Motiver malgré la crise en 10 leçons

Positiver, miser sur la formation, accorder de nouveaux avantages, améliorer l’équilibre de vie… Les solutions low cost de trois responsables des ressources humaines pour doper l’énergie des collaborateurs, malgré la tempête sur le marché du travail.

Cette année, le Belge gagne en moyenne 5,9 % de plus qu’en 2008. D’après l’analyse réalisée par le cabinet Hudson sur un échantillon de 117 000 travailleurs, une grande partie de cette progression – soit 4,4 % en moyenne – tient à l’indexation automatique des salaires, alors que le solde relève d’augmentations accordées par les entreprises. De telles hausses des salaires ne sont toutefois plus à espérer aujourd’hui : l’inflation est tombée à un niveau bas et la crise économique a rétréci les moyens disponibles pour les revalorisations. De premiers signes de ce retournement sont tangibles : d’après Hudson, un travailleur sur cinq n’a pas bénéficié d’augmentation en plus de l’indexation. Environ 12 % des entreprises avaient déjà gelé tous les salaires, et 7 % l’ont fait pour plus de 90 % de leur personnel.

S’il est admis que la rémunération n’est pas un facteur suffisant de motivation, les responsables des ressources humaines ne s’en retrouvent pas moins privés d’un levier précieux pour stimuler la performance. Or, en ces temps très difficiles, encourager et récompenser l’engagement des troupes est plus crucial que jamais. Alors, problème ?  » Opportunité ! réplique William Desmadril, directeur des ressources humaines (DRH) chez Econocom, une société de services informatiques. La crise est une contrainte, mais elle est aussi l’occasion de chercher à penser autrement. Il nous faut dégager des solutions qui ne coûtent pas cher et, dès lors, faire preuve de créativité.

Dans l’hôtellerie, Katya Sokolsky, DRH du groupe Accor Hotels en Belgique – soit, au total, douze marques, dont sept présentes dans notre pays : Sofitel, Pullman, Novotel, Mercure, Ibis, Etap, F1 -, a pris le même parti.  » La crise représente une occasion pour repenser le travail et impliquer les collaborateurs autrement « , assure-t-elle. Même son de cloche au Crédit agricole Belgique, dans un secteur bancaire pourtant chahuté. Xavier Van Outryve, son responsable RH, explique :  » Avec la crise, les attentes vont plus vers la sécurité et la garantie d’emploi que le salaire proprement dit. Le Crédit agricole est une banque solide qui recrute encore, offre de la stabilité et des perspectives de croissance. Il n’en reste pas moins indispensable de contrer la morosité par des initiatives à même de stimuler la motivation.  » Et, avec un peu d’imagination, les opportunités sont plus nombreuses qu’on ne le croit. Lire les dix propositions à la page suivante.

1. Etre sur le pont

>La crise a des effets paralysants, ce qui ne peut qu’entretenir la morosité. Chez Accor Hotels, l’ensemble du comité de direction a décidé de se mouiller le maillot.  » Nous avons nettoyé nos agendas de toutes les réunions et obligations qui ne sont pas directement indispensables pour nous rendre disponibles et présents sur le terrain, explique Katya Sokolsky. Etre proche des collaborateurs, communiquer « vrai » sur la situation, livrer des chiffres, répondre aux questions en direct : tout cela permet de rassurer et de motiver. Nous sommes tous dans le même bateau pour affronter la tempête. « 

La notion de solidarité est aussi inscrite dans le c£ur de métier du Crédit agricole, une institution bancaire coopérative très présente dans les entités rurales.  » En interne, nous travaillons beaucoup sur le contrat psychologique autour de l’idée de « faire ensemble », observe Xavier Van Outryve. La banque a un système de prêt social pour les collaborateurs en situation difficile et formalise les initiatives existantes en matière de responsabilité sociétale, notamment sur le bien-être et la santé. La taille humaine et familiale et les possibilités de formation et de progression sont nos grands atouts. Nous mettons en place un vaste plan de succession de 20 % de notre personnel qui dans les cinq ans à venir partira à la retraite. « 

