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Mon enfant a des  » parents d’accueil « 

Quel impact a, pour les parents biologiques, le fait de pouvoir ou devoir partager leur enfant avec des accueillants familiaux ? Comment ces derniers et les accompagnateurs des services de placement peuvent-ils faire la différence ?

En Fédération Wallonie-Bruxelles, environ 7500 enfants et jeunes vivent dans une famille d’accueil ; en Flandre, ils sont environ 6500. La majorité des placements se font sur base volontaire, avec l’accord des parents, parce que ceux-ci ne sont plus en mesure de s’occuper (seuls) de leur enfant pour une période plus ou moins prolongée. Il arrive toutefois également, plus rarement, que cette mesure soit décidée par le juge de la jeunesse. Dans un cas comme dans l’autre, le placement de leur enfant dans une autre famille représente généralement une fracture déterminante dans la vie de la majorité des parents… et leurs histoires1 restent souvent dans l’ombre, car ils hésitent à en parler par crainte d’être jugés.

Je sais que les liens du sang sont indissolubles, mais vous sentez votre enfant vous échapper. » Hanna, témoin

Un impact qu’ils n’attendaient pas

 » Quand les enfants s’écorchaient le genou en tombant, c’étaient les parents d’accueil qui les soignaient. Quand ils allaient se coucher, c’étaient eux qui pouvaient leur lire une histoire et les border. Ils ont complètement repris mon rôle… et j’ai été surprise que cela puisse se faire si facilement. Je l’ai vécu comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu « , témoigne Els.  » Même lorsque les parents choisissent sciemment d’accepter d’être aidés et que leur enfant soit placé en famille d’accueil, ils sont souvent surpris de l’impact de cette mesure « , confirme Anna de Laat, experte du vécu formée dans le domaine de la pauvreté et de l’exclusion sociale auprès des services de placement familial pour le Brabant flamand et Bruxelles.  » C’est comme si on leur enlevait tout du jour au lendemain ; au fil du temps, ils sentent aussi s’estomper leur lien avec leur enfant, ce qui peut être extrêmement difficile à vivre.  » Ou, pour reprendre les mots d’Hanna :  » Avant, quand mon fils était malade, nauséeux ou qu’il avait un problème, je le sentais. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, et cela me fait de la peine. D’un côté, je sais que les liens du sang sont indissolubles, mais d’un autre côté, vous sentez vraiment votre enfant vous échapper. C’est ça qui fait le plus mal.  »

 » Le fait de ne pas avoir pu se conformer à leur propres attentes ou à celles de la société en tant que parents reste une souffrance indélébile. De nombreux parents arrivent toutefois à mettre leur propre douleur de côté et à être heureux des chances qui s’offrent à leur enfant grâce à sa famille d’accueil. « © GETTY

Larmes secrètes

Ces parents sont souvent passés maîtres dans l’art de dissimuler leurs émotions, avant tout dans l’intérêt de leur enfant. Rik aussi a choisi cette stratégie :  » Lorsque je dépose mon fils chez ses parents nourriciers après le weekend, il s’inquiète toujours pour moi. Il me dit : ‘Papa, je suis triste pour toi’. ‘Quand je pense à toi, tout seul à la maison, il m’arrive de pleurer dans mon lit.’ Évidemment, je lui réponds que je me débrouille. Je ne veux pas qu’il soit triste ou qu’il s’inquiète pour moi. Je veux lui épargner ces émotions et je me donne du courage en me disant qu’il peut en parler avec moi.  »

Les parents s’efforcent parfois aussi de compenser (un peu trop) le fait que leur enfant doive grandir largement sans eux.  » Je bourrais tellement les weekends qu’ils passaient avec moi d’excursions en d’activités. Ils rentraient complètement crevés, au point que les parents d’accueil devaient les garder à la maison le lundi pour leur permettre de récupérer « , témoigne Els.  » Vu après-coup, je n’avais pas besoin de refaire mes preuves à chaque fois. Bien sûr, il y a des choses que les parents d’accueil peuvent faire et moi pas, mais rien n’effacera jamais mon rôle de maman. Ils m’ont donné le conseil de rester moi-même… et à partir de là, les choses ont été plus simples.  »

Les accueillants familiaux qui comprennent ce qui se passe peuvent donc jouer un rôle très important auprès des parents biologiques, y compris en cas de frictions autour, par exemple, de certains choix éducatifs.  » Le fait que la famille d’accueil continue à dialoguer avec les parents biologiques, éventuellement avec la médiation du référent des services de placement, peut faire toute la différence, souligne Anna de Laat. C’est également dans l’intérêt de l’enfant, car il est capital pour son bien-être que sa loyauté ne soit pas tiraillée entre ses parents biologiques et ses parents nourriciers.  »

Être vraiment vus et entendus

 » Il est aussi très important que les accueillants familiaux aient une vision juste des parents biologiques, poursuit-elle. Les accompagnateurs peuvent les y aider, car il arrive que les deux parties aient des univers complètement différents. Certains parents biologiques sont parfois des personnes en situation de vulnérabilité et exposées à l’exclusion. Ils ont du mal à trouver leur place dans la société, se retrouvent plus facilement sur le carreau et doivent redoubler d’efforts pour obtenir des droits qui, pour d’autres, relèvent de l’évidence. Ils sont souvent jugés et condamnés, ce qui représente pour eux une importante source de stress et peut leur donner l’impression que les moindres détails de leur vie sont montés en épingle. Se maintenir à flot quand on est vulnérable demande déjà beaucoup de force… et il en faut encore plus pour lâcher son enfant afin de lui assurer une vie meilleure dans sa famille d’accueil. Les parents qui choisissent cette solution sont souvent surtout ceux qui traînent une charge trop lourde, sans forcément avoir une faible capacité à encaisser. Si les parents d’accueil le comprennent, ils verront aussi plus facilement chez eux les forces, les connaissances et les aptitudes auxquelles ils pourront faire appel pour s’occuper le mieux possible de cet enfant qu’ils portent tous dans leur coeur.  » Et il va de soi que cela va encore mieux lorsque l’inverse est également vrai et que les parents biologiques font également confiance à la famille d’accueil.

