Mort, le cartel, vraiment ?

La fin du cartel CD&V/N-VA signerait la fin de la crise ? Une belle illusion que celle-là.

Ouuuufff… Le cartel a explosé, la N-VA, ce petit parti séparatiste flamand, n’empoisonnera plus la vie politique avec ses ultimatums et ses intransigeances. Le CD&V, parti des sociaux-chrétiens responsables et fédéralistes, a définitivement opté en faveur du dialogue communautaire avec les francophones, sans oukases et sans tabous. La voie est donc ouverte, désormais, à une vraie réforme de l’Etat, qui respecte les v£ux de la majorité flamande tout en préservant les intérêts des francophones. Et ce, dans le respect mutuel, la confiance retrouvée, la volonté d’en sortir.

Allons ! Les contes de fées, c’est pour les enfants. Où en est-on, en réalité ? Certes, la fin du cartel CD&V/N-VA, annoncée officiellement – et après beaucoup d’hésitations – le mardi 23 septembre, accordera un peu de répit au gouvernement Leterme. Et la démission de Geert Bourgeois (N-VA) du gouvernement flamand a permis d’éteindre l’incendie qui menaçait d’emporter Kris Peeters, ministre-président flamand. Cette fois, les responsables du CD&V, Yves Leterme en tête, l’ont reconnu :  » La N-VA ne voulait pas réellement négocier un accord communautaire.  » Enfin ! Mais on aurait tort de conclure, de cette prise de conscience tardive (quinze mois de crise !), que les leaders sociaux-chrétiens flamands ont été pendant longtemps frappés de cécité. Ou qu’il leur a manqué, depuis 2002, date de la création du cartel, la capacité intellectuelle de décrypter le programme de leur allié séparatiste. Ce serait faire injure à la perspicacité d’un Yves Leterme, d’un Kris Peeters, d’un Eric Van Rompuy, d’un Wouter Beke, et on en passe. Les leaders et les idéologues du parti ont toujours su ce qu’ils voulaient et, par conséquent, ce qu’ils faisaient. 1. S’allier aux radicaux flamingants pour ramener leur parti, le CD&V, au pouvoir. Ce faisant, les sociaux-chrétiens n’ont pas artificiellement marié deux partis antagonistes, deux programmes incompatibles. Ils se sont tournés vers des indépendantistes qui défendent, ouvertement, une option – la fin de la Belgique – que de nombreux mandataires CD&V évoquent de manière plus feutrée. 2. Forcer une réforme de l’Etat qui flatte au maximum les intérêts de la Flandre, en arguant du fait qu’il n’y a pas de majorité possible, à l’échelon fédéral et à la Région flamande, sans le CD&V/N-VA.

Ce plan paraissait simple, imparable. En tout cas aux yeux d’Yves Leterme, le papa du cartel, fort de ses 800 000 voix au dernier scrutin fédéral. Pour Bart De Wever, président de la N-VA, l’affaire était également entendue : puisque le CD&V lui devait sa victoire électorale, il allait de soi que celui-ci ne s’autoriserait aucune faiblesse sur le terrain communautaire. Mais voilà : c’était compter sans les francophones qui, même lorsqu’ils ont été contraints d’admettre qu’il leur faudrait bien négocier une réforme de l’Etat, n’ont pas pour autant cédé aux exigences flamandes, ni concédé les  » garanties  » voulues par la Flandre. Force est de constater qu’au cours de sa cure d’opposition (huit longues années) le parti social-chrétien flamand a perdu toute expérience des  » partenaires  » francophones. Certes, en 2004, le CD&V (déjà en cartel avec la N-VA) avait renoué avec le pouvoir à l’échelon régional. Mais, là, il n’est guère difficile d’obtenir ce qu’on veut : la Flandre a de l’argent, une vision claire de son destin, des défis à relever clairement identifiés. Il est autrement plus malaisé de faire entendre sa voix au sein du gouvernement fédéral qui, rappelons-le à l’intention des distraits, est non seulement traversé par le clivage gauche-droite, mais également par une ligne de fracture Nord-Sud…