2. Positiver

>Le Crédit agricole a été moins affecté que d’autres par l’effondrement du système financier. Il y résiste même plutôt bien. Récemment, la banque a repris les clients de Kaupthing Belgique, une belle opportunité de se développer dans le segment du  » private banking  » et d’étoffer la base clients de sa filiale Keytrade.  » Nos chiffres sont dans le vert, même si les revenus bancaires restent fragiles et exigent une gestion prudente, souligne-t-il. Mais, face aux informations dramatiques relayées dans les médias, il était important de communiquer et de rassurer notre personnel sur notre propre situation, d’expliquer ce que nous faisons bien et mieux que d’autres. Nous avons également mis en place des sessions d’information du monde bancaire destinée aux collaborateurs non financiers afin qu’ils puissent mieux appréhender l’actualité. « 

3. Alterner les formes de reconnaissance

>Dans une conjoncture où la marge de man£uvre est très étroite pour se différencier par la rémunération, la reconnaissance peut s’exprimer par d’autres manières : avancement, transfert de responsabilités, entretiens d’évaluation, feed-back régulier, mais aussi considérer les gens en tant que collaborateurs et non en subalternes qui doivent obéissance à un chef ou veiller à rendre le contenu de leur travail varié et diversifié, non routinier. Tous les deux ans, Accor Hotels organise une enquête de satisfaction qui permet, entre autres, de mesurer si ces formes de reconnaissance sont bien à l’£uvre et perçues des collaborateurs.  » Un tel exercice coûte de l’argent, mais nous avons décidé de ne pas l’économiser malgré la crise, commente Katya Sokolsky. Au contraire, des questions ont été rajoutées pour évaluer la compréhension des conséquences de la crise et la perception du travail dans ce contexte. Il est intéressant de mesurer exactement l’état d’esprit des travailleurs pour engager d’éventuelles actions correctrices. « 

4. Miser sur la formation

>Avec la crise, la réduction des coûts est partout à l’ordre du jour. Contrairement au recrutement clairement en berne, la formation résiste plutôt bien. A en croire une enquête menée par SD Worx auprès de 344 responsables RH et dirigeants d’entreprise, 44 % déclarent réagir à la crise en voulant augmenter le nombre d’heures de formation et 40 % annoncent aussi vouloir diversifier leur offre en la matière.  » Nous n’allons certainement pas opérer d’économies sur les fondamentaux de la formation, confirme Katya Sokolsky. Certains programmes ont été ralentis, d’autres sont renforcés, voire créés afin d’outiller les managers et les collaborateurs pour faire face à la crise et s’organiser différemment.  » Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le groupe hôtelier a décidé de ne pas reporter l’ouverture de son Académie Accor, intervenue à Bruxelles fin juin.  » Cet espace dédié à la formation dans tous les métiers de l’hôtellerie est un signe tangible que le collaborateur et son développement sont importants pour nous. En 2008, près de 2 000 collaborateurs ont été formés en Belgique et au Luxembourg sur quelque 4 523 jours, soit un investissement de 2,7 % de la masse salariale dans la formation là où la recommandation européenne se situe à 1,9 %. « 

5. Octroyer de nouveaux avantages

>Oui, c’est possible, et à moindre coût. Econocom vient ainsi de proposer à certains membres de son personnel administratif la possibilité de bénéficier d’une voiture de société moyennant une réduction de salaire brut de 150 euros.  » Sur le salaire net, celle-ci représente une diminution d’environ 75 euros et, en échange, le collaborateur reçoit une Peugeot 307 et une carte essence… sans que cela coûte rien à l’entreprise, détaille William Desmadril. Au regard du régime fiscal des voitures de société, les coûts s’équilibrent. « 

6. Réaménager les avantages existants

>En parallèle, Econocom offre à tous les titulaires d’une voiture de société… le remboursement des frais de transport en commun. Une aberration ?  » Tout le contraire, assure son DRH. Nous sensibilisons notre personnel au fait de ne pas utiliser l’auto quand c’est possible, par exemple en allant en voiture jusqu’à la gare puis en prenant le train jusqu’au bureau ou pour se rendre chez le client. Le travailleur gagne du temps et s’épargne le stress des embouteillages et l’entreprise économise en consommation de carburant et sur les frais de leasing. Par ailleurs, nous avons lancé un programme pour réduire la consommation de carburant avec un objectif de moins 20 % sur douze mois. L’argent épargné sera réinvesti dans une épargne supplémentaire dans l’assurance de groupe et une couverture complémentaire dans l’assurance soins de santé. « 