Mon enfant a des

 » Les accueillants familiaux ont toujours eu beaucoup de respect pour moi et pour ma situation, et c’est aussi grâce à eux que j’ai toujours une bonne relation avec mon fils […], témoigne Carine. Je suis heureuse que nous soyons tous du même avis sur certains aspects du passé ; cela me rassure et crée une relation de confiance. Ensemble, nous formons une équipe de choc. Ils veulent simplement ce qu’il y a de mieux pour mon fils, comme moi.  » Hanna, elle, souligne dans son témoignage l’importance qu’a eue pour elle l’experte du vécu des services de placement familial :  » Elle comprenait parfaitement ma situation et m’a guidée dans la bonne direction. Elle a été la première à ne pas me juger mais à comprendre vraiment ce que je ressentais… et cette compréhension, c’est ce qu’il me fallait dans ces circonstances pas du tout naturelles.  » Le contact avec les pairs aussi peut être d’un grand secours, comme en témoigne Rik :  » Le fait de fréquenter des groupes de discussion entre parents m’a aidé à mieux comprendre ma propre situation. L’impression d’avoir échoué est toujours là, mais elle ne domine plus toute mon existence.  »

 » Le fait de ne pas avoir pu se conformer à leur propres attentes ou à celles de la société en tant que parents reste une souffrance indélébile. De nombreux parents arrivent toutefois à mettre leur propre douleur de côté et à être heureux pour leur enfant – heureux des chances qui s’offrent à lui grâce à sa famille d’accueil, conclut Anna de Laat. Appeler à l’aide ne devrait plus être un tabou, même quand il s’agit de l’éducation de son enfant.  »

1. Les témoignages sont issus de l’ouvrage de Nancy Leysen, elle-même maman d’accueil, Voor altijd mijn kind ( » Mon enfant pour toujours « ).

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Témoignage :  » La raison avant le coeur « 

Wendy (42 ans) veut partager son histoire en soutien aux personnes qui vivent une situation similaire.  » Accepter le placement de son enfant est un bouleversement complet, mais cela peut aussi devenir une très belle histoire. « 

Aujourd’hui âgé de 7 ans, le fils de Wendy a été dès la maternelle un enfant hyperactif qui multipliait les allergies.  » Étant nous-mêmes atteints de graves problèmes de santé, nous n’arrivions plus à nous occuper de lui tout seuls. Nous avons donc fait appel à un centre d’aide à l’enfance et de soutien familial, où notre fils a été accueilli dans un service résidentiel pendant la semaine. La même année, j’ai touché le fond sur le plan psychologique, et il a finalement été décidé pour nous que notre petit partirait dans une famille d’accueil.  »

D’eaux troubles en eaux tranquilles

 » Au début, j’ai voulu m’opposer à cette décision, en partie parce que je ne savais pas très bien ce qu’elle impliquait. Le tribunal et l’accompagnatrice des services de placement familial ont toutefois apporté des réponses claires à toutes nos questions et nous avons peu à peu pris conscience que c’était peut-être finalement la meilleure solution pour notre fils. Et la suite des événements l’a confirmé !  »

 » Il vit aujourd’hui depuis trois ans chez des accueillants familiaux et il va très bien. Ces personnes, avec qui nous avons d’excellents contacts, sont suffisamment solides pour lui offrir ce dont il a besoin aujourd’hui. Cela nous fait chaud au coeur et c’est pour cela que nous acceptons la décision du juge de le laisser chez eux jusqu’à ce que nous soyons prêts à nous occuper à nouveau de lui. Dans son intérêt, nous écoutons donc notre raison plutôt que notre coeur, qui rêve évidemment de l’avoir à la maison.  »

Confiance et clarté

 » Nous avons une grande confiance dans les accueillants familiaux. Nous connaissions déjà la maman via l’école, ce qui signifie du même coup que notre fils n’a pas dû en changer. Le fait qu’il ne vive pas chez un membre de notre famille a aussi l’avantage que nous ne passons jamais à l’improviste. Ainsi, les choses sont claires et c’est mieux pour lui, même si son grand rêve serait de nous voir tous vivre sous un même toit (rire). Il sait qu’il a le droit de dire que nous lui manquons quand il est là-bas ou que ses accueillants familiaux lui manquent quand il est en visite chez nous, et qu’il est toujours libre d’en parler.  »

 » Nous avons fêté sa première communion tous ensemble et nous assistons aux réunions de parents à l’école avec les accueillants familiaux, mais nous ratons évidemment aussi des moments importants. Nous n’étions pas là quand il a fait du vélo comme un grand pour la première fois ni pour son premier cours de natation, par exemple. C’est parfois dur, mais cela nous fait toujours plaisir de recevoir des photos. Et en parler avec d’autres dans un groupe de discussion nous fait beaucoup de bien.  »

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