» Moraliser le système financier ? Non-sens ! « 

Les bonus refont la joie des traders. La finance fait à nouveau jaser en conservant ses mauvaises habitudes. Mauvaises, vraiment ? Economiste et patron de la Bourse de Bruxelles, Bruno Colmant juge le mal nécessaire.Et prédit le plein épanouissement de l’économie demarché… encore plus rude.

Le Vif/L’Express : Les superbonus ont décidément la vie dure dans les salles de marchés financiers. Les banques dépassent-elles à nouveau les bornes ?

Bruno Colmant : Les traders ont une fonction importante dans l’économie : ils font circuler le capital. Or, si le capital est mobile et délocalisable, les traders le sont aussi. Raisonner selon une logique purement nationale est donc fragile. Dans le cadre d’économies ouvertes, un pays qui aurait une vision trop coercitive en la matière ferait probablement fuir les traders et les centres de décision.

C’est toujours le même refrain : si on ne le fait pas, d’autres le feront ailleurs. Prétexte un peu facile ?

Non, c’est une réalité. Il faut résoudre le problème des bonus de manière transparente et avec pragmatisme. En expliquant les règles qui président à leur octroi.

La transparence, cela revient à dire :  » Regardez, mais touchez pas  » à ces mirobolants bonus ?

Non, car la transparence suscite une autodiscipline. Elle crée un sain débat, notamment dans la presse, et pousse les gens à être attentifs et à éviter les comportements outranciers. L’économie de marché, de manière naturelle, suscite de la discipline mais exige de la clarté.

On sait pourtant à quoi ont conduit l’autorégulation et les codes de bonne conduite ! Cela n’a empêché ni l’appât effréné du gain ni la prise de risques inconsidérés. On oublie tout et on recommence ?

On progresse par essais et erreurs. La pathologie dans laquelle on est tombé sera mieux pilotée. Plus jamais d’excès ? Il y en aura encore.

Ne faut-il pas user de la manière forte pour ramener enfin les banquiers à la raison ?

Je ne crois pas à une autorité supérieure qui réglerait définitivement les excès du trading ou les bonus. L’argent circule autour du monde 24 heures sur 24. Il faut des normes sectorielles reconnues internationalement.

A vous suivre, c’est le prix à payer pour vivre dans une économie de marché ?

Je crois. Il faut des banques suffisamment rentables pour faire circuler le capital et protéger les dépôts. Pour cela, elles doivent attirer des compétences, donc payer des gens qui les rendent rentables. Si le bonus sert à rémunérer un simple effet d’aubaine, lié à un marché haussier, il n’y a aucune raison. Mais s’il rémunère une compétence intellectuelle ou une habileté dans la gestion de produits financiers, sans préjudice pour les particuliers, cela me paraît acceptable.

De plantureux bonus pour des traders salariés, mais la modération salariale pour le plus grand nombre ?

Il faut une réflexion consensuelle. La modération salariale, légitime en période de crise, ne veut pas dire un salaire égal pour tout le monde. Empêcher un différentiel rémunératoire sous couvert d’un débat politico-moral, c’est annihiler l’entrepreneuriat.

Que ces pratiques se passent dans des banques qui ne doivent leur salut qu’à l’argent public, ne confine-t-il pas au cynisme absolu ?

Ce n’est pas tout à fait correct. Les Etats sont actionnaires temporaires des banques, ils leur ont apporté du capital de transit. Ils ont voulu étançonner les banques sans vouloir intervenir dans leur gestion. Du capital est apporté, et des profits sont générés : les deux éléments doivent être dissociés.

En somme, moraliser le système financier, c’est peine perdue ?

Ça n’a pas de sens. Je ne vois pas comment un système de relations entre gens de commerce peut se moraliser ou s’autodiscipliner spontanément. Cela postule la question de choix politiques dans un système mercantile, ce qui me poserait problème. Quand la crise a éclaté, des gens ont dit : on va remoraliser l’économie, revenir aux réponses collectives à l’économie. Il ne s’est rien passé de tout cela ! Un système bancaire doit fonctionner, donner du crédit, être rentable. Mais il faut de la transparence, il faut responsabiliser civilement et pénalement les acteurs du système et les sanctionner au besoin.

Des banquiers ont-ils été sanctionnés ?

Non. Enfin, pas encore. Mais beaucoup ont quitté leurs fonctions.

Cette crise, c’est l’avènement d’un nouveau monde ?

C’est une rupture importante. Le passage d’une économie de services à une économie de la connaissance. L’arrivée de la quatrième dimension : on peut imaginer un produit dans un pays, le concevoir sur plan dans un deuxième, le construire dans un troisième, le vendre dans un quatrième et le recycler dans un cinquième. On entre pleinement dans l’économie de marché.

Décréter une nouvelle guerre économique, c’est annoncer des jours meilleurs ?

De grands défis. Ce sera une économie marchande beaucoup plus dure et exigeante, un monde plus individualiste, où l’aspect providentiel des Etats sera moins présent. Le Premier ministre Herman Van Rompuy le dit, si on décode bien son discours : l’Etat providence, c’est terminé. Les gens vont devoir vivre dans un monde plus incertain, plus précaire, dans lequel ils devront davantage compter sur eux-mêmes. Ceux qui croient dans le retour à une économie sécurisée sont complètement dans l’erreur.

P.Hx

 » L’économie de marché, de façon naturelle, suscite la discipline « 

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