Mort d’un talent voyageur

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Bashung s’en est allé le 14 mars.

Son £uvre restera

à tout jamais.

Alain Bashung admirait Léo Ferré dont il avait élégamment repris Avec le temps, sur un CD hommage en 2003. Mais il n’aimait pas le Ferré rock de la fin des sixties, lui préférant le signataire d’orchestrations épiques et de délires baroques. Bashung avait du goût et de la morale. Malgré une carrière entamée par une impression-nante série de galères et de gamelles, l’arrivée de son premier tube en 1980 ( Gaby Oh Gaby) ne change en rien sa conduite : toujours essayer, toujours innover. Ne jamais se cantonner à la perpétuité rock.

Après moult expériences solos plus ou moins anonymes, inaugurées dès 1966 avec Pourquoi rêvez-vous des Etats-Unis ?, il lui faut plus de dix ans pour décrocher un début de reconnaissance. L’album Roman photos paru en 1977 n’est pas un succès commercial, mais révèle des chansons maniaques, drôles, flirtant avec l’absurde, pour moitié écrites avec Boris Bergman. Celui-là sera le comparse de mots tordus pendant une décennie, Bashung lui faisant assez vite une infidélité avec Serge Gainsbourg ( Play blessures) dont il partage le goût prononcé pour l’alcool, la clope et plus, si affinités. Fils d’un Kabyle algérien – qu’il n’a pas connu – et d’une ouvrière bretonne, élevé par des grands-parents en Alsace, Bas(c)hung, de son vrai nom, connaît le choc viscéral du rock’n’roll : le sentiment traversera toujours ses chansons et son comportement scénique.

Mais au fil du temps et d’albums tels que Novice (1989), Osez Joséphine (1991), Chatterton (1994) ou Fantaisie militaire (1998), il crée une musique nouvelle, exploratrice, qui se nourrit de l’Amérique pour être foncièrement européenne. Il réinvente la chanson française, la coule dans des arrangements oniriques, crissants, décalés. Accordant au son une place primordiale, enregistrant souvent à Bruxelles aux excellents studios ICP avec des musiciens belges doués, Geoffrey Burton, Ad Cominotto ou Nicolas Stevens. Sa narration épaulée par Jean Fauque – qui succède à Bergman – est culottée mais touche régulièrement le grand public : Ma petite entreprise, Madame rêve, J’passe pour une caravane, La nuit je mens ou le récent Résidents de la République. Bashung faisait aussi l’acteur mais dans la vie, on était touché par sa courtoisie, sa retenue. A 61 ans, son talent semblait indémodable, son audace, entière. Un sacré parcours et une £uvre qui restera, c’est sûr.

Voir aussi Focus Vif en page 5.

Philippe Cornet

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire