année dernière.

Malgré son succès phénoménal, Musso reste au contact des réalités. Son appartement d’Antibes, niché dans une cité pavillonnaire assez quelconque est meublé Ikea, sans ostentation. Et, quand le jeune homme prend un pied-à-terre en région parisienne, pour les besoins d’une promo chaque fois plus soutenue, c’est dans les Hauts-de-Seine, à Montrouge, pas à Neuillyà  » Je n’achèterai jamais une Porsche « , a-t-il déclaré.

Dieu, que ce Musso bien sous tous rapports est intrigant ! L’air encore très juvénile, avec ses bonnes joues et son regard candide, on dirait vraiment un Bisounours au pays des best-sellersà Pas du genre à écumer les boîtes de nuit branchées comme ce dévoyé de Beigbeder, ni à frayer dans les soirées people comme le sexy Marc Levy. Pas très charismatique, en faità Ses livres, thrillers romantiques mâtinés de surnaturel, sont un peu à l’avenant : sympathiques, efficaces, correctement écrits, sans plus ; des personnages attachants, des histoires prenantes, mais vite lues, vite oubliées. Du moment qu’elles plaisent à ses lecteurs : c’est le credo de Guillaume Musso – qui reçoit 10 000 courriels par an. A le croire, il leur doit sa success story, lancée par le bouche-à-oreille. Mais elle ne commence pas avec son premier roman, Skidamarink, publié en 2001 chez Anne Carrière : ce polar influencé par Arturo Perez-Reverte, qui mêle le vol de La Joconde à la disparition d’un magnat international de l’informatique, se vend seulement à 1 632 exemplaires. L’ouvrage, épuisé, est aujourd’hui un véritable collector : un exemplaire d’occasion est actuellement en vente sur Amazon pour 98 euros !

Une littérature de la  » consolation « 

A l’époque, cette déconvenue rend Musso particulièrement sensible au discours de Bernard Fixot, qui revendique clairement son intention de fabriquer des succès avec sa nouvelle maison d’édition, XO. Musso lui propose un premier manuscrit, inspiré par un grave accident de voiture dont il a réchappé de peu, en 1999, à l’âge de 24 ans, et qui l’a incité à s’intéresser aux expériences de mort imminente (EMI). L’éditeur lui conseille de le retravailler. Au bout de 80 pages, bingo : 15 000 euros d’à valoir, un contrat, une promesse. Nous sommes en 2002. Fixot pousse son jeune poulain à se rendre à New York, où se déroule le roman, pour s’imprégner de l’atmosphère post-11 septembre. Intitulé Et aprèsà, le livre sort en 2004. Depuis, il a dépassé le million d’exemplaires.

Les raisons de ce succès ? Un vrai talent, disent les uns, à commencer par ses fans, surtout des femmes. Pour Christophe André, médecin psychiatre,  » les livres de Musso sont pacifiants et réconfortants, car ils répondent aux fondamentaux du lecteur que sont le besoin de lien, de connaissance de soi et de clarification de son passé « . Auteur des Etats d’âme. Un apprentissage de la sérénité (Odile Jacob), il estime que Musso excelle dans cette littérature de la  » consolation « , qui prouve que nos vies ordinaires peuvent avoir des ressorts extraordinaires.  » Guillaume ne baratine pas, il a du plaisir à écrire ce qu’il écrit « , précise Maxime Chattam.

D’autres en sont moins convaincus, tentés de voir dans chacun de ses best-sellers l’influence de son puissant éditeur – admirateur inconditionnel d’Aragon, à qui on doit justement ce fameux vers,  » Que serais-je sans toià  »  » Musso fait partie intégrante de l’écurie Fixot, souligne un connaisseur du milieu. Il s’est plié au formatage maison, ses romans sont très travaillés et fabriqués pour plaire au plus grand nombre.  » D’où un marketing offensif, s’appuyant sur Internet et la radio, ainsi que des tournées de Musso dans tous les coins de France et de Navarre. Pas étonnant qu’il vende tant de livres dans les hypermarchés.  » On est dans l’achat d’impulsion, explique Chantal Horellou-Lafarge, chercheuse au CNRS et coauteure de Sociologie de la lecture (La Découverte). Les gens s’intéressent d’abord à la couverture du livre, à l’histoire, pas vraiment au style. « 

Bernard Fixot l’a bien compris, qui met le paquet sur l’emballage, sans craindre de forcer le trait : jaquettes tape-à-l’£il, avec souvent un visage de jeune femme aux yeux bleus en gros plan ; titres sucrés, qui marquent à la culotte ceux de Marc Levy – Et si c’était vraià pour Levy, Et aprèsà pour Musso, Où es-tu ? et Vous revoir pour l’un, Seras-tu là ? et Je reviens te chercher pour l’autre.  » Chaque année, on a droit au Musso de la Fête des mères « , soupire une libraire. Plusieurs commentaires récents sur Internet vont dans ce sens, comme si Musso commençait à lasser. De quoi inciter le jeune prodige à se renouveler pour de bon, au risque de perdre des lecteurs ?  » Je parie qu’un de ces jours Guillaume va nous écrire un vrai polar, confie Maxime Chattam. J’en mettrais ma main à couper !  » On se permet de suggérer un titre : Seras-tu mort ?

Que serais-je sans toi ? par Guillaume Musso. XO éditions, 297 p.

Delphine Peras

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