MONASTÈRE DE SOVU

Pères blancs et bénédictins ont essayé, en vain, en Belgique et au Rwanda, de faire revenir les soeurs accusatrices sur leurs dépositions. Pourquoi un tel parti pris en faveur de Consolata Mukangango et de Julienne Mukabutera ?

« On va juger le génocide », se plaint une religieuse de la région liégeoise, qui craint que les deux religieuses rwandaises poursuivies devant la cour d’assises de Bruxelles n’aient pas droit à un procès équitable. L’émotion est palpable dans plusieurs communautés contemplatives du pays, en particulier, celles qui sont soumises à la règle de saint Benoît. En effet, lors de leur arrivée en Belgique, en août 1994, les membres du monastère de Sovu, au Rwanda, ont été accueillies, encore traumatisées, dans différentes institutions du sud du pays. Pour quelle raison le petit monde des monastères et des couvents a-t-il serré les rangs derrière Consolata Mukangango (soeur Gertrude), 42 ans, et Julienne Mukabutera (soeur Maria Kisito), 36 ans, accusées d’avoir collaboré activement avec les génocidaires hutu ? Des responsables religieux de haut niveau, bénédictins et pères blancs, ont bel et bien exercé des pressions sur les soeurs accusatrices, les tutsi Marie-Bernard Kayitesi et Scholastique Mukangira, pour qu’elles reviennent sur leurs déclarations. Ces manoeuvres figurent au dossier d’instruction.

En novembre 1994, le père irlandais Celestine Cullen, abbé-président de la congrégation bénédictine de Notre-Dame, dont dépendent les communautés de Sovu et de Maredret, tente d’apaiser le conflit entre Marie-Bernard et Scholastique – qui souhaitent rentrer au Rwanda – et Gertrude, la mère supérieure, – qui s’y oppose. Il faut dire que la seconde est accusée par les premières de s’être très mal comportée pendant le génocide. André Comblin, un père blanc aujourd’hui décédé, est chargé d’obtenir des membres de la communauté de Sovu des témoignages écrits favorables à Gertrude. En décembre 1994, les deux rebelles quittent la Belgique. Mais à Sovu, l’ordre bénédictin tente de leur interdire l’entrée du monastère. Celui-ci est occupé provisoirement par Terre des hommes. Le nouvel évêque de Butare voudrait, lui, y affirmer son autorité. En charge du « dossier Sovu », le père Nicolas Dayez, de l’abbaye de Maredsous, demande et obtient l’appui du Vatican dans ce litige immobilier. Il en profite pour négocier avec l’évêque de Butare les conditions de la réintégration des « soeurs fautives »: il faut que celles-ci « s’abstiennent de répandre des propos malveillants qui entachent la réputation de la communauté ». En août et en septembre 1995, le père André Comblin se rend à son tour au Rwanda, en service commandé, pour amener les dissidentes à signer des rétractations. En vain.

Comment expliquer cet engagement de la hiérarchie religieuse du seul côté des soeurs Gertrude et Kisito, sans empathie pour les victimes tutsi ? Il y a d’abord la nature des relations entretenues avec un accusé avant le génocide. Le réflexe, somme toute normal, est de donner d’abord crédit au proche. Il y a, aussi, cette vision, très répandue dans les milieux catholiques en contact avec le Rwanda, de l’omniprésence du facteur ethnique dans les comportements humains. Que soeur Scholastique ait été la rivale malheureuse de soeur Gertrude pour l’accession au prieurat du monastère de Sovu, en 1993, était souvent chuchoté, à mi-voix, comme l’explication de sa « campagne de dénigrement ». Ce serait, toutefois, faire injure à l’intelligence de ces religieux de prétendre qu’ils ont cru Gertrude parfaitement innocente de ce qu’on lui reprochait. Mais ils se sont accommodés très rapidement des explications de l’intéressée, consistant à dire qu’entre deux périls – l’extermination des quelque 27 religieuses de Sovu (dont 9 seront finalement tuées) ou le refoulement de leurs familles et des paysans tutsi accourus des collines avoisinantes – elle avait choisi de sauver les femmes qui étaient placées sous sa protection. Et que ce choix dramatique imposait la retenue à ceux qui seraient tentés de juger hâtivement.

Le manque de retenue est, précisément, ce que ces mêmes responsables religieux reprochent à Marie-Bernard et à Scholastique. Celles-ci seraient, d’abord, coupables d’avoir quitté leur communauté sans l’accord de leur supérieure. Aux yeux des hommes et des femmes d’Eglise, cette « désobéissance » apparaît comme le péché suprême, même si elle en recouvre un autre, moins avouable: avoir refusé de laver son linge sale en famille. Aujourd’hui, les mêmes qui ont multiplié les initiatives discutables pour gérer, à leur façon, l’affaire de Sovu en viennent à se réjouir que la justice des hommes prenne le relais de la leur. Quant à soeur Marie-Bernard, écoeurée, elle a été relevée de ses voeux, à sa demande, en mars 1996.

M.-C.R.

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