 » De klok tikt « , déclare un parlementaire SP.A

Ce scénario idéal (vu de Flandre), a donc échoué. Les Flamands de tout poil, y compris les plus radicaux, ont bien dû se rendre à l’évidence : les francophones défendront bec et ongles leur propre vision de l’Etat belge, laquelle est parfois en parfait désaccord avec celle de la Flandre. Et Yves Leterme a dû choisir entre sa propre survie politique et son bébé, le cartel CD&V/N-VA. Il a opté pour la première. Mais il n’est pas aussi sot qu’on ne se plaît parfois à le présenter. Le CD&V n’a pas pu résister aux coups de boutoir du SP.A et du VLD, qui ont habilement exigé la démission du ministre N-VA du gouvernement flamand, dès lors que le parti séparatiste avait annoncé qu’il ne soutiendrait plus le gouvernement fédéral et qu’il ne participerait pas au dialogue institutionnel. Il a donc  » sacrifié  » Geert Bourgeois et maintenu Kris Peeters au feu, sur les barricades communautaires. Soit. Mais il n’ira pas plus loin. Et ne comptez pas sur lui pour arriver aux élections régionales de juin 2009 les mains vides, avec des leaders – Leterme, Peeters – accusés de traîtrise par tout ce que la Flandre compte de radical : la N-VA, certes, mais également la Lijst Dedecker et le Vlaams Belang.

La Flandre veut une réforme, et vite. Pour le symbole, certes, mais pas seulement. Elle veut aussi sauver sa prospérité. Laquelle, on l’oublie trop souvent, est menacée par des ennemis autrement plus dangereux que les francophones. Une population vieillissante, un tissu industriel sur le déclin, un réseau routier saturé (lire en p. 26). Peeters l’a encore répété, au cours de sa  » déclaration de septembre  » au parlement flamand, ce 22 septembre :  » Nous sommes au milieu du peloton, notre ambition doit être plus grande.  » La Flandre entend maintenir la barre très haut et se hisser dans le top 5 des meilleurs élèves européens d’ici à 2020. Pour relever ce défi, il n’y a pas de temps à perdre.  » De klok tikt  » ( l’horloge tourne), rappelait récemment, un brin lugubre, un député SP.A au parlement flamand, lors d’une séance à l’ambiance plombée. Et le nord du pays est persuadé que les francophones représentent un obstacle dans cette course contre la montre.

Alors, de deux choses l’une. Ou bien le dialogue communautaire s’avère fructueux et le CD&V obtient ces  » avancées substantielles  » qui combleront la Flandre d’aise.  » Dans ce cas, ironise Wouter Beke, vice-président du parti social-chrétien et co-fondateur du cartel, tout le monde sera content, y compris la N-VA.  » Et le petit monde chrétien flamand pourra affronter, la tête haute, la prochaine épreuve des urnes. Ou bien, dans quelques semaines, Kris Peeters, mandaté par les siens pour mettre toute son énergie au service d’une réforme de l’Etat, jette l’éponge, rageur, face à l’impossibilité d’engranger des avantages substantiels pour la Flandre. On peut compter sur le ministre-président flamand pour rendre son tablier avec panache, et tonner que, décidément,  » il aura tout essayé, en vain « .  » Dans ce cas, poursuit Beke, le CD&V se range aux conclusions de la N-VA.  » Et ce, sans pour autant perdre la face, puisque Peeters aura tout fait, mais alors vraiment tout, pour décrocher une réforme ambitieuse. On aurait tort d’enterrer trop rapidement le cartel CD&V/N-VA. Celui-ci subsiste aux échelons communal et provincial. Et il ne demande qu’à être ranimé au fédéral et au régional.  » De klok tikt « . Et les francophones auraient tort de croire que la Flandre a rengainé ses impatiences.

I.Ph.

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