Mon père, ce politique

A l’approche de tout scrutin ressort le dossier des  » fils de  » et  » filles de « . On les montre du doigt, mais ils cartonnent. Signe d’essoufflement démocratique ? La vérité est bien plus nuancée.

Qu’ont en commun Bernard Clerfayt, Jean-Marc Delizée, Charles Michel, Laurette Onkelinx et Melchior Wathelet ? Réponse : ils sont ministres ou secrétaires d’Etat. Réponse subsidiaire : tous ont un père qui les a précédés en politique. Sur les douze membres francophones du gouvernement fédéral, cinq peuvent être catalogués comme  » fils de  » ou  » fille de « . Un simple regard sur les listes électorales confirme que la tendance n’est pas près de s’arrêter. Qu’ils se nomment De Croo, De Gucht, Désir ou encore Moureaux, une nouvelle vague de jeunes biberonnés à la politique approche. On aura vite fait de crier au népotisme, au danger pour la démocratie. Vraiment ?  » Cette discussion revient lors de chaque élection « , sourit Carl Devos, politologue à l’université de Gand.

Les chiffres, d’abord. A la grosse louche, les  » fils de  » et  » filles de  » ne représentent que 10 % de la classe politique belge. Ensuite,  » ce phénomène n’a rien de belge, enchaîne Pierre Verjans (ULg). En Angleterre, cette transmission est au c£ur du système « . Et de citer aussi ces épouses en Asie qui poursuivent les carrières politiques de leur mari ou encore ces grandes dynasties à l’américaine. Mieux : il n’a rien de strictement politique.  » Il est évident qu’un fils de boulanger a plus de chances de terminer derrière un pétrin qu’un autre, résume Carl Devos. Cela vaut pour la politique.  » Ce n’est pas Pierre Verjans qui le contredira.  » Un « fils de » est tombé dans la marmite quand il était petit. En règle générale, son éducation fait qu’il accorde de l’importance à la chose politique et lui en donne les moyens : il connaît beaucoup de gens et beaucoup de gens le connaissent.  » Le milieu des affaires, autre exemple, est tout autant une histoire de familles.

Assiste-t-on de nos jours à une déferlante de candidats tombés le derrière dans la politique ?  » Il n’existe pas d’étude de fond qui analyse ce phénomène dans le temps « , regrette Carl Devos. Mais les héritages politiques (Eyskens, Nothomb, Spaak, etc.) ont toujours existé. Simplement, on en parle davantage.  » Notamment dans les médias, cible Pierre Verjans. Il y a trente ans, la Belgique comptait beaucoup plus de médias d’opinion. Aujourd’hui, ils se sont tournés vers l’information, adoptant une position d’externalité par rapport aux partis. Ils sont donc plus critiques. « 

Avec le fédéralisme, partis et scrutins se sont multipliés, entraînant avec eux le nombre de candidats nécessaires afin de peupler les listes.  » Les partis ont toujours été à la recherche de noms connus, note Carl Devos. D’autant plus que la politique s’est individualisée. Avant, beaucoup d’électeurs optaient pour un parti. A présent, c’est le candidat individuel qui a la cote. La personnalité prend le pas sur l’idéologie.  » D’où l’impression du politologue gantois :  » Je pense malgré tout qu’il y a plus de « fils de » et « filles de » maintenant, même si c’est dur à prouver. J’ajouterais que ce phénomène est peut-être plus fort en Flandre. Dans le nord du pays, les grandes familles possèdent énormément d’influence au sein des partis. C’est le cas de l’Open VLD, en Flandre orientale. La petite histoire veut que trois familles se soient un jour réunies afin de « partager » le butin : au fils De Gucht, le niveau régional, aux fils De Clercq et De Croo, le fédéral… « 

Se forger un prénom

Mais au fait, le  » fils de  » et la  » fille de  » ont-ils la vie politique plus simple ?  » Avoir un nom connu aide, tranche Carl Devos. Cela donne une impression de capacité, d’expérience. L’électeur peut se dire : je connais le style du père, votons donc pour le fils.  » Pierre Verjans va dans le même sens.  » J’ai rarement entendu quelqu’un dire que c’était plus difficile.  » Reste malgré tout à se forger un prénom.  » Etre « fils de » ne suffit pas pour réussir. Les premières portes s’ouvrent plus vite mais il faut faire ses preuves par la suite. Certains brillent tout seuls, pour d’autres il faut frotter longtemps. « 

Si les héritiers politiques cartonnent aux élections, ils essuient aussi de plus en plus de critiques.  » Là est le paradoxe, s’étonne le politologue gantois. Une enquête récente de la VRT montre que les électeurs commencent à en avoir assez, des « fils de », et pourtant ils font des voix.  » Avec quels dangers pour la démocratie ?  » Le souci n’est pas que les enfants de politiques se lancent dans ce domaine, conclut Carl Devos. Mais que tout soit plus facile pour eux, que tout se passe plus vite. Cela va à l’encontre du principe selon lequel tout un chacun a les mêmes chances d’être élu.  » Pour Pierre Verjans.  » 10 % de la classe politique, cela ne pose pas de difficultés majeures. Les « fils de » ne bouchent pas le chemin, il y a de la place pour les autres. « 

Benoît Mathieu et Gilles Quoistiaux

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