Mouvement réformateur: l’expansion, sinon rien…

Au centre, toutes! La fédération PRL-FDF-MCC joue la continuité dans le changement. Simple opération de marketing ou mutation historique? Une certitude: la mouvance libérale rebaptisée n’a pas le droit à l’échec. Sa fierté d’occuper le pouvoir n’a pas évacué certaines questions existentielles. Comme la peur d’en être écarté

C’était il y a trois semaines. Face à 300 cadres et militants libéraux, réunis à huis clos, ce mardi-là, Louis Michel ne pipe mot. Le ministre des Affaires étrangères scrute l’auditoire, écoute les craintes des uns, les arguments un peu légers des autres, puis se jette à l’eau. « Son » parti hésite à franchir le gué. Le Mouvement réformateur, nouvelle appellation de la fédération PRL-FDF-MCC, tenue secrète, sera bientôt porté sur les fonts baptismaux. Et d’aucuns ne savent pas s’il faut en rire ou en pleurer. Sapristi, il est question ni plus ni moins d’écarter l’adjectif « libéral », le concept identitaire du premier parti constitué comme tel en Belgique, en… 1846! Soudain, le sachem bleu sort le grand jeu. « Le mot a été abîmé. Son contenu reste rassembleur, mais pas l’étiquette. Jusqu’au dernier souffle, je serai libéral. Mais nous devons nous ouvrir et créer un large mouvement. » Théâtral et solennel, Michel fait mouche. Ses apôtres diffuseront la bonne parole. Si bien que, le dimanche 24 mars, le nom et le sigle de la nouvelle formation politique – trois petites figurines en forme de croissant, aux couleurs des trois partis (turquoise, amarante et jaune), entourant un « Mouvement réformateur » en caractères bleus – devraient être salués dans l’allégresse. Un moment historique? L’ouverture aux chrétiens décrétée par le président libéral Omer Vanaudenhove, en 196l, l’était assurément. Tout comme la création du PRL, en 1979, coïncidant avec l’arrivée aux commandes du visionnaire Jean Gol. Ou, encore, le choix tactique judicieux d’une fédération PRL-FDF, en 1993 (lire l’encadré en p. ).

Mais comment qualifier la création du Mouvement réformateur (MR)? « Nous n’avions pas le choix, lâche un ténor libéral. Contrairement à l’impression que nous souhaitons donner, nous sommes loin d’être incontournables. Même pas à Bruxelles! » Au-delà des discours mobilisateurs, il est vrai, le destin du MR reste une énigme. Simple ravalement de façade ou ébauche d’une expansion durable?

Depuis l’alliance du PRL avec le FDF, puis avec le MCC (Mouvement des citoyens pour le changement) de Gérard Deprez, en 1998, le fantasme d’une fusion pure et simple des trois partis a fait couler beaucoup d’encre. Jean Gol est décédé trop tôt pour réaliser le premier volet de l’opération. Plus pragmatique, Louis Michel y a renoncé pour ne pas effaroucher ses partenaires: sa priorité était la conquête du pouvoir et les faits lui ont donné raison. Nouveau président du PRL, puis de la fédération, Daniel Ducarme s’est récemment brûlé les ailes en voulant imposer l’impossible rassemblement. En fin de compte, la formule de compromis officialisée ce week-end satisfera tout le monde. Les trois partis ont un public trop différent pour imaginer une disparition formelle de leur dénomination. C’est particulièrement vrai à Bruxelles, où les électeurs du FDF ne se confondent pas avec les libéraux « classiques ». En vertu de ses statuts, le nouveau mouvement pourra logiquement se permettre le luxe d’avoir un discours spécifique sur des thèmes très différents. Les « urbains » du FDF continueront à louer un vrai projet de ville pour la capitale; la défense des francophones gardera ses avocats privilégiés; l’aile droite libérale s’exprimera à sa guise, tout comme les chantres du libéralisme « social », « public » ou encore « humaniste », rivalisant d’imagination. En cas de fusion, la partition aurait été moins riche, disent les adeptes de la méthode Coué, nombreux sur la « planète » bleue.