7. Opter pour des formes de rémunération alternative

>Autre formule attrayante en termes de charges fiscales et sociales : le système de bonus lié aux résultats ou à la réalisation d’objectifs collectifs mis en place dans le cadre de la convention collective de travail n° 90. Celui-ci permet d’attribuer au personnel ou à certaines catégories de travailleurs une prime pouvant atteindre 2 200 euros par an, exonérée de cotisations ordinaires de sécurité sociale et non soumise à l’impôt des personnes physiques.  » Au Crédit agricole, nous n’avons jamais eu de politiques de bonus individualisés, si ce n’est de manière limitée pour les commerciaux, note Xavier Van Outryve. Les entreprises où le salaire variable est important devront annoncer de mauvaises nouvelles à leurs collaborateurs. Dans notre cas, les résultats sont suffisamment bons que pour accorder ce bonus collectif à un même niveau que celui octroyé en 2008. « 

8. Jouer sur la flexibilité

>Chez Accor Hotels, une large partie du personnel est composée d’ouvriers, avec un recours important au chômage économique, en particulier les mois d’été quand le tourisme d’affaires est très calme.  » Comparé à l’année dernière, ce recours au chômage économique s’est accru significativement, confie Katya Sokolsky. Nous essayons autant que possible d’organiser des tournantes et de communiquer positivement à ce sujet. D’autre part, le secteur hôtelier connaît une rotation du personnel relativement élevée. Depuis octobre 2008, nous ne remplaçons pas les départs, ce qui, combiné au chômage économique, permet d’éviter au maximum les licenciements. « 

La flexibilité prend aussi d’autres formes.  » Notre banque a une structure hiérarchique assez courte qui favorise la communication ouverte et de bon sens, indique Xavier Van Outryve. Ainsi, concrètement, nous avons introduit le mode du bureau flexible : un cadre de travail ouvert, transparent où les collaborateurs bénéficient d’un nouveau mobilier. De plus, pour favoriser l’équilibre professionnel-privé, outre un horaire variable, nous avons offert cette année au personnel la possibilité de telétravailler à domicile. L’entreprise met ainsi l’accent sur la confiance : le collaborateur est évalué non sur sa présence au bureau mais sur ses résultats. « 

Chez Econocom, on va encore plus loin.  » Certains métiers comportent des pics et des creux d’activité, indique William Desmadril. Nous avons proposé à certains membres du personnel de prendre des jours de congé supplémentaires à des moments creux. Des jours censés êtres non rémunérés, mais que nous payons à hauteur de 30 %. On peut le voir comme une dépense, mais c’est en réalité un investissement qui nous a rapporté plus de 20 000 euros d’économies par an ! « 

9. Améliorer l’équilibre de vie

>A en croire les experts RH, le champ de l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée ouvre de nombreuses possibilités pour doper la motivation des collaborateurs. Econocom s’y essaie.  » Une entreprise qui occupe 800 personnes peut bénéficier d’effets de levier importants, explique son DRH. Ce personnel dispose d’un vaste portefeuille d’assurances privées – incendie, vol, voiture, gens de maison, vie, etc. Nous allons nous mettre autour de la table avec un assureur et lui demander de proposer à notre personnel, à titre individuel, des garanties équivalentes, couvertes à tarif réduit grâce à l’effet de masse. L’initiative ne nous coûte rien, mais va permettre aux membres de notre personnel qui le souhaitent de récupérer quelques dizaines d’euros. « 

10. Travailler la qualité du management

>Enfin, l’adage est bien connu : on rejoint une entreprise, mais on quitte un manager. Quand les entreprises interrogent les démissionnaires sur les causes de leur départ, les réponses varient peu : le premier motif est souvent à rechercher dans la relation avec le manager direct. D’où l’intérêt, surtout en période de crise, de travailler sur la qualité du management. Dans cet esprit, Econocom a identifié ses  » key performers « , un certain nombre de personnes clés que la société ne veut pas perdre.  » Dix personnes sont sélectionnées par an pour bénéficier d’un plan de développement et d’accompagnement à titre individuel, en identifiant les leviers les plus pertinents pour garantir leur fidélité « , conclut William Desmadril. Cet investissement a par ailleurs des retombées sur leur motivation et la qualité de leurs relations aux autres…

dossier réalisé par christophe lo giudice; C.L.G.

La crise représente une occasion unique de repenser le travail

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