Pour autant, on devrait assister à une intégration plus forte des différentes composantes du mouvement et, dans les faits, à une évolution naturelle vers… la fusion. Signe des temps, tout sera fait pour généraliser les listes communes lors des élections communales de 2006. Ce serait une évolution significative: lors du scrutin d’octobre 2000, les « malentendus » entre le FDF et le PRL ont en effet coûté cher à la fédération. « Le pari d’une meilleure entente entre les ténors libéraux et ceux du FDF n’est, d’ailleurs, pas gagné d’avance, pronostique Olivier Paye, chargé de cours en sciences politiques aux Facultés universitaires Saint-Louis. Le FDF reste le talon d’Achille du Mouvement. » Une faiblesse dont Philippe Moureaux, le président du PS bruxellois et ardent défenseur d’un « front commun des forces de gauche » pourrait continuer à être le premier bénéficiaire. Statutairement, toutefois, des garanties sont prévues pour éviter tout quiproquo: à titre d’exemple, la participation gouvernementale sera désormais décidée à la majorité simple du congrès du MR (5 900 membres); elle ne pourra donc être bloquée par une des composantes. Cette intégration est un « must ». Lors des derniers accords institutionnels, partiellement rejetés par le FDF, l’embarcation jusqu’alors fébrilement dirigée par Daniel Ducarme a frôlé le naufrage. Or, c’est une évidence, les ténors libéraux savent qu’ils ne pourront pas se permettre une seconde fois pareille cacophonie. Sous peine de dynamiter les contrats de mariage et, finalement, de devoir renoncer à l’exercice du pouvoir: sans le FDF et le maigre apport du MCC, le PRL végéterait vraisemblablement encore dans l’opposition; sans le PRL, le FDF ne bénéficierait même pas du financement public des partis politiques. Et ne parlons pas du « petit » MCC de Gérard Deprez. Oui, décidément, le « mouvement » s’imposait. A tout le moins pour pallier les carences de la fédération et éviter une catastrophe.

Aux yeux de Louis Michel, Daniel Ducarme et Gérard Deprez, ses principaux concepteurs (lire notre classement des personnalités les plus influentes du Mouvement réformateur, p.22), la nouvelle formation ne pouvait plus se nommer « parti ». « Monolithiques, fermés, centralisés, les partis d’aujourd’hui sont des machines seulement destinées à l’exercice du pouvoir, avec leur cortège de luttes intestines et leur dimension pleinement clientéliste. La population n’en veut plus. Les partis sont finis! », estime Daniel Ducarme. Place, donc, aux mouvements. « Leur philosophie, c’est l’ouverture, argumente Gérard Deprez, l’ancien président du PSC. A l’exception des militants, les gens font désormais du shopping politique. Ils vont là où ils se sentent le mieux accueillis. L’avenir appartient à ceux qui pourront convaincre les électeurs mobiles et volatils, qui représentent 50% des effectifs. » Pour appâter le chaland, les cerveaux du MR mettent la « nouvelle citoyenneté » à toutes les sauces. Même au PRL, la Marche blanche a fait des émules. Et les discours entendus ces jours-ci ont parfois ce côté racoleur que les principaux intéressés veulent éviter à tout prix, en niant la référence aux partis populaires à succès dans d’autres contrées.

Plus prosaïquement, le nouveau mouvement se veut réformateur et centriste. Il rêve de ratisser large, sans déclarer ouvertement la guerre au PS, son grand rival et partenaire d’aujourd’hui dans la coalition arc-en-ciel. « Le concept de libéralisme a été terni – avec un certain succès – par les socialistes, explique un ministre PRL. Notre objectif officieux reste le leadership en Wallonie, détenu par le PS. Mais nous avons la conviction que, jamais, un parti de droite n’y sera majoritaire. D’où l’idée d’un mouvement centriste, qui réunit les forces libérales et, à terme – pourquoi pas? -, celles qui se reconnaissent aujourd’hui dans le parti social-chrétien. Un équilibre entre stabilité et progressisme. » Officiellement, pourtant, les leaders libéraux se gardent bien de toute provocation à l’adresse du Parti socialiste. Parce qu’ils doutent de leur propre potentiel d’expansion? Illustration de cette grande prudence: le passage à un mode de scrutin majoritaire, à la française, qui organiserait une confrontation directe entre un pôle de gauche et une force centriste ou de droite, ne sera pas une priorité dans le programme du Mouvement réformateur pour les élections législatives de 2003.

Incontestablement, le maillon central du MR – le PRL – entretient cependant une forme éclatante. Toutes les fortes personnalités (ou presque) occupent un poste en vue; la « visibilité » des ministres libéraux est bonne et les sondages sont favorables. « De manière stable, depuis près de deux ans, les instituts de sondage nous pointent à 3% au-dessus de nos scores électoraux de 1999, altérés par le scandale de la dioxine, qui a essentiellement profité aux Verts », commente Hervé Hasquin, le président du gouvernement de la Communauté française. Bref, les militants sont fiers et ils seront gonflés à bloc pour les nombreuses échéances électorales qui se profilent à l’horizon. Mais les plus anciens d’entre eux n’ont pas besoin qu’on leur fasse la leçon. Paradoxalement, leur parti peut, à un moment donné, exercer un rôle moteur dans la gestion des affaires de l’Etat (comme de 1981 à 1988 ou… aujourd’hui) et être éjecté tout aussi vite du pouvoir! Tel est le lot du courant libéral, souvent minorisé et rendu à ce point fragile qu’il en nourrit une quasi obsession pour l’idée d’expansion. « Si on observe les résultats électoraux, on ne constate aucune tendance à la hausse. En gros, cette formation politique plafonne depuis une vingtaine d’années, tempère Vincent de Coorebyter, le directeur du Crisp (Centre de recherche et d’information socio-politiques). Allié au FDF et au MCC, le PRL a certes fait légèrement mieux en 1999 qu’en 1991, sur la base de données comparables. Mais son dernier score reste inférieur aux performances de 1978 ou 1981. Aux dernières élections communales d’octobre 2000, les partis de la fédération ont même reculé – de 1,3% – par rapport au scrutin de 1994. A priori, les capacités d’expansion ne sont pas énormes. Même s’il a un certain potentiel au centre de l’échiquier politique, le Mouvement ne va pas rafler toute la mise: le PS et le PSC y sont également implantés. Du reste, les sociaux-chrétiens pourraient attirer une partie de l’électorat conservateur libéral si la droite de l’échiquier politique devait être trop désertée. » Sans compter la menace écologiste. Au sein du mouvement en gestation, d’aucuns commencent à redouter sérieusement l’intrusion durable de ce concurrent Ecolo qui vient de prouver à quel point il assumait, désormais, sa participation au pouvoir, qui commence à engranger des résultats et conserve son dynamisme interne.

Au total, les facteurs de risque ne manquent pas pour les prochains mois. 1) « J’ai observé le regard effaré de certains militants lorsqu’ils voient débarquer nos ministres en hélicoptère, à des congrès du parti », commente un bourgmestre libéral. L’arrogance et l’ambition personnelle de certains ténors, dont les rivalités grossissent parfois à vue d’oeil, pourraient nuire à la cohésion interne.

2) Des déclarations divergentes sur des sujets politiques sensibles, comme les différends communautaires, les alliances en vue des prochaines élections ou les matières éthiques, compliqueraient le lancement du MR, qui sera précisément testé sur sa capacité à faire la synthèse entre ses différentes tendances. De plus en plus respecté et doté d’une nouvelle stature, après des débuts controversés, le président Daniel Ducarme jouera un rôle d’arbitre aussi crucial que délicat.

3) En cas de déception électorale immédiate, cela couperait l’herbe sous le pied du nouveau mouvement, pour lequel un simple statu quo serait déjà perçu comme une défaite. « Notre ambition est de rester le moteur puissant des prochains gouvernements, dit un ministre. Vous imaginez les frustrations si ce n’était pas le cas. »

4) Malgré la rumeur d’accords préélectoraux, portant sur la reconduction de l’arc-en-ciel, le PS conserve deux fers au feu. En cas de défaillance libérale, il se tournera vers le PSC et Ecolo. Comme à Bruxelles, lors des dernières élections communales! Certains libéraux craignent comme la peste le socialiste Philippe Moureaux, soupçonné de tout faire pour privilégier les alliances à gauche. A leurs yeux, du reste, la parole du président Elio Di Rupo n’a manifestement pas le même poids que celle de Philippe Busquin, son prédécesseur: avant les élections de 1999, celui-ci avait signé un pacte avec Louis Michel.

5) Le nouveau mouvement sera réformateur et centriste. « Et telle sera son identité », promet Ducarme. Pour l’heure, c’est un peu court. Bien sûr, la dimension pluraliste du MR n’est pas négligeable. Et, au même titre qu’ils lui transfèreront une part substantielle de leur souveraineté, les partis membres du mouvement y viendront avec leur propre identité, inchangée. Le libéralisme social de Louis Michel devrait donc rester « la » référence. A condition que le nouvel « habillage » du mouvement et les besoins du marketing électoral n’ajoutent pas un brin de confusion à la ligne politique héritée de Jean Gol.

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